V I N G T - C I N Q .

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[-Je t'ai dis que j'avais besoin de te parler, marmonna sa voix éraillée.]
Luce se retourna, un fin sourire aux lèvres.
-Et moi que je prenais le bus, sourit-elle bêtement.
William lâcha son bras et passa sa main rageusement dans sa nuque.
-Je déteste lorsque tu fais l'imbécile comme ça ! grogna-t-il.
-Excuse-moi ? s'exclama Luce.
Il fit les cent pas devant elle en se rongeant nerveusement les ongles. Il s'arrêta subitement et attrapa Luce par le bras.
-Lâche-moi ! cria-t-elle en essayant d'ignorer la décharge d'électricité qui l'avait parcourue à ce simple contact.
William ne répondit rien et se contenta de continuer à la tirer vers un endroit isolé. Il s'arrêta à l'ombre d'un arbre, regarda autour de lui et lorsqu'il fut sûr que personne n'était là, il la lâcha.
-Espèce de tar...
William plaqua sa main contre la bouche de Luce qui sursauta de surprise.
-Ne crie pas ! chuchota-t-il.
Elle écarquilla les yeux, qu'elle baissa vers la main qui lui recouvrait la bouche. Une fois ses esprits repris, elle se dégagea sèchement et planta ses yeux clairs dans les yeux noirs de William.
-Pourquoi ? On n'est pas dans une église, c'est bon !
-Qu'est-ce que tu peux être énervante quand tu t'y mets, c'est pas possible.
-Tu me suis, tu m'emmènes ici et tout ça pour quoi ? Pour me faire la morale ! s'indigna-t-elle. Je rentre.
-Attends ! cria-t-il en essayant de l'attraper.
Elle se retourna brusquement et esquiva sa main tendue vers elle.
-Et ne t'avise pas de me toucher une nouvelle fois !
Elle reprit sa route sans se soucier du regard implorant que lui jetait William.
-Comment t'es-tu blessée à la jambe ? demanda-t-il en la suivant.
-Ça ne te regarde pas.
-Dis-moi, la supplia-t-il d'une voix douce.
-Je suis tombée de mon lit, marmonna-t-elle.
Un petit rire grave se fit entendre.
-Si tu crois que je vais te croire, tu as tort, rigola-t-il. Ta mère m'a sortit la même absurdité, et je ne l'ai pas cru.
-Si c'est pas chouette.
William poussa un soupir exaspéré et l'attrapa encore une fois par le bras, assez fort pour qu'elle ne s'en aille pas.
-Faut que tu arrêtes avec ta manie d'attraper les gens pour qu'ils t'écoutent, sérieux. Si je ne veux pas te parler, ne m'y force pas, gronda Luce.
Il ignora ses paroles et planta ses yeux insondables dans les siens.
-Comment t'es-tu blessée à la jambe ? répéta-t-il.
-En tombant de mon lit.
-Faut que tu arrêtes avec ta manie de mentir aux gens pour qu'on te laisse tranquille, sérieux. Si je te pose une question, dis moi la verité, dit-il en reprenant ses paroles.
Luce éclata d'un rire sec et froid.
-Ça t'apporterait quoi de le savoir ? s'amusa-t-elle.
-Donc tu ne nies pas le fait que tu me mentes ? répliqua-t-il.
Luce mordit sa lèvre inférieure et tira une mèche de ses cheveux.
-Dis-moi la vérité, Lucinda.
Trop embarrassée pour le reprendre sur son nom, Luce se contenta de détourner son regard et d'essayer de se soustraire de son emprise. N'y parvenant pas, elle lâcha un soupir excédé et s'écria :
-Je ne sais pas, William ! Je ne sais pas comment je me suis fais ça, je ne sais rien. Tout ce que je sais c'est que...
Elle s'interrompit et mordit à nouveau sa lèvre.
-C'est que quoi ? demanda doucement William en se penchant vers elle.
Luce couine d'impuissance et ravala ses larmes qui menaçaient de couler.
-Rien, oublie.
-Luce...
-Lâche-moi. S'il te plaît, murmura-t-elle en cachant ses yeux embués de larmes derrière ses cheveux.
William la lâcha, ne pouvant rien faire d'autre. Il savait pertinemment qu'elle n'était absolument pas du genre à dire "s'il te plaît", et que pour qu'elle le dise, il fallait qu'elle aille mal. Cette supplique l'obligea à retirer sa main et à la regarder partir sans avoir répondu à sa question. Question à laquelle il connaissait la réponse, ou du moins, pensait-il la connaître. Il y avait 99% de chances qu'il ait raison. Et ça ne lui plaisait absolument pas.
Il passa une main indécise dans son cou. Devait-il la suivre pour être sûr qu'elle rentre bien ou la laisser filer ? Il sourit en se rendant compte de l'absurdité de son questionnement. Luce a toujours été forte, elle n'a jamais eu besoin d'aide ou de quoi qu'est-ce. Il le savait bien, pourtant il ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter à son sujet, c'était plus fort que lui. Il laissa tomber sa main et fit demi-tour les mains dans les poches. Oui, il devait la laisser filer. Elle rentrera bien, cela ne fait aucun doute. Il faut qu'il arrête d'en douter.

****

La jeune fille enfonça ses doigts pâles dans le sol, essayant désespérément de s'accrocher à quelque chose dans cet endroit vide de vie.
-Lucinda...
Des frissons remontèrent le long de la colonne vertébrale de la jeune blonde.
-Qu'est-ce que vous voulez ? murmura-t-elle.
-Que tu te souviennes, répondit la voix caverneuse.
Chancelante, elle se releva et posa sa main sur un tronc rugueux, appartenant à un arbre.
-Lucinda, je t'en prie...
Elle était dans une forêt, elle le savait. Elle enserra son tronc familier et sentit des larmes couler le long de ses joues roses.
-Mais qui êtes-vous ? Où suis-je ? chuchota-t-elle.
-Chez toi, fit la voix sur le même ton.
Alors, un cri suraigüe se fit entendre. Luce sursauta et tomba à la renverse, comme si le sol avait soudainement bouger sous ses jambes flageolantes. Elle se heurta à un objet solide et pointu qui lui écorcha la peau de sa jambe droite. Elle poussa un cri étouffé par sa main, une douleur insupportable lui parcourant la jambe entière. Elle passa fébrilement sa main sur sa blessure et sentit du sang couler, trop de sang. Un goût de bile remonta dans sa bouche, elle eut une envie irrépressible de vomir. La substance désagréable de son sang sous ses doigts lui fit tourner la tête.
Mais elle ne s'attarda pas plus longtemps là-dessus et se repassa le cri dans sa tête. En l'entendant, elle eut envie de courir pour retrouver son auteur. Ce cri, douloureusement familier, était rempli de sentiments se bousculant. Il appartenait à une personne perdue, triste et désemparée. À un homme.
"Sans son amour perdu, il n'est rien."
Cette phrase s'imposa à l'esprit de la jeune fille.
-C'est ça, murmura la voix. Souviens-toi.
L'adolescente se recroquevilla sur elle-même, son corps parcouru de spasmes incontrôlables.
Ce n'est qu'un rêve, essaya-t-elle vainement de se convaincre.
Elle se pinça le bras avec force, pensant naïvement que ça la réveillerait et la délivrerait de ce cauchemar.
-Ne pars pas... Pourquoi veux-tu toujours partir ? J'en deviens fou... chuchota la voix qui posséda et se répercuta dans le corps de la fille.
Elle ferma les yeux et secoua frénétiquement la tête en poussant des petits gémissements aigües. Elle se coucha à même le sol, se roula en boule et enfouit son visage entre ses jambes et son ventre. Des larmes dévalèrent sur ses joues et, étrangement, elle les sentit disparaître comme si on les lui essuyait avec une délicatesse infinie.
-Ne pleure plus, s'il te plaît. Ne pleure plus, à présent. Je suis avec toi. Toujours, dit la voix.
Une évidence frappa Luce de plein fouet. Cette voix, venant de nul part et de partout, était sa voix. Oui, c'était sa voix, à lui. À ce cri désespéré. C'était la voix de la seule personne la comprenant, qui était là, avec elle, toujours, sans qu'elle ne s'en rende compte.
Un sourire étira les lèvres de la jeune fille.
Mais qui était-ce ?
___
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L'oubli de l'éternité.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant