17. Un dimanche matin à l'aqua-parc

447 66 26
                                    

Frank était un garçon particulièrement rancunier. Que ce soit dans son collège ou en vacances, il avait besoin d'avoir sa bande à lui, inféodée à son bon vouloir. N'arrivant ni à briller par son charme naturel, ni par ses résultats scolaires, il ne lui restait plus qu'à inspirer la crainte autour de lui pour ainsi gagner le respect des plus faibles et lâches de ses pairs. Cela lui permettait de considérer qu'il n'avait pas tout à fait raté le début de sa vie pitoyable.

Autant dire que le camouflet humide que lui avait infligé Aaron quelques jours plus tôt lui était resté coincé en travers de la gorge. Être tombé sur un garçon qu'il n'arrivait pas à effrayer et qui faisait plus que lui tenir tête l'insupportait. D'autant plus qu'il n'avait aucune prise sur ce dernier. Aucune insulte ou brimade ne semblait avoir de l'effet. Et comme son rival ne se séparait jamais de Thomas et de Lucas, il était impossible de l'isoler pour lui faire passer un mauvais quart d'heure. Frank enrageait. Mais comme le dit le dicton, « la vengeance est un plat qui se mange froid ». S'il n'était pas envisageable d'affronter Aaron en face à face, il fallait le faire de manière lâche et sournoise. Ce n'était pas un problème. Après tout, il s'agissait là du mode opératoire préféré de Frank.

Son plan anti-Aaron fut lancé le samedi. Un plan longuement pensé. Un plan d'une grande lâcheté. S'il était impossible d'attaquer le garçon de front, il fallait alors détruire sa réputation. Répéter, déformer, amplifier. C'était les trois mots que Frank avait fait passer à ses quatre acolytes. Il fallait profiter du premier jour du week-end, une journée libre dans le camp sans activité extérieure, pour faire circuler la rumeur. Il fallait que tous les vacanciers sachent quel petit voyeur vicieux était Aaron. Le bouche à oreille ferait le reste et personne ne saurait jamais qui avait lancé en premier les ragots. Frank jubilait. En poussant ses compères à faire le sale boulot, il était intouchable.

Il fallut attendre le dimanche matin avant que l'information ne revienne aux oreilles d'Aaron après avoir fait le tour du camp. Alors que les enfants venaient d'arriver à l'aqua-parc pour la journée, Lucas prit son camarade à part :

« Aaron, je sais pas qui, mais il y a quelqu'un qui est allé balancer que tu avais espionné les filles dans les douches, tout le monde est au courant. Il ne va pas falloir longtemps avant que les monos le sachent eux aussi ! »

D'un haussement d'épaules, le garçon répondit :

« Et alors ? C'est vrai après tout. C'était vraiment pervers n'empêche. Mais les monos peuvent rien faire, ils peuvent pas le prouver. Faudrait que Kilian aille leur balancer les détails, mais il n'est pas taré, lui aussi a regardé. Il sait très bien que ça lui retomberait dessus ! »

Lucas eut un mouvement de recul. Aaron le fascinait. C'était comme si l'adolescent prévoyait tous ses coups à l'avance et n'avait peur de rien ni de personne. Ou alors, il était juste inconscient.

« C'est pas tout ! C'est limite du délire ! Thomas, on lui a dit que t'avais carrément pris des photos, et moi, y a Carla et ses copines qui sont venues me voir pour me demander si c'est vrai que tu t'étais branlé devant nous ! Ça part dans tous les sens ! »

Aaron baissa le regard vers ses pieds. Son visage était fermé, on pouvait y lire de la colère et une pointe d'inquiétude.

« On sait qui a fait partir la rumeur ? »

« Non justement ! Ça vient de tous les côtés ! Ça peut très bien être Kilian, comme ça peut être Jules ou Frank ! Je sais pas moi, tout ceux de la chambre étaient au courant de c'que t'as fait ! »

« C'est pas Jules. S'il devait s'en prendre à quelqu'un, ça ne serait pas à moi et il est trop peureux pour prendre ce genre de risque. Et c'est pas Kilian non plus, c'est pas dans son tempérament de faire des coups d'pute en douce. »

« Mais ça peut pas être Frank ! Et notre pacte de non agression ? »

Aaron leva les yeux au ciel en tournant machinalement la tête de gauche à droite et en expirant fortement par la bouche. La naïveté de Lucas l'amusait, bien que ce ne fût pas le moment de rigoler.

« Un pacte est fait pour être rompu, Lucas ! Regarde dans tes livres d'Histoire. Enfin, si Frank veut faire le remake des boches contre les soviétiques, il va pas être déçu du voyage… ».

Il faisait chaud ce jour-là. Vraiment très chaud. Jules dégoulinait de sueur en essayant de suivre Kilian dans les nombreux toboggans. Pour le blondinet, c'était l'éclate totale. L'eau était son élément. Il pouvait rester de longues secondes en apnée sans le moindre problème. La tête sous l'écume, c'est comme si le monde extérieur n'existait plus. Comme si plus rien n'avait de prise sur lui. Il se laissait flotter entre deux eaux, sans respirer. Il se sentait bien. Puis, quand l'oxygène venait à lui manquer, il jaillissait d'un seul coup, secouant sa crinière blonde comme un félin. La scène était cinématographique et faisait le bonheur des filles assises sur le bord du bassin. Léna soupirait en fixant son petit blondinet. Il fallait bien avouer qu'elle craquait pour lui. Il semblait à la fois fort et fragile, comme coincé entre la maturité de l'adulte et la tendresse de l'enfance. Ses cheveux légèrement bouclés réfléchissaient la lumière du soleil. Des gouttes s'en échappaient pour couler sur son dos bronzé. Quand il levait les bras au ciel, comme pour s'étirer, cela mettait en valeur ses muscles légèrement sculptés. Kilian était loin d'être une armoire à glace, mais il était racé. Il n'y avait pas un poil de graisse qui dépassait de son corps aussi doux qu'imberbe. Elle le trouvait adorablement mignon, sans défaut.

« T'as vu son maillot vert moulant ? Ça lui fait un de ces culs ! »

Béa', sa grande copine ne pouvait s'empêcher de faire des remarques déplacées quand il était question de garçons. Elle semblait avoir une dent contre le romantisme. Ou plutôt les crocs. Léna la poussa à l'eau en la traitant d'idiote, puis plongea en direction du jeune garçon qui s'amusait à présent à couler ce pauvre Jules. D'un coup sec, elle se jeta sur lui et de tout son poids, elle lui appuya sur les épaules. Bien qu'ayant pied, le jeune éphèbe se laissa couler pour lui faire plaisir, tout en en rajoutant un peu :

« Naaan, à l'aide, elle me coule ! À l'aide ! Aaaaaarg »

Léna le trouvait d'autant plus craquant qu'il cherchait constamment à lui faire plaisir. Et c'est vrai que ce maillot de bain le mettait plutôt en valeur, pensait-elle secrètement en rougissant.

L'intérêt des jeux aquatiques, c'est qu'ils permettent tout ce qui semble complètement déplacé au sec. Que ce soit au niveau de l'accoutrement, où la quasi-nudité n'est plus un problème mais la norme, comme au niveau des mains qui se font allégrement baladeuses et chatouilleuses. Les deux adolescents en émoi s'en donnèrent à cœur joie et passèrent la matinée accrochés l'un à l'autre dans l'indifférence générale. Seul Jules lâcha un soupir profond, l'air un peu désabusé alors que le soleil approchait de son zénith.

« Bon, si personne ne veut me couler moi, j'vais manger hein ! »

Ce qu'il aimaitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant