Chapitre III

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Depuis la ruelle, Seth épiait l'inspecteur au moment où il sortait de la morgue. Il se doutait que la police viendrait se mêler de cette affaire, alors pour en avoir le cœur net, il était revenu sur ses pas. Les caméras avaient dû filmer sa petite évasion, sans aucun doute. A présent, ils connaissaient probablement son identité, et cela le terrifiait.

Un mort qui se lève et prend la fuite, rien de très courant dans les parages. Cette affaire intéresserait à coup sûr les journaux locaux, voire nationaux, et peut-être même que les fédéraux s'en préoccuperaient. Bientôt on verrait les images sur toutes les télés ; on l'y exhiberait comme un monstre de foire. Il serait traqué jusque dans le plus petit recoin de la ville, menacé par les services secrets ; on le capturerait pour le disséquer, faire des expériences sur son corps, ou on le parquerait comme un animal.

Il imaginait déjà les gros titres apocalyptiques avec lesquels on assommerait la population, à coup de références bibliques. Les prédicateurs allaient se régaler ; enfin ils auraient le loisir de sortir de leur trou pour proclamer au monde entier l'arrivée du Jugement Dernier. Ils affirmeraient, fiers comme des paons, qu'un bouquin écrit des centaines d'années plus tôt prédisait sa résurrection.

Résurrection. Un bien grand mot, mais désormais une réalité. Alors, après tout, se pouvait-il que ces histoires soient vraies ? Que Dieu se soit penché sur lui, insignifiant petit insecte humain, pour le ramener parmi ses semblables ? Quand les autres en arriveraient à cette conclusion – parce qu'ils y en auraient toujours pour le penser, inévitablement – que lui feraient-ils ? Existait-il des crucifix assez puissants pour tenter de le renvoyer chez le Créateur ? Serait-il vénéré ou haï ?

Le jeune homme recula dans l'ombre, cherchant à se dissimuler de ses ennemis invisibles. Il se recroquevilla derrière une poubelle et tenta d'ignorer les bruits de la ville qui l'assaillaient. Des images déferlaient dans son esprit, des fantômes, incarnations de ses pires craintes. La douleur lui déchirait le crâne, comme si son cerveau cherchait à se diviser en deux morceaux distincts. Il s'imaginait sur une table d'opération, les entrailles à l'air, ses organes dans des bocaux. Des hommes en blouses blanches, couverts de sang, l'entouraient en brandissant des scalpels. Les lames étincelaient, puis l'entaillaient derechef. Plus la panique l'envahissait, plus les spectres de la terreur s'acharnaient sur lui, puissants, presque réels. Il se débattait, aux prises avec son propre esprit, jusqu'à s'en frapper la tête contre les murs.

La journée passa ainsi, tantôt sous la pluie, tantôt à la douce lumière du soleil. Seth ne bougea pas, paralysé en position fœtale. Quiconque l'aurait trouvé là aurait pu le croire mort de tétanie. Il resta longtemps roulé sur lui-même, au bord de la folie, à lutter contre des moulins à vent chimériques.

Assimiler l'idée de la mort paraissait impossible ; le paradoxe conduisait le jeune homme à la frontière entre raison et délire.

La lune apparut au-dessus de la ville, l'irradiant de sa lumière claire et froide. La fraîcheur de la nuit se posa sur Seth et l'apaisa de son mieux, comme une douce couverture. Il reprit progressivement le contrôle. Il émergea de ces brumes qui l'environnaient depuis presque vingt-quatre heures. Les images s'estompèrent jusqu'à se fondre dans la noirceur environnante. Seth se rendit compte de la situation dans laquelle il se trouvait. Il avait touché du doigt la folie, et elle le menaçait encore, à l'instar d'un chien enragé qui gronde avant de revenir à la charge. A chaque seconde qui passait, ces peurs cauchemardesques menaçaient de rejaillir, accompagnées par de terribles visions.

Il fallait agir, bouger pour ne pas sombrer à nouveau, Seth le réalisa. Il détendit progressivement ses muscles crispés et réussit à se relever. En s'extirpant de la gangue malsaine qui s'était formée autour de lui, il eut la sensation de renaître. Il comprenait à présent qu'il devait laisser ses peurs en retrait s'il ne voulait pas qu'elles le consument. Ce mince fil de raison l'empêchait de disparaître définitivement dans l'immense gouffre qui lui servait d'esprit, aussi s'y raccrocha-t-il de toutes ses forces.

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