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 - Lexie

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 Beaucoup pensent que l'inconscience n'est rien de plus qu'un néant terne et vide de sens. Ils ont tort. Lorsque votre corps se meurt, votre âme se libère et le monde est à vous. Dans cet univers, tout y est facile et agréable, il ne manque qu'un détail : la foule des vivants n'a pas sa place de l'autre côté. La solitude pourrait me peser, mais ce n'est pas le cas, j'aime trop ma liberté.

Parfois, le monde me rappelle, j'entends les voix que mon corps perçoit. Je n'ai jamais aucune image, mais je suppose que c'est parce que mes yeux sont fermés. Certains disent qu'il existe un moyen de se reconnecter à la réalité, mais ce moyen, je ne l'ai pas trouvé. Il faut dire aussi que je suis très occupée.

Les jours passent sans que je sois capable de les compter. Mes pensées sont embrumées, j'ai du mal à me concentrer. Mon état y est sûrement pour quelque chose, mais je ne souhaite pas m'y attarder. Pour l'heure, je préfère voyager, profiter des trésors que le monde m'offre.

La Thaïlande était splendide. Je me remémore les paysages incroyables avant de finir par les oublier. Combien de fois les images se sont-elles effacées ? Parfois, ça me contrarie, mais pas aujourd'hui. Je suis trop préoccupée pour me soucier des inconvénients de ma situation.

Ça s'est produit face au Temple d'Émeraude. Mon regard brillait par tant de beauté, mais mon cœur lui a frémi, envahi par un froid que je ne reconnaissais pas. C'est son absence qui m'a frappée en premier. J'ai failli l'oublier, moi qui m'étais promis de ne jamais l'abandonner.

Chassant cette sensation désagréable, je traverse l'immense cour de l'Hôtel-Dieu de Paris. De l'extérieur, le lieu semble désert, pourtant je sais qu'il regorge d'âmes en peine. L'entrée n'est pas plus animée, tandis que les urgences sont bondées. Je hais cet endroit, la peur y est si présente que les murs en sont imprégnés. Le désespoir est ici si puissant que parfois il me submerge. Je ne viens que pour Lucas, mais j'ai beau le chercher, je ne le vois pas.

Le long couloir terne dégage un fort relent d'antiseptique. Dire que c'est la seule odeur que je perçois encore ! J'aimerais me souvenir du parfum des fleurs, du plaisir sucré des pâtisseries tout juste sorties du four, je ne sais plus rien de ces petits bonheurs. Décidément, les hôpitaux ne sont pas bons pour mon humeur !

Les soins intensifs, bien que vivants, sont emplis d'un calme rassurant. Les gens qui s'y trouvent se sont sans doute résignés. À moins qu'ils apprécient de se laisser bercer par les murmures des êtres invisibles venus les visiter. Ici, je n'ai pas peur de m'attarder, de demander des nouvelles d'un bambin agité. Peut-être aurais-je mieux fait d'éviter ! La main froide qui enserre mon poignet me fait rapidement regretter.

– Où suis-je ? bredouille l'inconnue sans pour autant me lâcher.

C'est une femme d'une quarantaine d'années au joli regard azur et à la tenue élégante, à condition de ne pas s'attarder sur son chemisier tâché de sang. Baissant les yeux sur ses bas filés, je remarque ses escarpins griffés et ne peux m'empêcher de les lui jalouser. Mes pieds nus sont ridicules à côté et je m'en veux de ne pas avoir songé à me chausser. Si seulement, je pouvais les essayer !

Je l'ai pensé et voilà qu'ils recouvrent mes orteils. Je souris, mais elle pas du tout. Elle n'a peut-être même pas remarqué qu'elle n'avait plus de souliers. D'ailleurs, son expression est plutôt terrifiante ! C'est sûrement dû à sa tête ensanglantée et son crâne en partie enfoncé. Du sang plaque ses cheveux sombres et une oreille paraît lui manquer. C'est dégoûtant et je me retiens de grimacer, je ne souhaite pas l'affoler.

– Vous n'auriez pas vu un petit blondinet d'une huitaine d'années ? je tente, évitant délibérément sa question.

– Je suis morte ? insiste-t-elle, des larmes dans ma gorge.

Let Me DreamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant