2 - Colocation

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Cinq mois plus tôt.

On dit qu'il faut vingt-et-un jour pour se construire une nouvelle habitude. Je dois être terriblement plus lente que la moyenne car personnellement j'ai mis deux mois à m'habituer à la ville de Bordeaux.

Au début, c'était catastrophique. J'ai toujours vécu à la campagne et même si le fait d'emménager en pleine ville était un choix parfaitement assumé, j'avais sous-estimé le choc d'un tel changement.

La nuit j'avais un mal fou à m'endormir avec les bruits de l'extérieur.

Je ne me rendais pas compte des distances : il m'arrivait de prendre la voiture pour un trajet qui aurait été plus court à pied.

Je ne me rendais pas compte de la circulation et de ce que signifiait les bouchons : je suis arrivée plusieurs fois en retard au travail. « Pourquoi tu ne prends pas le bus ? » me demandait Carole. Parce que je suis têtue, que j'ai rêvé d'avoir une voiture depuis mes six ans lorsque j'ai compris que c'était synonyme d'indépendance et que j'y suis très attachée au point de l'appeler Gripoil, et qu'elle est de bonne compagnie. Ah oui : et j'ai un très mauvais sens de l'orientation, donc je ne peux rien faire sans mon GPS.

Je ne me rendais pas compte du stress et du nombre de raisons pour lesquelles les gens peuvent râler : sur ce point-là, je m'y suis fait rapidement, en me mettant à râler à mon tour lorsqu'une vielle grand-mère traversait la route alors que le feu restait vert pour moi seulement quinze secondes et qu'il lui fallait au moins cinq heures pour terminer de traverser.

Et la foule ! Je ne me souviens pas le nombre de fois où j'ai pris un coup d'épaules, ou j'ai dû esquiver un vélo en pleine rue Sainte Catherine.

Je ne suis pas sûre que je serais restée si je n'avais pas eu Carole pour m'emmener dans les endroits les plus sympas – des petits salons de thé cosy, des restos où on mange bien, le comptoir de Magellan qui regorge de babioles en tout genre.

Pareil pour mes collègues : ils m'ont accueilli comme un membre à part entière de leur famille dans un petit cabinet et ont été ravi de voir une nouvelle kiné débarquer fraichement de Dax (je dis toujours que je viens de Dax, car personne ne connaît Oeyreluy, 1 738 habitants s'il-vous-plait).

Et il y a une autre raison. LA raison principale qui fait que je ne quitterais Bordeaux pour rien au monde.

Mon coloc.

Bien dormi ?

Roméo se tient au milieu de la grande cuisine américaine, l'air à demi endormi, ses cheveux blonds cendrés en bataille, en jogging et marcel.

Ça dépend, dis-je, si comme moi tu as entendu...

... le couple d'en-dessous ? Oui. Moi qui étais persuadé que le problème était d'entendre ceux du dessus et que j'avais al chance d'habiter au dernier étage. Tu sais qu'ils ont presque soixante-dix ans ?

Je m'esclaffe.

Non ?!

Roméo hoche la tête.

Ils font pas souvent l'amour, mais lorsqu'ils le font c'est long et bruyant.

Je suis rassurée.

Il penche la tête.

Qu'ils fassent encore l'amour ?

Je veux dire que tu les aies entendus aussi.

Cette fois il hausse un sourcil.

Je veux dire, que les bruits longs et bruyants n'étaient pas le fruit de mon imagination.

Le syndrome RoméoWhere stories live. Discover now