6. Les âmes s'attaquent, l'antichambre de l'autre monde

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Le verre cède. Il ne craque pas, ne fond pas, il ploie comme un drap de soie emporté par le vent. Derrière, c’est l’ouragan. Un sifflement strident lui perce les tympans. Les ténèbres et la lumière n’en finissent plus de tourner. Elle est aveugle. Son seul repère est cette main qui enserre la sienne et qui lui hurle de ne pas lâcher.

« Je suis ton arme, tu es mon destin. Tu me rendras ma liberté… ».

Sorayah a une vision. Elle voit Sitry al Taïr avant qu’il ne devienne un démon : il ne porte ni cornes au front, ni bijoux. Son visage est humain sans l’être vraiment. Ses yeux sont un peu trop fin et ses oreilles trop longues. Il est entouré de l’obscurité la plus totale. Son corps est presque transparent.

Parce qu’il est faible. Pense Sorayah.

Il tient une boule d’or dans ses mains comme si c’était la dernière chose qui existait dans son monde. La sphère palpite. Il la broie entre ses doigts pour en boire le fluide noir qui s’en écoule.

Sorayah émerge de l’ouragan, au milieu de l’espace. Il n’y a rien sous ses pieds, elle vole comme on flotte dans l’eau. Autour d’elle, il y a autant de miroir que d’étoiles dans le ciel. Ce sont les feuilles d’un arbre gigantesque. Ses racines plongent dans le sol des kilomètres plus bas et sa cime se perd hors du champ de vision de Sorayah. L’arbre est fait d’ébène. Les lichens sur son écorce sombre brillent de reflets d’argent. Leur clarté se reflète sur l’herbe d’une plaine, des kilomètres plus bas.

Dans le miroir face à elle, Sorayah peut encore voir le monde qu’elle a abandonné à travers une fenêtre. Elle aperçoit Karine, terrifiée, qui la regarde à genoux sur la berge de la rivière. Autour de Karine, il y a les étoiles, immortelles. Le bout des doigts de Sorayah est encore dans l’autre monde. Ils apparaissent rétrécis comme vu à travers les lunettes d’un myope. Ses doigts quittent la surface de l’eau. C’est une sensation douce et triste. Elle vient de traverser le miroir. Ses couleurs changent. Le miroir devant elle lui montre un monde en noir et blanc où lumière et ombre ont été inversées. De l’autre côté, Karine est une silhouette sombre dans un ciel blanc constellées d’étoiles noires.

Sorayah repose sa main sur le miroir. Il s’enfonce comme une bâche de plastique mais il ne cède pas.

-          Il ne s’ouvrira plus… Entend Sorayah dans son esprit.

C’est la voix de Sitry. Il lui tient toujours la main. Il lévite près d’elle, flottant dans une eau invisible. Ses cheveux bleus et ses vêtements de prince des mille et une nuit flottent autour de lui. Il a les yeux fermés. Il semble dormir, d’un sommeil d’humain. Une lumière d’or filtre sous ses paupières à la façon du soleil entre les persiennes d’un volet. La lumière dorée s’échappe aussi de ses lèvres entreouvertes.

D’où vient cette lumière ?

Sorayah se rapproche de lui en volant, sans même avoir fait un geste. Sitry ouvre soudain les yeux. Des yeux de fauve doré. Un sourire découvre les canines de ses crocs.

Sorayah a un geste de recul. Mais Sitry tire sur son poignet pour la ramener vers lui. Ses griffes d’or lui tailladent la peau. Elle crie :
-          Lâche-moi !

Une flamme s’allume dans ses yeux d’animal :
-          Ne me fuis pas !

Sa voix est comme une cloche d’airain dans un monde silencieux. Sorayah se sent seule et faible. Elle tire sur la chaîne d’argent à son cou. Elle brandit la croix devant le démon. Un sifflement s’échappe de la gorge de Sitry, un cri entre la rage et la douleur. Il place ses griffes près de la gorge de Sorayah, à ras de sa peau. Il gronde :
-          Ne m’insulte pas !

Demon Heart : le Voleur de FeuWhere stories live. Discover now