LES AMOURS ÉPONYMES 4

39. Avec et sans toi

Pas sûre qu'elle détrône la cicatrice de mon nez presque cassé et des petits pois congelés, cela dit.

Mon alibi tient la route, paradoxalement : je n'ai toujours pas le permis, et le trajet jusqu'à la maison de Gérard est trop périlleux pour que n'importe quel être doué de raison me laisse vagabonder seule à travers la campagne crozonnaise. 

— Merci, soufflé-je en m'affalant sur le siège avant, essoufflée, mais curieusement reconnaissante.

— Y'a pas de quoi, marmonne mon ex en démarrant le moteur, le visage fermé et les poings serrés. 

— Je suis désolée, pour ce que je t'ai dit tout à l'heure.

— Nan, je comprends que tu sois vénère. Je me suis plus ou moins invité chez tes parents, et Arielle... 

— Arielle t'a suivi parce qu'elle ne te fait pas confiance, complété-je à sa place. 

Il secoue le poste radio jusqu'à ce que les premières notes de Blinding Lights résonnent dans l'habitacle, mais ne dit rien.

Il a raison. La musique est toujours préférable au silence, dans ces circonstances. 

Sauf quand on est fan de Jul – je parle en connaissance de cause. 

— J'ai essayé, tu sais, confesse Gab' après un temps. Je l'ai aimée un moment, mais elle m'a annoncé qu'elle était enceinte, et je me suis rendu compte que c'était plus le cas. Maintenant, j'essaie d'être présent pour elle et pour le bébé...

Zut. Je n'avais pas réalisé à quel point il était dépassé par sa propre situation.

— Je ne suis pas la mieux placée pour te conseiller...

— Ouais, tu peux le dire, s'esclaffe-t-il nerveusement.

— ... mais je suis tout de même sortie avec toi pendant six ans, rappelé-je en le fusillant du regard, et je peux te garantir que votre relation ne va faire qu'empirer, si tu ne te montres pas honnête avec elle. 

Gabin reste interdit, mais m'offre un sourire en coin, surpris par la justesse de mes paroles. 

— À ta place, je regarderais ce qui se passe devant moi, plaisanté-je pour détendre l'atmosphère. Si je me retrouve impliquée dans un accident à cause de toi – surtout cette nuit –, je t'en voudrai à vie. 

— On va éviter, alors... marmonne-t-il en reportant son attention sur la route. 

— Qu'est-ce que tu vas faire, à propos d'Arielle ?

— La même chose que toi : nous donner une seconde chance.

— En espérant qu'elle fonctionne plus que la première... murmuré-je – plus pour moi que pour lui. 

— Désolé de m'être comporté comme un connard, tout à l'heure, déclare-t-il brutalement. La seule raison pour laquelle tu n'es pas fâchée contre moi, c'est parce que t'es habituée, sauf que c'est pas normal.

Je me tais, sous le choc. Quand Gabin Floc'h a-t-il réalisé qu'il était un boulet, exactement ?

— C'est... c'est ta façon à toi de me présenter des excuses ? 

— Si on veut... marmotte-t-il. 

— Excuses acceptées, dans ce cas ! claironné-je en tâchant de retenir un sourire. 

Malgré tout ce qui s'est passé, malgré tout ce qu'il m'a fait endurer, peut-être qu'une réelle amitié est possible, entre nous.

— Je veux ce qu'il y a de mieux pour toi, Em'. C'est tout. 

Il semble sur le point d'ajouter quelque chose, mais se ravise et resserre sa prise sur le volant.

Savoir trouver les mots ne suffit pas toujours. Parfois, il faut aussi pouvoir les retenir. 

— Moi aussi, Gab'. Moi aussi. 

Aussi étrange que cela puisse paraître, je suis sincère... et curieusement émue. Gabin a toujours déclenché une foule d'émotions, chez moi. Je suis contente que le constat reste le même, malgré le temps et nos différends.

— Si tu es heureuse avec Eliott, alors je suis heureux pour toi, conclut-il après avoir garé la voiture devant la maison de Gérard. 

Je ne sais pas ce qui me surprend le plus : voir mon ex employer un parallélisme de construction, ou sentir à la main qu'il pose sur mon bras qu'il veut réellement mon bonheur. 

Avec ou sans lui. 

— Merci, bredouillé-je. Je vous souhaite le meilleur, à Arielle, Ella et toi.

Bon, peut-être pas à Arielle. 

Mais en quittant mon ex pour préparer mes valises pour Los Angeles, j'ai la certitude d'avoir fait le bon choix, en rompant avec lui, il y a bientôt deux ans maintenant.

Car je préfère l'avoir comme ami que petit ami, et je crois que lui aussi. Enfin. 

Un mot pour décrire ce chapitre ? 👀

Que vous inspire la relation entre Emy et Gabin ? Elle vous semble :

– plus saine dans ce tome 4 😇

– aussi toxique que dans le tome 1 ☠️

Une amitié est-elle réellement possible entre la quiche et le boulet ? 

« Kenavo » = « au revoir », en breton.