Chapitre 15

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Chapitre 15 :

Notre jeu.
 
Je recule devant la force de ces mots inattendus.  Il tend le bras et, bien que je
prenne sa main sans hésiter, je secoue la tête. Moins pour protester que parce que je suis désarçonnée.
 
– Je... je ne comprends pas.
 
– Je crois que si. Et tu en as envie aussi. Avoue, Nikki... As-tu laissé ta culotte chez toi parce que tu aimes la sensation de ne pas en porter, ou parce que tu aimes savoir que tu es prête à m'accueillir ? Que je peux te toucher, te prendre, où et quand je le désire ?
 
Je déglutis avec peine, car il a raison. Plus encore, je comprends la mélancolie que j'ai vue dans ses yeux jeudi soir, et cette lueur impérieuse quand il m'a possédée après minuit.
 
Il a raison. Je lui appartiens.  Comment peut-il en être autrement,  alors qu'il est désormais dans mon cœur ?
 
Mais ce qu'il demande ?
 
Il me scrute du regard implacable qu'il a quand il évalue une transaction d'affaires ou un rapport financier. Mais je suis une femme, et mes émotions n'ont rien d'une courbe de la Bourse. Il le sait aussi, bien sûr, et sous ce masque d'intellect dur et logique, je vois qu'au fond il est vulnérable.
 
C'est ce qu'il désire. Peut-être même ce dont il a besoin. Et c'est à moi qu'il a confié tout le pouvoir de cet instant. Mon cœur se serre, car en vérité j'en ai envie aussi. N'est-ce  pas pour  cette raison  que je me suis  sentie perdue  toute la soirée ? J'ai découvert une nouvelle facette de moi-même en jouant à notre jeu ; et même si j'étais « à lui », je me suis sentie plus libre que jamais. Plus maîtresse de moi-même et de mes émotions. Plus équilibrée, me dis-je en caressant du pouce le doigt autour duquel j'ai enroulé ce fil tout à l'heure.
 
Je me tiens toujours à la vitrine et baisse les yeux sur les deux livres de Bradbury. Je ne peux m'empêcher de frissonner en repensant à l'histoire que m'a racontée Harry. Je l'imagine, jeune et plein de force, pédalant sur sa bicyclette pour échapper à son père, aller à la rencontre de son héros, un homme qui a façonné des univers avec son encre et son imagination. Des univers inventés, mais assez réels pour un garçon qui avait besoin d'évasion.
 
Que fait-il à présent ? Forge-t-il une réalité faite d'artifices et de faux-semblants pour m'attirer dans cet imaginaire avec lui ? Mais ce n'est pas le fantasme que je veux, avec Harry, c'est la réalité. Les moments où Harry me laisse entrer dans son passé et entrevoir un peu de son cœur, comme l'anecdote de Bradbury.
 
Ma poitrine se serre tandis que mon regard va de la vitrine à ses yeux, tout aussi transparents.  Il attend ma réponse. J'ai envie de fondre contre lui et de murmurer « Oui, oui, bien sûr ». Mais je reste paralysée par la peur de me retrouver entraînée dans quelque chose qui n'est pas réel et ne le sera jamais.
 
– Pourquoi ? Avant, tu disais que tu me désirais. Mais tu m'as, à présent, avec ou sans le jeu. Je lève la jambe et lui montre le bracelet de cheville en émeraudes. Je le porte toujours, Harry. Tu sais que je ne le quitterai pas. Alors, pourquoi ? Qu'est-ce que ça change ?
 
Il incline la tête vers la vitrine.
 
– Tu dis que tu veux que je m'ouvre davantage, répond-il. Je m'émerveille de voir qu'il sait toujours ce que je pense. Je le veux aussi. Je ne veux pas qu'il y ait de secrets entre nous, Nikki.
 
– Tu m'as parlé du centre de tennis.
 
– Je ne t'ai pas tout dit. Je ne réagis pas, car je sais qu'il dit la vérité. J'ai besoin de paramètres,  Nikki. Surtout en ce moment.  J'ai besoin  de savoir... Il marque une pause et se détourne, les dents serrées, cherchant ses mots. De savoir que tu seras là avec moi, quoi qu'il arrive.
 
Il semble si vulnérable... Je rougis d'avoir ce pouvoir sur un homme comme lui, qui en même temps a tant de force.
 
– Parce que tu ne le sais pas déjà ? Moi, si. Une lueur sombre passe dans son regard.
 
– Comment le peux-tu, quand tu ignores encore tant de choses ?
 
Il ne dit rien que je n'aie déjà envisagé, mais, fugacement j'ai peur. Quels sombres secrets Harry garde-t-il encore enfouis ?
 
Le fait est que je comprends mieux que quiconque combien il a besoin du jeu s'il compte tenter de s'ouvrir à moi. Même les plus intimes confidences représentent un grand pas pour lui. Mais les horreurs de son passé, comme le suicide de la jeune Sara Padgett, et la culpabilité qu'il a éprouvée ensuite, font partie des choses que Harry ne peut confier s'il n'a pas de filet de sécurité. La vérité se fait jour en moi. Le jeu est son filet de sécurité. Et une fois installé, n'est-il pas logique que le physique entre nous renforce aussi l'affectif ?
 
Je m'invente peut-être des excuses, et je ne peux nier que je désire ce qu'il me
propose. Mais ce désir brûlant n'apaise pas la peur lancinante ancrée en moi.
 
