Khromatic Fragment - 1 -

THE NERD

- Il faudrait peut-être que tu fasses ton choix, non ? Ça fait exactement quinze minutes et trente-deux secondes que tu fixes les produits sans rien faire ! Ce n'est pas bien compliqué, d'après mes recherches, le meilleur parti qualité-prix est ce casque-là.

Les yeux noisettes du garçon se déposèrent aussitôt sur l'écran de son téléphone, sur lequel venait d'apparaître un casque gamer à un prix carrément élevé, mais qui semblait effectivement être d'une grande qualité, au vu de sa note et de ses avis. Peu de temps après qu'il ait observer les différents avis, une silhouette faite de pixels se permit d'entrer dans le champ de l'écran. Au premier coup d'œil, il semblait s'agir d'une jeune demoiselle, elle avait de grands yeux bleus et de jolis cheveux roses ondulés attachés en une queue de cheval haute. Quelques unes de ses mèches étaient colorées d'un vert pâle, tandis qu'un beau ruban à carreaux de la même teinte nouait sa couette. Celle-ci portait un cardigan large d'un beige clair et une simple jupe plissée rose pastel. Son visage était souriant et il était possible de percevoir dans le fond de ses yeux pleins de pixels une pointe de malice à l'égard du garçon qui tenait l'appareil dans sa paume. La voix entendue plus tôt appartenait, ni plus, ni moins, à cette fameuse fille coincée dans ce rectangle dernier cri.

- Quoi ? Pourquoi tu me regardes comme ça ? Tu es un streameur célèbre, je te rappelles, et un streameur de cette envergure se doit d'avoir le meilleur matériel pour subvenir au mieux aux envies de ses viewers, n'est-ce pas ? Et ce n'est pas comme si le prix était un problème, vu tous les dons que tu reçois, rajouta t-elle alors qu'elle venait de faire apparaître une glace à l'eau de mer dans ses mains pour faire mine de la manger. Brrr ! C'est froiiid !
- IA, tu ne ressens pas le froid, puis c'est pas vraiment la saison pour manger une glace.
- Rabat-joie !

Le garçon leva les yeux au ciel en signe de fatigue, ce qui allait de paire avec les poches évidentes qui se formaient sous ses mirettes. Sans attendre plus longtemps, il s'empara alors du casque conseillé par la dénommée "IA" et tourna les talons pour aller trouver une caisse automatique où il régla le prix de son achat, ressortant ensuite avec un sac en carton décoré du logo de l'enseigne qu'il venait de quitter. Décidément, il détestait sortir. Il y avait toujours trop de gens dans cette foutue ville, le fait que ce centre commercial était proche de son appartement constituait le peu de motivation qu'il possédait pour aller faire un achat urgent, encore heureux que le soleil n'était pas de sortie, s'il y avait bien quelque chose qu'il ne supportait pas, c'était la chaleur.

- Tout ça pour prendre le casque que je t'ai indiqué, tu aurais pu me demander directement, quand même. Tu sais parfaitement qu'une simple recherche suffit, pourtant !
- Tais-toi, soupira le jeune garçon. Je ne suis juste pas habitué aux magasins et aux rayons... T'es bien placée pour savoir qu'en temps normal, je fais tous mes achats sur internet.
- Exact, un véritable hikikomori*, je dirais même ! Sérieusement, tu ne pouvais pas attendre demain pour la livraison ?
- Bien sûr que non ! J'ai un stream ce soir, fais pas comme si tu connaissais pas mon emploi du temps, tss. Et je te signale qu'on en serait pas là si tu ne m'avais pas fais renverser du cola sur mon casque.
- Quoi ?! Moi, je suis virtuelle, je ne peux pas renverser quoi que ce soit qui aurait des conséquences sur la vie réelle. Conclusion : c'est de TA faute ! Tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même, Frey. De toute façon, je suis sûre que ça te fais du bien de prendre un peu l'air, je suis certaine que si j'étais capable de sentir les odeurs, ton appartement serait à peine respirable.

Malgré leurs petits conflits, il était évident que ces deux-là avaient une certaine... complicité. IA était une intelligence artificielle dont le design et la voix se révélait personnalisable par son utilisateur. Bien entendu, comme Frey n'avait absolument pas réfléchi à un nom, il s'était contenté de juste la surnommer "IA", ce détail lui avait semblé de toute façon trop futile pour qu'il ne s'attarde dessus. Elle était en fait un programme achetable sur le net, permettant à qui le souhaite de créer, en général, une compagnie à celui qui se le procure. Bon, il serait mentir de dire que la plupart des acheteurs étaient en fait de véritables otaku qui voulaient échanger avec au moins une personne dans leur triste vie. Surtout que la personnalisation donnaient un paquet de possibilités, il était même possible d'exiger un surnom de la part du programme pour qu'il puisse vous appeler "maître", ou encore "chéri•e" pour les plus désespérés. Or, Frey, lui, s'était contenté de se faire appeler par son prénom, il n'avait pas la prétention, ni l'envie d'imaginer une relation plus qu'amicale avec une intelligence artificielle. En fait, s'il avait acheté IA, c'était surtout par curiosité. Comme il était plutôt calé en informatique, il s'était demandé ce que pouvait bien donner ce fameux programme qui avait tant fait parler de lui à sa sortie. Au final, malgré lui, il avait fini par s'habituer à sa présence et il la prenait toujours avec lui quand il quittait son lieu de vie, ce qui, d'ailleurs, n'arrivait presque jamais, à moins d'une urgence, comme celle d'aujourd'hui, par exemple. La personnalité était aussi un paramètre modifiable mais il avait prit la décision de ne pas y toucher, préférant laisser IA se développer elle-même, dans un sens. C'est ce qui la rendait unique, au final... mais aussi parfois très agaçante pour lui, il ne le cachait pas. Elle n'apparaissait pas uniquement depuis son portable, mais également sur son ordinateur et autres objets technologiques, comme la télévision ou même des enceintes, pouvant s'amuser à contrôler le son elle-même, car en effet, IA était comme ça. Elle adorait embêter Frey et s'immiscer dans ses appareils pour le faire râler, ce qui était toujours très facile au vu du caractère de ce dernier. C'était une intelligence artificielle malicieuse, joueuse et pleine de vie, elle ne manquait jamais une occasion de rigoler un bon coup.