Maths suite 10

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Diane demande à Julie de la suivre vers une grande feuille-ordinateur d'un mètre carré pendant que les autres vont faire un tour dans le bâtiment pour s'informer sur les différents projets de recherche et leur cohérence globale.  Elise reste dans cette salle pour interroger les spécialistes. La phase de test du matin ne cherche qu'à évaluer les limites de leur protégée, ils peuvent donc la laisser seule un moment sans affaiblir la qualité de leur soutien affectif. Julie sait que les maths font partie d'elle, elle a grandi avec cette idée et espère impressionner par ses résultats. L'écran affiche une suite de nombres qu'elle reconnait aussitôt comme premiers puis elle lit la consigne. Décrire d'éventuels changements de sa vie quotidienne si les nombres premiers étaient répartis autrement et plus régulièrement. Elle se concentre et pense à la récente démonstration de la conjecture de Riemann. Pas évident de faire le lien entre ces idées abstraites et sa propre vie, pas de façon si pointue en tout cas. Elle cherche les conséquences de la structure des nombres sur les objets physiques pour se rapprocher petit à petit, de causes à effets jusqu'à sa vie. L'univers aurait il une forme différente, la vie serait elle apparue, aurait elle évoluée de la même façon si les nombres se comportaient autrement? Les mélodies de musique classique seraient modifiées surement, l'harmonie musicale repose t'elle sur l'harmonie des nombres? La trajectoire des bulles de transport, l'optimisation de la sonorisation murale, la répartition moléculaire de ses barres de repas en cristaux, peut être pas le cycle de ses menstruations ou alors de façon trop indirecte. Elle dicte toutes ses idées en vrac qui s'affichent à l'écran puis supprime celles qui sont trop tirées par les cheveux. L'exercice suivant lui demande de faire le lien entre l'incomplétude de Gödel et ses conséquences sur la puissance de la pensée humaine puis sur sa place à elle dans l'univers. Elle dicte encore une fois ses pensées à l'ordinateur, aborde ses limites et questionne la possibilité des ubots à les dépasser. Le test d'après demande d'expliquer en langage mathématique des petits problèmes de la vie courante puis avec des mots et de comparer l'efficacité des deux langues. Celui d'après cherche à évaluer son aisance face aux limites des mots pour décrire le monde et l'inévitable recours aux équations pour prendre le relais et approfondir. Elle se laisse ensuite emportée par la réalité virtuelle mais sans les sensations corporelles cette fois, plus abstrait, dans un monde imaginaire où la géométrie obéirait à d'autres lois, les angles d'un triangle feraient plus de 180° et la loi normale des probabilité ne serait pas respectée. Elle s'adapte assez bien à ce nouveau monde, arrivant à distinguer ces lois de l'image qu'elle a d'elle, voguant en sécurité sur les vagues de la différence, se maintenant en équilibre, jouant avec son identité malléable car habituée à dissocier les régularités du monde de son être, à les mettre en perspectives, les relativiser. Elle enchaîne les exercices pendant 3 heures puis repose le casque et rejoint son équipe de soutien qui l'attend dans la grande salle. Elle leur sourit et regarde fièrement son père, désireuse de l'impressionner. Pour ses 13 ans elle se sent déjà comme un poisson dans l'eau avec les nombres. Il lui en faudra une bonne dose cette après midi pour la déstabiliser, du moins elle espère. Ils sortent pendant que Diane range le casque et se penche sur les résultats déjà analysés informatiquement. Les 5 rejoignent le parc en marchant et s'installent au même endroit que la veille au milieu de la roserai en fleur. Julie court après Tom entre les roses pour se défouler physiquement puis elle s'assoit sur ses genoux à coté de Katia qui s'interroge.

-Tu as mater les maths alors? T'as fais quoi? Tu vois des chiffres danser autour de nous là?

-Haha non quand même pas mais ça serait bien d'être pourvu d'un sixième sens qui capte les régularités mathématiques et les traduit directement en équations. Oui je m'en suis bien sortie, fallait surtout accepter les limites du possible régit par les règles implacables des chiffres sous toutes leurs formes. Vers la fin ils ont dû monter le niveau car je sentais la champs des possibles se restreindre dangereusement avec leurs exigences inaltérables et ma vie harcelée par leurs attaques. Je savais que l'expansion de mon libre arbitre était fondamentalement accompagnée par les maths mais je crains de le voir plus cerné que ce que je pensais, frustrant. Au moins comme ça j'aurai une meilleure idée de la façon la plus efficace pour gagner réellement du terrain sur mon libre arbitre, aussi limité qu'il soit, mieux vaut le savoir et l'augmenter un peu que le croire plus grand qu'il n'est et ne pas chercher à le combattre ou mal le faire. Je me demande si je pourrai encaisser plus rapidement ce genre de déterminisme que toi papa, même si ta vie est déjà bien plus affinée que la mienne aux restrictions imposées par les maths?

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