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                                Je n’arrive toujours pas à croire à ce mauvais rêve qui ne semble pouvoir s’arrêter. Mes larmes coulent sans même que j’y pense, mes sanglots éclatent sans le moindre contrôle. Ca y est, c’est fini. L’instant que je redoutais le plus depuis plusieurs semaines est arrivé, ce coup de téléphone que j’espérais ne jamais recevoir… Il est parti, trop tôt. Jusqu’au dernier moment j’étais présente à ses côtés, je l’ai vu fermer ses yeux, j’ai senti la pression de sa main dans la mienne se relâcher, et puis plus rien, le néant. Le bruit de la machine ne s’arrêtait, les infirmières se précipitaient mais nous savions tous que l’inévitable venait de se produire. Quand j’y repense, ce moment est encore flou dans ma tête, je ne sais pas très bien comment je me suis retrouvée en dehors de la chambre, si loin de lui. Depuis plus d’un an, c’était nous, nous contre le monde, nous qui ne formions plus qu’un. A l’annonce de sa maladie il m’avait prévenu ; mais je l’aimais tant, je ne pouvais me résoudre à le quitter et je ne pouvais le quitter maintenant que je savais, il avait besoin de moi plus que tout au monde. Alors je suis restée. Je ne dirai pas que c’était facile tous les jours, non, loin de là. Mais en regardant en arrière je n’éprouve aucun regret. Nous vivions entre les cours, les longues heures de chimiothérapie à n’en plus finir, les groupes de soutiens aux malades et à leurs proches. C’était nous contre la maladie. Mais tout s’est passé si vite. En l’espace de 6 mois, la maladie c’était généralisée, il n’y avait plus rien à faire. Mais c’est à partir de ce moment précis que mes souvenirs sont les plus beaux. Malgré tout, il avait tenu à réaliser ses rêves, il voulait voyager, et c’est ce que nous avons fait pendant deux semaines. Oui, deux semaines pendant lesquelles nous n’étions plus dépendant du temps. C’était l’homme le plus fort que j’avais connu jusqu’à présent, il s’était battu jusqu’à la dernière minute, et dans ses dernières secondes son regard était encore combatif ; c’était mon guerrier, mon héro à moi. Il y a deux semaines, il a décidé d’arrêter le traitement qu’il suivait ; il disait que de toute manière, s’il était condamné, alors autant ne pas prendre des médicaments inutiles. Et dans le fond nous savions tous qu’il avait raison. Ces derniers jours ne furent pas les plus heureux, il mangeait, parlait, bougeait  difficilement. Et même s’il ne laissait rien transparaître nous savions la peur qui se cachait au fond de lui, cette peur qui se présentait à lui, l’inconnu qui règne derrière la mort. Elle avait frappé à sa porte sans qu’il n’ait rien demandé et l’a pris avec elle dans un dernier souffle.  

                Aujourd’hui, je suis censée prononcer un discours d’adieu devant l’ensemble de sa famille, de ses amis, et de mes parents lors de l’enterrement. Souvent il m’avait demandé de lui rédiger un éloge avant sa mort, mais je n’avais pu m’y résoudre, l’espoir de sa guérison étant plus fort que tout. Mais aujourd’hui, c’est le vide. Cette feuille devant moi reste tristement blanche. Impossible d’écrire un mot. Impossible de raconter à tous ces gens notre incroyable histoire, impossible de leur dire mes sentiments. A vrai dire, je ne sais même pas si je serai capable de parler. Aujourd’hui tout me semble hors de portée. Depuis l’annonce de son décès il y a trois jours, ma vie s’est mise sur pause. Une pause involontaire mais nécessaire. Je ne voyais l’intérêt de parler, l’intérêt de sortir, s’il n’est plus là. Un monde sans Dan est comme une éternité dans la nuit, dans un épais brouillard dont on ne peut se sortir. Il était plein de vie, il était drôle, il savait me sortir de la réserve dans laquelle j’étais plongée depuis ma naissance ; comme une renaissance à chacune de nos retrouvailles. Il m’avait fait découvrir le monde, ouvert l’esprit, et jamais je ne pourrais le remercier. Je devrais probablement profiter de cet éloge pour lui dire tout cela, mais qui me garantira qu’il m’entendra une dernière fois. J’aimerai avoir la certitude que lui aussi, d’une certaine manière, sera présent. Malheureusement, il n’y a que peu de chances et je pense que c’est la fatigue et la tristesse qui doivent me faire parler ainsi.

Soudain l’air devient lourd, presque insoutenable, ma poitrine se compresse, ma cage thoracique semble ne plus répondre aux ordres de mon cerveau qui lui dit pourtant de s’élever. Je commence à transpirer et paniquer. Ma mère arrive alors dans ma chambre comme une furie.

- Respire doucement ma chérie, concentre-toi sur ta respiration. Concentre-toi sur l’air frais qui passe tes narines et sur l’air chaud qui en ressort.

Une crise d’angoisse, encore. Pourtant je ressentais ça comme une mort imminente, comme une attaque cardiaque. Je vivais au rythme de ces alertes depuis maintenant trois jours, et ma mère était devenue la reine du contrôle de la respiration. En deux minutes, la sensation s’était atténuée et ma respiration avait repris son rythme normal. Les larmes aux bords des yeux, je regarde cette feuille désespérément blanche.

- Tu sais chérie, tu n’as pas besoin de préparer quelque chose, dis juste ce que tu as sur le cœur, ce que tu ressens au plus profond de toi. Rappelle-toi que les enterrements sont fait pour les vivants et non les morts, alors dis ce qui te fera du bien, ce qui t’aidera à faire ton deuil.

Mais comment faire le deuil de votre premier grand amour ? 

L'AprèsWhere stories live. Discover now