Harry doit percevoir mon hésitation, car il tend sa main vers la mienne. Alors seulement je réalise que je m'acharne sur le doigt que j'ai maltraité plus tôt dans la soirée.

– Peux-tu me le dire ? demande-t-il doucement.
 
– J'ai peur, réussis-je enfin à souffler.
 
– De quoi ?
 
– De toi, dis-je. Je le regrette aussitôt à la vue de son regard étonné et meurtri. Non, non, pas de ce point de vue-là. Je me rapproche et prends son visage entre mes mains.Tu es ce qui m'est arrivé de mieux dans toute ma vie.
 
– Ça paraît terrifiant.
 
Je souris, reconnaissante qu'il cherche à me mettre à l'aise.
 
– Parfois, j'ai peur de t'utiliser. Je marque une pause, attendant qu'il plaisante, me dise qu'il serait ravi que je l'utilise comme ça me chante. Mais il reste silencieux, et je me rends compte qu'il comprend à quel point c'est difficile pour moi. Comme une béquille.
 
Je pense aux cicatrices sur mes cuisses. Au fil que j'ai enroulé autour de mon doigt. Au poids du couteau dans ma main et à l'extase cuisante que j'ai éprouvée quand la lame a entaillé ma chair.
 
Mais, surtout, je vois combien j'avais besoin de tout cela, et les cicatrices que je porte sont le témoignage de ma faiblesse. Je baisse les yeux pour ne pas croiser le regard de l'homme qui m'a déjà tellement percée à jour.
 
– J'ai peur que tu ne sois un substitut à ma douleur.
 
– Je vois.
 
Aucune émotion dans ces mots. Ni colère ni peine. Rien.
 
Puis le silence. Je n'ose lever les yeux. J'ai si peur de ce que je vais lire sur son visage.
 
Quelques secondes seulement passent, mais elles sont lourdes du poids de tout le non-dit. Puis il glisse un index sous mon menton et me relève la tête, si bien que je n'ai d'autre alternative que de fermer les yeux ou le regarder si je veux lui échapper.
 
J'affronte son regard, et ravale immédiatement mes larmes. Je ne lis ni colère ni peine dans ses yeux, mais de l'adoration, peut-être même du respect.
 
– Harry ?
 
– Oh, ma chérie... Il se rapproche, pas trop, pour me laisser un peu de liberté, mais suffisamment pour me donner de la force. Dis-moi, dis-moi ce que la douleur est pour toi.
 
– Tu le sais, dis-je.
Je lui ai déjà expliqué tout cela.
 
– Réponds-moi.
 
–  Elle me stabilise...  je murmure,  tandis  qu'une  larme  roule sur  ma joue.  Elle m'équilibre. Elle me donne de la force.
 
– Je vois, dit-il en essuyant la larme de son pouce.


– Je suis désolée.
 
– Moi, non.
 
Un sourire se dessine au coin de ses lèvres et je me rends compte que ma peur s'envole. Que je suis, en fait, pleine d'espoir.
 
– J'ai honte, Nikki. Tu ne le vois pas ? À mon expression, il doit être clair que non, car il poursuit. Si je fais tout cela pour toi, si je t'apaise, t'équilibre et te donne de la force,  alors  c'est  plus  précieux  pour  moi  que  tout  l'argent  gagné  par  Styles International.
 
– Je...
 
Je ne sais pas quoi dire. Je n'avais encore jamais envisagé la situation  sous cet angle.
 
– Mais, ma chérie, continue-t-il, ce n'est pas vrai. La force est en toi. La douleur est simplement ton moyen de la réveiller. Et moi, là-dedans ? Je me pique de croire que je suis un miroir pour toi. Que lorsque tu me regardes, tu vois le reflet de tout ce que tu es vraiment.
 
À présent, je ne retiens plus mes larmes ; il va chercher une boîte de mouchoirs en papier sur une table basse. Je me mouche et renifle, bouleversée, un peu ridicule mais merveilleusement heureuse.
 
– À t'entendre, on croirait que tu m'aimes.
 
Il ne répond pas, mais un sourire éclaire lentement ses yeux. Il se rapproche, me prend la tête dans une main et referme ses lèvres sur les miennes, dans un baiser suave et délicat, qui devient si profond et exigeant qu'il s'insinue dans tout mon être.
 
– Dis oui, ma chérie. Dis que tu es à moi.
 
– Pour combien de temps ? je demande, le souffle coupé.
 
Il ne répond pas. C'est inutile. Je lis la réponse dans ses yeux. Pour aussi longtemps qu'il le faudra. Aussi longtemps qu'il le voudra. Aussi longtemps que je consentirai à être à lui.
 
Il reste immobile devant moi. Tant de choses dépendent de ma réponse, pourtant il reste calme et détaché. Harry  est un homme qui montre seulement ce qu'il veut montrer. Il y a tant de choses qu'il veut me dire, et tant d'autres que je veux encore partager avec lui.
 
J'hésite un instant, uniquement parce que je veux le contempler. Je veux graver la vision de cet homme qui a plus de force que quiconque, et pourtant prêt à se faire humble devant moi.
 
Comment ai-je pu penser qu'il partage trop peu ? Sans doute pas des faits précis. Mais Harry m'a ouvert son cœur.
 
–  Oui,  dis-je  en  tendant  la main. Affaire  conclue,  monsieur  Styles.  Un  sourire malicieux envahit lentement son visage, et j'éclate de rire. Oh, mon Dieu !

Trilogie Styles [Tome 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant