Chapitre XXI

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Le cœur battant, Seth revint à lui. Il ouvrit les yeux et, sentant encore ses tempes qui tambourinaient contre son crâne, il lui fallut plusieurs minutes pour reprendre pleinement ses esprits. Les images revenaient peu à peu, comme des pièces d'un puzzle atroce ; l'évanouissement, la projection, le bureau du Cardinal, les dossiers dans lesquels reposait le noir secret du complexe divin. Et en arrière-plan de cette découverte glaçante, un cri sourd, perdu aux confins d'une mémoire capricieuse. Quel cri ? Que signifiait-il ? Déjà l'inconscient du jeune homme oblitérait son excursion extra-dimensionnelle. Un appel trop lointain ? Trop insaisissable ? Ou simplement trop diffus pour parvenir à s'ancrer dans les couches supérieures de la pensée. Le souvenir du petit professeur et de sa victime sombra de nouveau dans les bas-fonds de la mémoire, non sans l'espoir qu'on le ravive un jour.

Un sentiment d'absence perdura cependant. Assis contre son lit, Seth cherchait l'élément qui justifiait le vide dans sa poitrine. Une angoisse le hantait, mais il ne parvenait pas à en expliquer l'origine. Il mit cela sur le compte de sa récente découverte ; le mythe du Séraphin s'écroulait sous le poids d'une idole trop massive pour être vraie. Depuis le début, l'immortel entrevoyait un marionnettiste derrière ce culte en carton ; les rituels, les cérémonies, les prières établissaient un ordre parfait au cœur duquel une note centrale sonnait faux, quoi qu'on en dise. Même le prosélytisme enflammé du Cardinal s'envolait si haut qu'il en paraissait parfois forcé. Néanmoins, sa capacité à exalter les foules demeurait admirable, d'autant plus lorsqu'on savait qu'il consultait des rapports d'expérimentations illégales à ses heures perdues.

Prêcher devant ces gens, crédules et doux, pour leur réserver un sort pareil, songea Seth en se remémorant les photographies des corps. Des ouailles aux portes d'un abattoir dans lequel elles rêvent de se précipiter... Le jeune homme imagina la douleur que devaient éprouver les pensionnaires du complexe – certains d'avoir été élus par ce Déchu qu'ils vénéraient – quand ils se retrouvaient ligotés sur une table, à subir d'innommables expériences. La peur de la dissection, il l'avait éprouvée à son réveil et, pour une étrange raison, elle chatouillait encore dans son cerveau des intuitions qui ne parvenaient pas à se cristalliser en images.

Seth effleura sa chevalière. L'espace d'un instant, il voulut retourner dans le cabinet secret du Cardinal, à la recherche d'un dossier qui porterait peut-être son nom. Le cavalier divin du Séraphin, il n'y croyait plus une seconde – si tant est qu'il y ait cru à un moment – mais la thèse de l'expérience scientifique échappée d'un laboratoire lui paraissait plus probable. Cependant, en y réfléchissant, il n'entrevit pas un moment où l'on aurait pu jouer au docteur Frankenstein avec son corps. Il connaissait les circonstances de son décès ; il s'était écoulé peu de temps entre l'accident, le transport à la morgue et son réveil. Or, selon les dossiers, les expériences que l'on menait sur les sectateurs du Séraphin demandaient du temps, de nombreuses vérifications et une planification soigneuse – un ensemble d'éléments qui motivait justement la mise en place d'une mascarade aussi vaste que le « complexe divin ». A priori, la recherche de cette fameuse compatibilité mentionnée dans chaque rapport ne s'obtenait pas en quelques minutes.

Même s'il se sentait proche de la réponse tant désirée, Seth aboutit une fois de plus à un cul-de-sac frustrant. Personne ne lui dirait donc jamais la vérité sur ses origines ? Connaîtrait-il un jour sa véritable nature ? Il se persuada que oui et se promit d'explorer davantage la piste du laboratoire clandestin. Toutefois, conscient qu'il s'apparentait désormais davantage à un prisonnier qu'à un invité après sa dispute avec le Cardinal, le jeune homme estima préférable de poursuivre son enquête une fois qu'il aurait faussé compagnie aux zélateurs du pseudo-Déchu.

Perclus, l'immortel se releva à grand-peine. En passant une main sur sa nuque, il la sentit aussi lisse et intacte qu'à l'accoutumée ; il ne gardait aucune séquelle de l'agression du gardien. Ses douleurs provenaient donc d'ailleurs. En y réfléchissant, il parut alors évident à Seth que les efforts psychiques qu'il investissait dans sa projection astrale se répercutaient sur son corps ; comme un élastique sur lequel l'on tire, son esprit rompait d'un coup sec s'il s'éloignait trop. Une fois de retour dans son enveloppe charnelle, le pauvre garçon payait l'addition.

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