XV - La jungle de Miranda

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- Ça te dérange si je joue un peu de piano ?

- Absolument pas.

L'Élu se décolla du cadre de la porte pour s'avancer dans le salon, mais la voix de Yeji s'éleva une dernière fois.

- Au fait, avec Ryujin on est en train de voir pour que tu puisses te reposer demain aussi. Je pense qu'ils accepteront, Ryujin sort les dents. N'hésite pas à dormir un peu, même si ça va mieux.

Seungmin hocha la tête, reconnaissant, même s'il s'en voulait d'inquiéter ses amies. Il fit quelques pas dans le salon, toujours un peu fatigué, mais moins que la veille. Après s'être rendormi sous le regard protecteur de Ryujin, il était resté dans un sommeil profond jusqu'au petit matin. Il s'était réveillé dans son propre lit sans même savoir qui l'y avait ramené, et n'avait pas fait grand-chose depuis son réveil. Ça lui faisait bizarre de n'avoir rien à faire, mais il n'était pas contre un peu de repos.

Il s'assit sur le tabouret de piano et resta un moment sans rien faire, les bras le long du corps. Il ne savait pas quoi jouer, il ne savait même pas s'il en avait vraiment envie. Il se sentait vide. Il avait prétendu aller bien mieux devant Yeji, Ryujin et sa mère, mais en réalité, il avait l'impression que la fatigue, malgré son long sommeil, n'était jamais partie. Comme si son corps pesait de plus en plus lourd, et qu'il ne reprendrait jamais pleinement ses forces. Il avait l'impression que l'absence d'exercices n'aiderait même pas la cause.

Et qu'un jour, il s'endormirait comme tous les soirs, tel un fantôme dans ses draps blancs, lui aussi pâle que les draps, aussi lourd qu'une pierre – et qu'il ne se réveillerait pas.

Il ferma les yeux pour chasser ces pensées et les rouvrit. C'était ce soir qu'il verrait Hyunjin pour la dernière fois. Il avait beau réfléchir, imaginer leurs dialogues, leurs actions, tout semblait flou. Il se demandait s'il pleurerait. Il ne pourrait sûrement pas s'en empêcher. Il aimerait tout de même se retenir devant Hyunjin, attendre qu'il soit hors de sa vue. Mais il ne pouvait rien prédire.

Finalement, son doigt se leva, se posa sur le si. La note retentit dans l'air, et quand il la lâcha, elle s'évanouit dans le plafond. Seungmin ne leva pas la tête pour la chercher. Elle lui semblait si loin, cette époque où le piano était bien plus haut que lui, et où Saul se tenait dans son dos pour mener ses doigts sur les touches.

Il soupira et fit retentir un fa dièse, que cette fois il fit perdurer avec la pédale. Cela faisait longtemps que ses pieds l'atteignaient, maintenant. Si longtemps...

Il tentait de se repasser sa vie dans sa tête et n'avait pas l'impression que cela faisait dix-huit années déjà. Il était né, et avait appris le piano, et les murs avaient toujours été du même blanc. Ryujin avait toujours été là, et Aaron, et Saul et les autres. Les mêmes visages, les mêmes murs ; et toujours, les mêmes actions, les mêmes mots. Seungmin avait l'impression d'avoir grandi dans un aquarium duquel il avait fini par cesser de vouloir faire le tour. Dix-huit années, déjà, mais Seungmin avait l'impression d'avoir encore quatre ans, et que le futur était toujours aussi loin. T'es un adulte, maintenant. Il n'en avait pas l'impression. Il n'avait jamais voyagé, jamais grandi. Il avait envie de se faufiler sous les draps, et que sa mère vienne lui raconter une histoire, parce-qu'il était fatigué de ces histoires d'Élu et qu'il avait sommeil. La nuit ne semblait jamais devoir prendre fin, et ses membres pesaient de plus en plus lourd.

Un résonna, un do dièse, un encore. Seungmin n'avait pas de mélodie précise en tête, ses doigts vagabondaient simplement où ils le souhaitaient. Il avait toujours aimé l'improvisation, mais là, il ne réfléchissait même pas à ce qu'il jouait. Fa dièse, ré, do dièse.

𝑶𝒃𝒆𝒓𝒐𝒏 ᯽ 𝐒𝐞𝐮𝐧𝐠𝐣𝐢𝐧Where stories live. Discover now