Chapitre 3 : Le rêve

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Une dernière œillade vers l'arrière le décida : il semblait dormir à poings fermés, il n'avait aucune raison d'essayer de se réveiller tout de suite. Alors sans hésiter, il ouvrit la fenêtre et en enjamba le rebord pour se laisser glisser sur le toit juste en dessous. Voyant que l'ardoise ne glissait étonnamment pas sous son poids, il se mit à trottiner, puis à courir, soulevant des nuages de poussière argentée sur son passage. De si haut, Mérégris était minuscule, ses rues sinuant telles des tunnels de fourmis. Avec le vent qui soufflait dans ses cheveux, il avait presque l'impression de voler. La pensée lui arracha un rire : épris d'une bouffée de confiance, il sauta de son toit pour s'agripper à une charpente en contrebas. Son pied glissa, mais il parvint à se redresser au dernier moment et il continua sa course infatigable vers le pavé.

Une fois arrivé, il se laissa souffler, le sourire aux lèvres, mais son regard intrigué fut détourné par un volute de couleur terreuse qui dansait près du sol telle de la brume. Quand il s'accroupit et approcha sa main, la couleur explosa en teintes diverses de craie et d'argile, sa forme vrillant dans toutes les directions et l'enveloppant entièrement. Une étrange chaleur l'enserra et une agréable odeur de terre et d'humus lui titilla les narines. L'envie de sombrer dans le sommeil le prit de court, mais il parvint à l'ignorer et se releva précipitamment, des questions plein la tête.

Stupéfait, il trottina vers une torche déversant des vagues chaleureuses de jaune et de rouge. Bien que ses doigts soient dangereusement proches des flammes crépitantes, il ne ressentait aucune douleur, au contraire : alors que sa main glissait sur le feu, les couleurs la suivaient et courraient le long de son bras, apportant avec elles leur chaleur et leur éclat qui lui chatouillèrent la nuque. Emportées dans leur élan telle des comètes à la traînée interminable, elles continuèrent leur route, ricochant le long des murs en y laissant une vague odeur de fumée. Ayden courut à leur suite, tout sourire.

En passant devant les maisons, il en reconnut les résidents derrière les fenêtres, en train d'éteindre leurs bougies après une bonne journée de travail. Il aperçut aussi deux Gardiens en train de patrouiller dans les rues, mais ils ne semblaient pas faire attention à lui. Quand il arriva près d'eux pour tendre la main, les soldats firent un nouveau pas en avant et au lieu de le percuter avec leur bouclier orné d'un œil doré percé de lances, ils lui passèrent au travers comme des spectres. Ayden poussa un soupir surpris et regarda les Gardiens bifurquer dans une ruelle sans même faire attention à lui.

Quel étrange rêve... même les visages des gens étaient familiers, leurs mimiques aussi... tout semblait si irréel et pourtant si normal... ses mains effleurant les murs des bâtisses arrachaient des éclats de grisaille et de beige qui dansaient devant ses yeux brillants. Ses foulées soulevaient le brun de la terre et les étincelles argentés de la poussière. Quand ses cheveux frôlèrent le feuillage d'un arbre, le vert et le rosé virevoltèrent, lui apportant des fragrances enivrantes. Le vent sec et porteur de parfums étrangers gonflait ses vêtements dans un tourbillon de bleu nuit semblable au ciel. Même sa propre respiration semblait être faite d'un bleu glace tournoyant. La pléthore de couleurs et d'odeurs lui donnait le tournis : alors qu'il passait un virage un peu trop serré, sa vision se troubla brusquement et il chuta avec un cri surpris.

Ayden tenta de se redresser, mais l'esprit encore sonné par le coup, il retomba en gémissant. Il lui fallut plusieurs minutes à haleter contre le pavé pour que ses vertiges disparaissent et qu'il puisse s'asseoir sans retomber immédiatement. Autour de lui, les couleurs se dissipaient lentement alors que leur danse effrénée se calmait, le laissant à la fraîcheur de la nuit. L'engouement qui faisait palpiter son cœur s'était effacé pour laisser place à une sensation de fatigue frissonnante. Il frotta ses yeux alourdis. Il était peut-être temps pour lui d'arrêter ce rêve bizarrement éprouvant : il avait la sensation qu'il n'allait pas être totalement reposé après un tel songe.

Le Vœu du Dragon (LES ÉVEILLÉS - I)Where stories live. Discover now