La fête (Parcours Bleu)

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Ce matin-là, Rachel et Aude ne reçoivent pas de SMS de leur amie.

En rentrant du parcours, la veille au soir, Marie avait ressenti une insécurité qui planait autour d'elles deux. Sans raison apparente, elle ressentait une culpabilité, une sensible angoisse. La nuit avait été mouvementée, pleine de cauchemars.

Arrivées à deux pas du théâtre gallo-romain vers dix-huit heures vingt dans le jardin André Malraux pour l'oeuvre Expérimentations étudiantes (oeuvre n°1), les sentiments qu'avait ressentis Marie avaient envahi l'esprit de Lucie, qui percevait ces statues de lumière comme des flashs sur un passé lointain dont elle ne se souvenait pas. Pourquoi cette ville de Lyon m'a-t-elle attirée depuis l'enfance ? Pourquoi ces premiers échanges avec Marie au printemps avaient-ils créé un lien si fort, aussi rapidement sans se connaître ? Lucie a peur des réponses que Marie pourrait lui donner et préfère attendre encore un peu avant de les lui poser.Mais elle sait que le moment inévitable est proche. Elle se souvient aussi de son arrivée ici, mercredi. Le tout premier sentiment d'insécurité qu'elle avait ressenti dans le logement qu'elle avait réservé sur AirBnB est en train de la submerger au point qu'elle passe sans la remarquer l'oeuvre suivante sur le collège Jean Moulin. Marie n'en mène pas large non plus, elles sont toutes deux d'humeur de plus en plus sombre. Dans le silence les deux filles sortent de leurs mornes pensées en traversant l'oeuvre passerelle Lianes, une oeuvre lumineuse et féérique qui évoque Alice au pays des merveilles. Cette oeuvre est rassurante et libère une partie de leurs angoisses communes qu'elles avait ressenties au début de ce parcours. Leurs pensés respectives s'entre-mêlent dans leurs têtes comme des lianes, ces lianes lumineuses de l'oeuvre qui les rapproche un peu plus encore par la télépathie. Ce lien les amène progressivement aux confidences. 

— Tu sais Marie, aujourd'hui, je me sens une véritable lyonnaise d'adoption grâce à toi. Je n'avais pas ressenti ça les jours précédents, ni pendant nos échanges avant mon arrivée. 

— Tu as toujours été une véritable lyonnaise.

Lucie est rendue perplexe suite à cette révélation mystérieuse.

L'oeuvre Genesis (n°4) les captive totalement toutes les deux. Cette oeuvre évoque tous les états physiques qui peuvent exister comme un clair obscur dans l'humanité. La musique évolue au cours des animations. Tantôt elle hypnotise les spectateurs présents, tantôt elle les réveillent en plein rêve. Comme si dans ce rêve conjoint que font les deux filles, le monument prenait vie avec un dynamisme intemporel qui les emmène dans une dimension fantastique. A la fin de l'animation, un peu moins de dix minutes après avoir pris place face à l'imposante Cathédrale Saint Jean, Lucie et Marie sont encore émerveillées et même subjuguées par Genesis. Cependant, paradoxalement, une nouvelle angoisse, sans raison apparente, envahie Lucie. Marie ne tarde pas à la ressentir aussi. Elles décident alors de quitter la place Saint Jean pour poursuivre leur chemin par la très vieille rue Saint Jean dans laquelle la foule est d'une densité extrême. Et pour cause c'est le dernier jour de la fête. Lorsqu'elles bifurquent sur leur gauche pour rejoindre Noctune, l'oeuvre numéro 5 au Musée Gardagne, Lucie dit à Marie : 

— On est suivies, tu n'as pas l'impression ?

Marie n'est pas rassurée, c'est vrai, mais tente tout de même de rassurer Lucie. 

— Tu sais on est le 8 décembre, c'est un jour historique ici, c'est une tradition, tout le monde suit tout le monde. 

— C'est vrai. Tu as sans doute raison, mais je ne suis pas tranquille, j'ai l'impression de devenir un peu parano.

C'est sur les coups de vingt heures qu'elles arrivent dans la cour des Musées Gardagne pour profiter de l'oeuvre Nocturne.

Marie fait remarquer à Lucie avec qui la complicité n'est plus à démontrer :

— Tu as vu, Lucie? Nocturne s'inscrit bien dans la continuité fantastique des deux oeuvres précédentes.

— J'aime bien son évocation, la nuit en forêt, la vie animale et végétale. Ces ombres chinoises me rappellent les ténèbres sur les forêts bretonnes.

Lucie et Marie réalisent une fois encore qu'elles ont beaucoup de goûts en commun, avec parfois des avis complémentaires sur les oeuvres. Comme en arrivant par exemple place du Change devant le temple sur lequel l'oeuvre Flowers Powers (n°6) anime la façade. Mais elle ne plait ni à l'une ni à l'autre. Elles décident de ne pas s'y arrêter plus longtemps et de rejoindre l'oeuvre DayDreams (n°7), une animation sur la façade de la gare Saint Paul. Cette oeuvre féérique, elle aussi, est un rêve éveillé, un rêve de voyage, un voyage en train vers le rêve. Comme cette oeuvre qui tourne en boucle tout au long de la soirée. Comme si cette oeuvre représentait le voyage qu'a entrepris Lucie pour venir. Les voyageurs se croisent en gare avec chacun leurs pensées qui les accompagnent.

Arrivées au Palais Bondy, devant l'oeuvre tourbillonnante Fabuloscope (dernière oeuvre du parcours), Lucie est submergée par le mouvement de la marée humaine, comme si une vague magique l'emportait. Les deux filles se perdent de vue. Lucie se sent irrésistiblement déportée et chassée de l'endroit. Elle est entrainée, elle ne sait où par cette force déferlante. Elle ne cherche plus à retrouver Marie, elle sait qu'elle n'y arrivera pas. Elle n'aura pas réponse à ses questions aujourd'hui. Fin de parcours. Elle s'abandonne au destin.

Meurtre en LumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant