5 - David

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 Lorsque je suis tombé, je n'étais que douleur. Chaque muscle me torturait, chaque inspiration me mettait au supplice, mais j'étais en vie et c'était le principal. À présent, je suis debout et mon corps oublie peu à peu le traumatisme de sa chute. J'avoue, je suis surpris de m'en remettre si vite, mais ce n'est pas le plus déconcertant.

John, les flammes, l'entrepôt, la nuit... se sont envolés, remplacés par un ciel sans nuages, un désert de sable blanc, et une jeune femme étrange qui me fixe de son regard d'un vert soutenu comme je n'en ai jamais vu. Elle porte un ensemble clair, elle est apparue tel un ange avec ses longs cheveux châtains qui ondulent librement dans le vent.

Sérieusement, elle n'a rien trouvé de mieux que de se moquer de moi ! Un ange peut-il faire preuve de tant de malice ?

Mon cœur se glace, envisage le pire. Peut-on sentir son corps frémir même dans la mort ? Rien ne me paraît cohérent. J'ai pris un sacré coup sur la tête, c'est la seule explication, je suis en plein cauchemar, je délire... Mais alors pourquoi tout me semble-t-il si réel ?

Je viens de parcourir des milliers de kilomètres sans même m'en rendre compte. À moins qu'on ait inventé la téléportation, c'est tout bonnement impossible. Peut-être ai-je oublié avoir entrepris ce périple ? L'amnésie est une éventualité. Le soleil tape fort, ça serait plausible, mais elle... qui est-elle ? L'aurais-je oublié elle aussi ? Et pourquoi paraît-elle s'agacer de ma réaction ?

– Tu es simplement inconscient, finit-elle par lâcher dans un souffle irrité.

Inconscient ? J'observe mon corps recouvert de mon équipement anti-feu, mes membres noircies se mouvant aisément. Ma tenue ne colle pas au trek en plein désert, pourtant je sens bien que chaque parcelle de mon être est présente. Elle se trompe, je ne suis ni en train de rêver ni d'halluciner. Mais voilà qu'elle s'impatiente :

– Si tu te concentres, tu devrais les entendre s'agiter autour de toi. Ils doivent te ranimer, à moins qu'il y ait des dégâts plus urgents.

Elle me détaille en le disant, comme si elle cherchait sur moi d'éventuelles lésions. Cette nana est complètement cinglée et je refuse de me laisser entraîner dans sa folie. Mon corps va bien, je le vois, je le sens. Je voudrais m'offusquer, m'emporter, mais elle m'observe comme un enfant incapable de réaliser une simple addition.

Ses doigts se posent sur les miens et je frémis. Je perçois son contact, ses mains douces et tièdes. C'est plus tendre, plus intense que tout ce que j'ai éprouvé auparavant, son regard vert me scrute et ça perturbe mes sens. Elle a tort, je ne suis pas inconscient. Est-ce que je la sentirais si elle n'était qu'une illusion ? Et pourquoi rêver de quelqu'un que je n'ai jamais rencontré ?

– Ferme les yeux, murmure-t-elle, respire lentement, sens tes poumons se gonfler doucement, laisse l'air quitter ta bouche... Tu les entends ?

Trop perturbé pour protester, je suis son exemple. L'air tiède apaise mes tensions, mon cœur ralentit, mes sens sont aux aguets...

Soudain, elle n'est plus là. Mon ange gardien s'est envolé, je suis de retour en enfer. Je peine à respirer, j'ai chaud, j'ai froid, j'ai mal de partout. La voix de John réveille mes angoisses : « Allez mon vieux, tiens le coup, on va te sortir de là ». Celle du commandant n'arrange rien : « Installez-le sur la civière ».

Je les sens s'agiter autour de moi, me déplacer délicatement. De nouvelles voix hurlent à mes oreilles : « Il a un trauma crânien », « Mettez-le sous perf, bordel ! », « Prévenez les urgences qu'on arrive »... La douleur revient plus insoutenable encore, la peur, le stress aussi... Je comprends maintenant pourquoi j'ai préféré m'évader, mais je veux rentrer à présent, je veux les retrouver.

