L'oubli de l'éternité.

S E P T .

Ensevelie sous ses couettes, Luce lisait pour la énième fois les Hauts de Hurlevent d'Emily Brontë, s'éclairant à l'aide d'une petite lampe de poche pour ne pas attirer l'attention de sa mère si par malheur elle se réveillait au milieu de la nuit. C'était un de ses livres fétiches, qu'elle relisait souvent lors de ses nuits blanches. Avant de commencer à lire, elle était descendue dans la cuisine se chercher une bouteille de coca-cola ainsi que des granola. Elle était remontée incognito et s'était faufilée dans son lit doucement pour ne plus en sortir jusqu'à la fin de cette longue nuit. Malgré la fatigue qui pesait sur ses paupières, elle s'efforçait de rester éveillée, ne voulant pas sombrer pour retrouver ce cauchemar infernal.

Courage Lucinda, il ne reste plus que 2 petites heures avant que tu ne te lèves pour te préparer, s'encouragea-t-elle.

****

C'est à 05h21 qu'elle ne put résister et qu'elle ferma les yeux, se délectant de cette sensation de repos pour ses yeux. Elle se laissa tomber sur son lit, décala son livre qui tomba par terre dans un bruit sourd. Ce bruit la fit sursauter et elle se giffla intèrieurement.

Putain quelle faible j'peux faire, se réprimenda-t-elle.

Elle se leva, sortit de sa chambre pour se diriger vers la salle de bain et prit une douche froide, histoire que ça la garde éveillée et qu'elle ne s'endorme pas sous la douche -ce qui est très probable. Elle passa de l'eau sur son visage, mouillant ses cheveux en même temps. Elle se lava les cheveux, malgré le fait qu'elle se les était déjà lavé cinq fois hier. Elle prit tout son temps et sortit de sous la douche. Elle regarda le miroir et s'y vit, avec des cernes encore plus profondes que la veille. Elle secoua la tête et retourna dans sa chambre. 05h53. Parfait. Elle mit un peignoir, se peigna les cheveux et descendit dans la cuisine se faire un café. Sa mère la rejoignit cinq petites minutes après, les cheveux emmêlés et la mine toute ensommeillée.

-Bonjour chérie, bailla-t-elle.

-B'jour. Je t'ai fais un café, les tartines sont en train de griller, dit Luce.

Sa mère sourit et s'assit sur une chaise du bar. Elle se frotta le visage et releva la tête vers sa fille.

-Bien dormi ? demanda-t-elle.

-Oui, comme un loir.

Elle posa les tasses de café sur le bar et alla chercher les tartines de pain qui venaient de sauter, indiquant qu'elles étaient prêtes. Elle sortit la confiture et posa le tout sur la table avec deux verres accompagnés d'une bouteille de jus de mangue.

Elles mangèrent en silence, la mère trop plongée dans le journal d'hier pour remarquer les cernes de sa fille. Luce se leva après avoir avalé une tartine et but son café, et monta terminer de se préparer en réveillant son petit frère au passage.

****

Elle arriva à l'arrêt de bus, les écouteurs plantés dans ses oreilles. Elle n'entendait que la musique, ayant mit le son au maximum pour s'isoler un peu. Le bus arriva à l'heure et elle rentra : William et Mia étaient déjà là, assis côte à côte. Garance se trouvait aussi là, assise juste devant eux. Elle fit des grands signes à Luce :

-Salut gazelle ! cria-t-elle pour couvrir les bavardages.

Luce s'avança la tête haute, sans jeter un regard à William et elle s'assit à ses côtés.

-T'aurais pas pu trouver une autre place ? chuchota-t-elle énervée.

-Nooop ! gloussa-t-elle.

Tom, qu'elle n'avait pas vu un peu plus au fond, se leva et se mit devant elles.

-Salut les filles, lança-t-il en fixant Luce.

-Je ne pouvais pas rêver mieux que de voir ton visage de si bon matin, Tom, marmonna Garance.

Il lui fit un sourire qui n'atteignit pas ses yeux et se tourna à nouveau vers Luce.

-Comment tu vas, ma belle ?

Luce ne l'écoutait pas. Toute son attention était regroupée sur les bribes de conversation qu'elle entendait derrière elle.

-... arrête de faire ça, tu sais qu'il ne faut pas que tu cèdes, chuchotait Mia.

Un grognement lui répondit.

-Facile à dire, répondit la voix de William.

Luce sentit son coeur fondre. C'était la première fois qu'elle entendait sa voix, et quelle voix ! Grave, rauque, éraillée, une voix purement sexy.

Elle n'entendit pas le début de la réponse de Mia, mais elle parvint à entendre la fin :

-... je suis là pour toi, ne t'en fais pas. Je serai toujours là, bébé. Tu m'as.

Luce ouvrit grand les yeux : "bébé" ?! Ils sortent ensemble ? Une pichenette sur sa joue la fit sortir de ses pensées :

-Hé Luce, y a le moche qui te parle ! se lamenta Garance.

Elle cligna des yeux et se tourna vers Tom, les sourcils froncés.

-Oh désolée je pensais à un truc... Tu disais ? demanda-t-elle.

-Rien c'est bon t'inquiète, dit-il avec un sourire forcé.

Luce lui lança un regard désolé et il se retourna.

-Je l'ai vexé, tu crois ? chuchota-t-elle à Garance.

-Pas une grande perte si tu veux mon avis, dit-elle en haussant les épaules.

Luce lui fit les gros yeux et se replongea dans ses pensées, la musique toujours dans les oreilles. "Bébé"... Ces deux-là sortent ensemble, alors. Luce soupira et se cala du mieux qu'elle pouvait sur le siège.

Pourquoi cette déception ? Tu ne le connais même pas, songea-t-elle.

Le bus s'arrêta, et les élèves descendirent sans se presser. Luce attendit que tout le monde descende pour se lever. Mia passa donc devant elle, ses cheveux blonds clairs relevés en un chignon parfait. Elle lui jeta un petit coup d'oeil et, voyant que Luce la regardait déjà, elle lui offrit un petit sourire adorable.

Elle est vraiment magnifique.

Luce lui rendit un sourire crispé, qui ressemblait plus à un sourire froid qu'à un sourire amical. Mia détourna le regard et descendit les marches. William, qui était juste derrière elle, garda les yeux rivés au sol. Luce descendit à son tour et prit une grande bouffée d'air frais. Elle ferma les yeux, expira et se tourna vers Garance qui lui fit un sourire.

-Allez viens, on va voir la taupe, lança-t-elle en faisant allusion au professeur d'SVT qui avait une tête de taupe.

Luce rigola et la suivit.

C'est repartit pour une journée, pensa-t-elle.