Chapitre sept

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— Accorde-moi une minute, me supplie le bourreau des cœurs.

Je me plante face à lui, courbée comme pour me protéger de nouveaux heurts verbaux.

— J'ai conscience de mes actes. J'ai été ignoble et tu ne méritais pas ça. Tu es parfaite, sache-le. Tu as tant d'amour à revendre... C'est moi qui ne me suis pas investi dans notre relation, achève-t-il en époussetant son costume.

Je reste pantoise.

— Je suis incapable de réécrire le passé, mais on peut écrire le futur ensemble.

— À condition d'en avoir envie.

Aux aguets, je tente de calquer ma respiration sifflante sur la mélodie douce qui émane du domaine. Je scrute les alentours, incapable de soutenir son regard.

— Je ne me laisserai plus aller à mes sentiments. C'est toujours la même chose, soutiens-je en brandissant mes mains en l'air.

— Je vais changer, bébé.

Les narines dilatées, je le foudroie du regard.

— Tu ne m'as jamais rien prouvée. J'ai eu tort de penser qu'on se correspondait. Je me suis obstinée à y croire ! Regarde ce que ça me coûte... Tu continues de me détruire.

Côme se balance d'un pied sur l'autre. Ainsi apprêté, il a vraiment le profil du secrétaire de Neta : orgueilleux et individualiste. Avare du pouvoir, avare des femmes.

— Personne ne souhaite me voir à tes côtés, lui dis-je avant de me mordre la langue.

— Tu préfères te baser sur l'avis des autres quitte à remettre ma parole en doute ? Tu ne me fais toujours pas confiance, c'est ça ?

— Comment te faire confiance quand je te surprends à flirter le jour même où on s'est réconciliés ? Tu rends toutes mes craintes réelles...

— Je pensais agir correctement, s'enquit-il, le regard embrumé.

— Foutaises ! Tu ignores ce qu'est la stabilité. Ça ne sous-entend pas de jongler entre des femmes une fois que tu t'es lassé.

Le masque se fissure, je fonds en larmes. Je me frotte la nuque, les yeux, puis agrippe mes tempes. Le poète se touche la barbe. Il semble incrédule – comme si cet échange n'avait pas lieu d'être.

— Quand je disais que tu étais une faiblesse pour moi, Côme, je ne mentais pas. Tu le savais et tu n'as eu de cesse d'en jouer. Encore aujourd'hui, je suis retombée dans tes bras.

— Tu as un grand cœur, a-t-il l'audace de commenter. Pardonne-moi, j'ai été égoïste.

— Tu ne me donnes aucune explication... Tu ne sais pas mettre cartes sur table, ça me tue à petit feu.

Le Don Juan des temps modernes reste mutique. Sa pomme d'Adam remue difficilement. Dans la nuit noire, sa peau brune luit. Ses prunelles noisette contrastent avec ses cornées. Je reprends la parole, désireuse de ne plus me taire.

— Je refuse de te pousser dans tes retranchements. Ça fait des années que je m'accroche à l'idée que j'ai besoin de toi malgré tous les faux bons que tu m'as fait. Je réalise enfin à quel point on tourne en rond.

— Ne dis pas ça...

— Notre histoire est vouée à l'échec, tu ne daignes même pas argumenter. Tu me balances tes excuses à la figure comme si ça pouvait tout arranger, d'un claquement de doigts.

Le grand gaillard rive ses yeux sur le sol. Je tripote ma robe. J'ai conscience que, pour me protéger, je devrais mettre un terme à cette conversation.

ShaltaWhere stories live. Discover now