Je rouvre les yeux, prêt à leur prouver que je suis avec eux. J'y crois, je les sens, pourtant ça ne suffit pas. La sensation s'éloigne déjà, je ne souffre plus, je ne suis plus entouré de mes coéquipiers. L'ocre des dunes, le bleu du ciel emplissent ma vue... Et elle, elle qui me scrute intensément.

– Que s'est-il passé ? je murmure, davantage pour moi que pour cet ange démoniaque.

Je hais qu'elle s'en amuse, pire qu'elle rompt le contact. Son pas en arrière est comme un océan entre nous. Le vide de la solitude me prend par surprise.

– Comment le saurais-je, je n'étais pas avec toi.

Décidément, cette nana me rend dingue !

– Tu es bien là, tu devrais les entendre aussi ?

Alors que je m'emporte, je me rapproche et le regrette aussitôt. Elle est si petite à mes côtés et elle sent merveilleusement bon, un mélange de fraise et de citron. Est-ce normal de percevoir son odeur quand je ne suis pas censé être auprès d'elle ? Je l'interrogerais bien si elle ne se moquait pas déjà de moi.

– Tu n'as toujours pas compris ? Nous ne sommes là ni l'un ni l'autre.

Alors, vas-y, explique-moi ! Comment puis-je percevoir ton corps qui me frôle un peu partout, ton souffle qui me chatouille le cou et tes beaux yeux verts qui me rendent fou ?

– Peut-être, mais ça y ressemble et j'ignore comment rentrer chez moi !

Elle ricane et je rêve de la malmener en retour, de la bousculer comme lorsque j'étais enfant et qu'un camarade me taquinait. Elle fait vraiment ressortir mes pires travers !

– Tu crois que je serais encore là si je savais comment ça fonctionne ?

Sa réponse me surprend et je me fige un instant. J'aimerais lire de la confusion dans ses yeux clairs, je voudrais qu'elle m'avoue être perdue elle aussi, parce que son amusement lui ne m'aide pas.

– Ça t'arrive d'être sympa ?

Elle souffle bruyamment et me gratifie de l'une de ses répliques énigmatiques :

– Tu n'as qu'à penser à l'endroit où tu veux être et tu y seras.

Plus de détails ne seraient pas du luxe, mais pour une raison qui m'échappe, elle reste avare en précision. À mon tour, j'inspire profondément et ferme les yeux. Je visualise le bâtiment en feu, le chemin qu'ils emprunteront sûrement pour me conduire à l'hôpital, je ressens la nuit et le froid.

Les voix reviennent, je perçois le hurlement des sirènes du camion, les secousses de la route, l'agitation dans l'habitacle. La forte odeur de brûlé et de suie après une telle intervention emplit mes narines. Une main enserre mes doigts, un masque à oxygène recouvre ma bouche et mon nez... Je sens la pression du tensiomètre sur mon bras, l'effet des tranquillisants qui rendent mon corps groggy...

Je suis revenu, j'y crois ! Je rouvre les yeux prêt à affronter mes collègues, j'imagine déjà leurs visages stressés, fatigués. Ce n'est pas eux que je retrouve, mais le sourire ingénu d'une créature plus qu'agaçante.

– Toujours là ? raille-t-elle en se mordant la lèvre inférieure comme si elle pouvait réellement se retenir de rire. On dirait que tu n'as pas encore compris le truc !

Cette fois-ci, c'est fait, je disjoncte.

– Tu n'en as pas marre de te ficher de moi ? je gueule en tournant les talons pour tracer ma route.

Plutôt que de me défouler sur elle, il vaut mieux que je m'éloigne. Je trouverai bien comment rentrer sans elle. Une âme charitable et plus aimable ne devrait pas être si compliquée à dégoter. J'inspecte les alentours. Partout, il n'y a que du sable, j'ignore quelle direction emprunter, mais marcher aura au moins le mérite de me calmer.

Let Me DreamWhere stories live. Discover now