Interlogue : You bet

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— Elle rigole aux blagues de Boyd, aussi...

— Oui, mais tu ne la vois pas quand elle hurle de rire face aux idioties de Ove. Il la fait mourir de rire.

— Heureusement qu'il n'est pas là, il aurait déjà lancé un « Femme qui rit, à demi dans ton lit », ou quelque chose du même genre !

Jonah grogna en entendant la remarque de Nuka, qui souffla la fumée de sa cigarette mentholée par les narines.

— Peux-tu fumer près de la fenêtre ?! fusa le Yoruba, qui ne cherchait qu'un prétexte pour se fâcher contre Nuka.

Sawyer tapota sa propre cigarette contre le rebord du cendrier. Ils étaient chez Nuka : malgré la forte tendance de ce dernier à lutter pour la sauvegarde de la planète et la diminution de la taxe carbone, fumer était parfaitement toléré. L'Inuit prétendait qu'une cigarette n'était pas plus impactante pour l'environnement qu'un pet de vache, qu'il encourageait les économies du tiers-monde et que, puisqu'il ne pouvait pas mourir, il pouvait s'en donner à cœur joie.

— Ne me dis pas que tu crains le tabagisme passif, Jo ? sourit Nuka.

— Je me suis toujours demandé pourquoi tu avais les dents aussi pointues, fit Sawyer en s'efforçant de souffler sa fumée loin de la petite table en fer forgé où les trois Proscrits étaient attablés.

C'était le soir. La table, peinte en blanc, était encore couverte des restes du repas que les trois hommes avaient partagé. Les discussions avaient été calmes, ils n'étaient pas aussi volubiles et enflammés que leurs cadets.

— Je les avais fait tailler, répondit l'Amérindien. Je ne te l'avais jamais dit ? fit-il, surpris.

— Ah, si. Jo, tu pourrais me passer mon paquet de filtres, il est tombé près de ta chaise. Ça va, Bosede ! Pour une fois que je me permets de fumer...

— De fumer, de boire... grogna le géant en se penchant pour saisir le sachet rempli de petits cylindres blancs. Tu arrives encore à faire fonctionner ton cerveau ?

— Je suis stressé, Jonah. J'ai besoin de décompresser. Et je ne bois pas, tu le sais très bien.

— C'est ça...

Nuka décida de faire diversion en voyant s'agiter les ailes des narines du Blanc.

— Je persiste à dire que Ove la fait énormément rire, un peu trop, même, et qu'il faudrait peut-être mettre le holà avant qu'ils ne se mettent à flirter.

Jo, outré, voulut protester de l'innocence complète des rapports de l'Escortée et du Suédois, mais le ricanement de Sawyer accueillit immédiatement ces paroles :

— Toi, quand les autres chassaient déjà le bison dans les steppes, tu étais encore à poils en haut de l'arbre, non ?

Jonah s'étrangla de rire, il ne s'attendait pas à une telle sortie.

— Ha ! siffla Nuka. C'est le dysfonctionnement génétique qui parle. Tu t'es regardé ?! Tu es blanc comme les fesses d'une nonne islandaise et tu ne supportes pas le moindre rayon de soleil ! Niveau darwinisme manqué, tu te poses là !

— Nuka, je crois qu'il faisait référence à ton niveau intellectuel, pas à ta couleur de peau, tenta de rectifier Jonah.

— Oui, prends tes cachets, taquina Sawyer en se basculant en arrière sur sa chaise, un grand sourire aux lèvres.

L'Amérindien donna un grand coup de pied dans la chaise en équilibre et Sawyer s'étala sur la terrasse en jurant.

— Sawyer ! Ton langage ! gronda Jonah. Nuka ! Non, mais tu as quel âge ?!

— Il n'avait qu'à pas insulter mes ancêtres. Facho, va.

— Facho ?! fusa Saw en se redressant, récupérant le sachet de filtres. Je suis une minorité ethnique, ici. Brun, brun, roux. Marron, marron, blanc. Yeux noirs, yeux noirs, yeux verts. Mi-no-ri-té. Bam.

— On t'a déjà dit que tu...

— Ce n'est pas parce que tu es en minorité ethnique que tu as le droit de dire des conneries pareilles ! grogna Nuka en redressant la chaise de son ami.

— Si. C'est une règle de base, sourit Sawyer.

À part eux, Nuka et Jonah se réjouirent de voir leur ami aussi détendu. Lui sur lequel tant de responsabilités pesaient, il devait souvent se faire violence pour garder le cap. Rester ce phare dans la tempête. Ç'aurait dû être le travail de Oliver, mais ce dernier les avait trahi. Pire, il menaçait chaque jour de commettre l'irréparable. Ce dîner informel, entre les trois Vétérans, permettait de discuter de choses légères, parfois de politique ou de philosophie, rarement de leur passé, la plupart du temps des ragots concernant les Escortées – passées ou présente – et les plus jeunes des Proscrits.

— Pour en revenir à cette histoire de Ove, fit Sawyer, elle l'aime bien.

— Oui, comme un ami, compléta Jonah. Il la fait rire comme Boyd la fait rire ou comme...

— ... ou comme tu la fais rire, mais bien sûr, ironisa Nuka en tendant un pot de tabac mexicain à Sawyer. Elle est petite : tout ce qui est grand la fait rire, c'est instinctif ! Oh ! sursauta l'Amérindien en mettant une main sur la bouche d'un air catastrophé. Je ne voulais pas dire ça !

Sawyer et lui éclatèrent d'un grand rire sonore. Jonah les foudroyait du regard.

— Elle adore Raven, grommela Jo. Ce n'est pas pour ça qu'ils rigolent comme des bossus tous les quatre ma... bon, ça va aller, oui ?! On a compris, Nuka !

Ce dernier était hilare.

— Il faut faire quelque chose, si ça va trop loin entre eux, déclara Sawyer d'un ton plus grave.

— Des paris ?

— Oui, aussi. Je parlais plutôt de les éloigner.

— Ils ne sont pas amoureux : c'est à peine s'ils ne se frappent plus ! protesta Jonah. Elle est encore très jeune, il est trop vieux pour elle, précisa-t-il.

— C'est ça. Quatre ans d'écart. La barrière infranchissable ! se moqua Sawyer en roulant des yeux. Non, il faut juste éviter de les laisser seuls ensemble trop souvent.

— Comme avant, en fait ? Pas pour les mêmes raisons, quoi, soupira Nuka. Mais faites attention, Jin, Boyd et Raven ont déjà commencé à faire des paris.

— QUOI ?! rugit Jonah.

— Jo ! protesta l'Inuit. Les voisins !

— Tu connais Jin, sourit Sawyer en allumant la cigarette qu'il avait roulée. Il a parié pour un rapprochement entre les deux. Et il va tout faire pour que ça arrive, ce requin !

Jonah, défait, s'effondra dans sa chaise sous l'œil amusé de ses amis.

— Nuka, murmura-t-il, la voix faible, donne-moi une cigarette...


L'Escorte 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant