Chapitre premier : Ou l'Art de Repérer la Femelle

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L'horloge racle. Elle frotte – elle paraît essayer de retenir le temps –.

Au-dessous, Solène Monchal-Renoubert, le menton pendant, le ronflement léger, la bave délicate. L'élégance en personne, assureraient certains – l'auteure n'est pas certaine –.

Autour, dans toute sa gloire, trône la salle d'attente de Docteure Rieux ! Murs jaunes et affiches sales – et petit corps humain assoupi dans un coin –. Aussi fatiguée que la propriétaire des lieux.

Quelque part claque une porte. Solène sursaute, éveillée.
Pam

Des pas approchent...

Puis la Docteure – la seule, l'unique, l'idole des nations ! – est là, tirant par la main un enfant décrassé. Solène lui sourit. L'enfant ne sourit pas.

Encore une victoire sociale ! elle pense.
« Alors ? » elle dit.

La médecin hésite. Quand elle parle, enfin, c'est dans un souffle tremblant :
« Rien. Je... Rien du tout. Quasiment pas de traces de fumée dans ses poumons. Aucun dérèglement. Enfin, il refuse de parler, mais c'est... C'est comme s'il n'avait jamais... Jamais, jamais ! été exposé au feu.
— Une force de la nature, alors... C'est bien, petit ! Tu iras loin. »

Sous le regard sceptique de cet enfant de chair, d'os, et de traitement anti-chaleur, Solène poursuit :
« Tout est bon, donc ? Je peux le récupérer ? »

La Doc' soudain se fige :
« Solène... Ce n'est pas une bonne idée. Je ne pense pas.
— Oh. D'accord.
— Ce n'est pas contre... C'est juste... Tu es jeune. Trop jeune, je pense. Un petit, ça a besoin de stabilité. »

Sans fureur dans ses yeux de bronze, sans tristesse ou sans espoir, Solène murmure :
« Je comprends. Vraiment. Oui, d'accord. Il faut faire ce qu'il y a de mieux ! Et si ce n'est pas moi... »

Ses mots meurent. Tic tac. D'autres aussitôt renaissent :
« A qui vas-tu le refiler ? Aux Goutins ? Ils en ont déjà neuf, un de plus ou de moins, qui verra ? Ou Bénédicte ! Je suis persuadée qu'elle porte bien les cernes et la démarche lourde des parents débutants. Ou...
— Tous refusent, Solène. »

Ça alors, admire l'autre, l'humanité prêche toujours l'amour du prochain ! Qui s'y attendait ?... – ce n'est pas censé faire aussi mal, si ? –.
« Personne ne le veut, ce gosse. Ils sont tous persuadés que c'est un enfant illégitime. Certains disent même que le môme est sorti du feu, qu'il est enfant du Diable.
— Il n'a pas l'air si diabolique. Un peu calme sur les bords, peut-être, ça cache quelque chose. »

C'était une plaisanterie, bien sûr. – Bien sûr –.

« Les gens ne veulent pas se mêler à tout ça, Solène. C'est ainsi. Tout le monde considère le môme comme un déchet.
— Il ne faut pas dire ça ! »
Solène se jette presque au sol pour rassurer l'enfant :
« Je t'aime, moi, petit. D'accord ? Je t'aime. N'écoute pas les Vilains-Pas-Beaux. »
L'enfant hoche la tête, n'ayant... pas l'air particulièrement rassuré.

Un silence grandit.

Solène l'assassine :
« Dis, Doc'... Qui va le prendre alors ?
— Les services sociaux.
— Non, non. »

Non.

« Crois-moi, il veut ne pas se retrouver là-dedans, le môme ! Le trou dans le système, tu sais quand tu y tombes mais pas quand tu ressors. C'est un tout petit trou dont tu vois le sommet sans pouvoir t'échapper. Je vais le prendre, moi ! C'est le mieux.
— Solène...
— J'ai traîné mon enfance sur les pavés crasseux de l'orphelinat Sainte-Elise. Ce n'était pas le meilleur, crois-moi. C'était hideux, ça puait. C'était un petit coin qui échappait aux règles ! Tu sais, notre monde rond est plein de petits coins. Je vais prendre l'enfant. »

La SilencieuseWhere stories live. Discover now