Chapitre VI: Beaux souvenirs, fichus souvenirs

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Faites moi penser à ne plus jamais aller courir avec Maya. Cette fille est inhumaine ! Comment peut-elle à dix heures du matin être aussi motivée et d'attaque pour un footing ? C'est humainement impossible. Ca devrait être écrit dans les lois de la galaxie qu'une personne normale ne peut être au top de ses capacités avant midi et encore seulement si elle a pris une douche et un bol de thé. En tout cas, si c'est écrit noir sur blanc dans les règles qui régissent mon existence, ce n'est visiblement pas le cas de Maya, du moins, pas si j'en crois l'énergie qu'elle dégage encore après vingt minutes de footing intensif. Je suis au bout de ma vie... 

Alors que j'allais m'écrouler au sol, je la vois s'arrêter au bord du lac autour du quel on tourne depuis le début. Je traine alors ma vieille carcasse jusqu'à elle dans un effort de volonté infinie et m'affale dans l'herbe humide à ses pieds. La respiration haletante, je grimace lorsque mon dos proteste vivement. 

- Donc tu cours souvent ? me nargue la rouquine, en s'asseyant près de moi, injustement fraiche comme un gardon. 

Dans un geste révélant une grande maturité, je lui tire la langue. A vrai dire, j'aurais aimé retorquer une phrase bien trouvée mais à l'heure actuelle, le souffle me manque. Mon cerveau étant passé en mode survie, il a donc banni la fonction répartie qu'il ne juge apparemment pas nécessaire pour rester en vie. Dommage...

Je reste un moment là, à regarder le ciel où passe tantôt un oiseau. Je ferme les yeux savourant le silence uniquement troublé par les paillements innocents. La bonne humeur de ma coloc me caresse la peau comme un rayon de soleil, réchauffant mon cœur. Au loin, des enfants rient et jouent. De même, leur joie vient me frôler dans une danse agréable. J'aime ce genre d'instant. 

Je me redresse doucement et mon regard dérive sur la magnifique eau du lac. D'une magnifique couleur marron tirant sur le vert bouteille, il ne donne pas du tout envie de se baigner malgré les vingt-cinq degrés environnant. Mon père le nomme La Mare Salle tellement l'eau est dégoutante. Une délicieux mélange de vase et de pipi d'enfants imprudents comme il dit. Je souris à ce souvenir. 

Jess et moi venions souvent ici quand nous étions enfants. Nous jouions à cache-cache entre les buissons. Je ne compte plus le temps passé à faire des apparaissez-disparaissez dans les hautes herbes. Sa mère, quand elle nous accompagnait, acceptait parfois de nous laisser tremper nos orteils pour le fun. Alors que pour mon père, il n'était même pas question de demander. On pouvait d'ailleurs faire ce qu'on voulait tant qu'on restait à une distance d'au moins un mètre du bord. Je n'ai jamais compris son obsession pour cette interdiction.

Inutile de préciser que c'était donc notre défi quotidien lorsque nous étions avec lui. Celle qui réussissait à toucher l'eau sans qu'il ne la voit, gagnait une glace. Et si elle arrivait même à rentrer jusqu'aux genoux dans le lac, elle pouvait demander une faveur à l'autre et choisir le prochain jeu. Des occupations de gamines qui ont bercé notre enfance. Je revois ses yeux rieurs tandis que Jess rampait sous le banc pour échapper à la vigilance de Cerbère, aka mon père. Je ressens de nouveau sa concentration et sa humeur pétillante qui illuminait mes journées. Comment avons-nous pu en arriver là ? Quand sommes-nous passées de ces innocentes fillettes à des adolescentes paumées ne savant plus quoi se dire ? Et pourquoi n'ai-je pas perçu ce changement, cet éloignement ? A quoi sert mon empathie si elle ne peut même pas sauver les gens que j'aime ? 

Je ne me rends compte que je pleure que lorsque la première larme atteint mes lèvres, y laissant le même goût amer que les souvenirs. Je secoue la tête en essuyant mes yeux, priant pour que Maya ne se soit rendue compte de rien. Je ne pourrais répondre à ses questions. Je n'en aurais pas le courage. C'est un passé qui me colle à la peau et que je ne suis pas prête ni à accepter, ni à partager. Mais la rousse ne dit rien. Elle aussi, s'est allongée dans l'herbe et ferme à présent les yeux, un petit sourire aux lèvres. 

Ses cheveux roux sont étalés en cascade autour de sa tête lui donnant un côté féérique. Son teint pâle et leur couleur flamme est joliment mis en valeur par le vert de l'herbe. Pour un peu on croirait presque à une princesse endormie attendant son prince. Cette pensée bien plus joyeuse que les précédentes m'arrache un petit sourire.

Maya ouvre les paupières à cet instant et me demande ce qui me fait rire. 

- Rien. Je profite de la vie qui est trop courte, je réponds. 

Elle acquiesce sans rien ajouter et nous restons encore un temps, silencieuse à savourer la caresse du soleil de mai. 

- Une glace, ça te dit ? s'enquit-elle soudainement. 

Loin de me tirer de mes réflexions, sa question me replonge dans un souvenir datant d'il y a trois ans. Jess avait prononcé ses mêmes mots au même endroit, juste après le bac de français. 

- Une glace, ça te dit ? Après l'effort, le réconfort comme on dit ! s'était-elle exclamée en sortant du lycée après l'épreuve écrite, les yeux brillants. 

J'avais accepté vivement. Rien de telle qu'une glace pour se remonter le moral ! Le sujet était plutôt bien mais ça reste quatre heures enfermées avec des gens dont le stress et la concentration m'avait étouffée et oppressée tout du long. Malgré tout, je pensais avoir fait une bonne copie. Les dés étaient jetés comme on dit, plus qu'à croiser les doigts. 

A aucun moment, je n'ai senti de mal-être chez elle. Aucune tristesse, chagrin, rage ni même de désespoir. Non, elle était juste résignée et heureuse. Je ne cesse de me dire que j'aurais pu deviner. J'avais mal interprété. J'avais fait une erreur qui avait été fatale. Ses émotions n'étaient pas dû comme je le pensais à la fin du bac, de l'angoisse et au début de la terrible attente des résultats. 

- Allô ? Elana ? La Terre appelle la Lune, vous me recevez ? demande Maya, agitant une main devant mon visage, me coupant de mes souvenirs avant qu'il ne soit trop tard. 

- Oui, je veux bien... murmuré-je, dans un souffle. Je crois que j'en ai besoin... 

Vraiment besoin... 



  


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