Chapitre 34 : Compagnie

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— Mais ça reste étrange : ce n'est pas Orthal qui a déclenché ces rêves lucides chez-moi. C'est la mort de Feu-de-Sang. Mais je n'ai aucun lien spécial avec elle, elle a failli me tuer...

— Un dragon n'hésiterait jamais à tuer quiconque s'enfonce trop dans son territoire, surtout quand il a une couvée à protéger. Mais Feu-de-Sang ne l'a pas fait avec toi. Elle a peut-être senti quelque chose en toi. Quelque chose de différent par rapport aux autres humains.

— Que veux-tu dire, exactement?

Le blond posa sa tasse vide sur la table et se servit une nouvelle coupe fumante de thé. Il en but une longue gorgée.

— Il y a dix ans de cela, j'ai glissé dans un gouffre et je me suis pété la jambe. J'ai fini ma chute devant une énorme dragonne noire comme la nuit, mais mon fracas l'avait réveillé. Étrangement, l'idée de mourir ici ne me faisait pas peur : j'étais fasciné par sa beauté interdite et le carreau de baliste fiché en plein dans son ventre. Vu comment elle tremblait et saignait, elle n'allait pas passer la nuit. Elle m'a regardé dans les yeux, mais son expression n'était ni enragée, ni effrayée. Elle a levé son aile, et j'ai vu un œuf gris et luisant comme une gemme contre son flanc. Elle l'a poussé de son museau et l'a fait rouler vers moi. Il était chaud et remuait entre mes doigts : ça m'a fait sourire et j'ai serré l'œuf contre moi pour le réchauffer.

Ayden vit le blond fermer les yeux et serrer ses bras tendrement contre son ventre, comme pour émuler le contact dont il parlait avec tant d'affection. Ayden sentit ses joues s'enflammer brusquement et il détourna le regard : il avait l'impression d'assister à quelque chose d'intime, de voir un souvenir qu'il ne méritait pas de voir. Räe poussa un soupir et jeta son regard vers la fenêtre avant de continuer :

— Quand j'ai relevé les yeux vers la dragonne, elle était déjà morte. C'est à ce moment que j'ai senti que je n'étais pas tombé là par hasard. C'était comme si elle savait que sa fin allait venir et qu'elle avait attendu mon arrivée avant de mourir. Bien que je sois un humain, elle a vu quelque chose en moi et m'a donné la responsabilité de prendre soin de Sÿervik. Elle m'a choisi. Je pense que ta Feu-de-Sang avait fait de même.

— Mais alors... pourquoi Feu-de-Sang me hante?

— Peut-être qu'elle a voulu te guider à elle de son vivant, mais qu'elle a échoué? Alors quand elle est morte, elle s'est peut-être... accrochée à toi, dans l'espoir minime que tu sauves Orthal...?

Encore et toujours des hypothèses sans preuves formelles... mais Feu-de-Sang était morte. Elle ne lui offrirait rien de plus que ce qu'elle lui avait déjà donné. Il ne pouvait s'accrocher qu'à ces hypothèses. La dragonne l'avait choisi personnellement pour prendre soin d'Orthal. Il se demanda ce qui avait bien pu passer par la tête du reptile quand ils s'étaient rencontrés... il soupira : il n'avait rien d'un héros. Il était maigrichon, peureux, hésitant et pleurnichard, qui voudrait d'une telle personne comme ultime espoir? Feu-de-Sang aurait quand même pu désigner quelqu'un d'un peu plus fort et courageux que lui. Au moins, il aurait alors pu continuer sa vie paisible et sans problèmes...

Étrangement, la pensée le fit frissonner : car après tout, était-ce vraiment ce qu'il voulait, au fond de lui?

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— Comment as-tu eu cette cicatrice? (Ayden pointa la longue et épaisse estafilade sur le front de Raëghan :) Elle est énorme. C'est un coup d'épée?

— Bien sûr que non, les épées laissent pas de trace comme ça. Pour la faire courte, je suis tombé d'un toit quand j'étais petit.

Ayden devait faire une étrange grimace, car le jeune homme pouffa de rire.

Le Vœu du Dragon (LES ÉVEILLÉS - I)Where stories live. Discover now