Réflexion vitale

J'agençai d'un pas décidé. Aujourd'hui, des gens allaient me critiquer, me juger, me regarder de travers. Ne pouvaient-ils pas juste comprendre que, la seule chose que je souhaitais, c'était plus de libertés? Certains me méprisaient, me traitaient criminelle.
Cela durait depuis quelques jours déjà. Heureusement seul une minorité me vouait une telle haine, mais une minorité très bruyante. Je continuais de marcher, traversant tantôt de grandes arches, tantôt des dômes ou des longs couloirs, croisant ça et là des gardes. J'avais encore de temps devant moi, alors je passai en revue tous mes arguments. Encore une fois, j'allais tenter de convaincre mes opposants, un combat peut-être désespéré, mais auquel je croyais encore. Je touchais au but, car petit à petit, jour après jour, ils prenaient tous conscience que j'avais raison. Il fallait changer les choses, on m'avait confié un projet, une mission. Je ne voulais pas décevoir ceux qui comptaient sur moi. Enfin, j'entrais dans cet immense amphithéâtre qui m'avait tant intimidée les première fois. Pièce des hautes sphères du pouvoir, ou tout est décidé pendant que les gens vivent leurs vie sans même se douter des débats acharnés qui s'y tiennent et qui s'y tiendront toujours.
En sortant de l'amphithéâtre, deux heures plus tard, toute mon angoisse s'était enfin dissipée. Cette fois-ci, aucun doute, ils n'avaient rien pu redire contre cette tirade si préparée et travaillée. Je ne pouvais rien faire de plus, je n'eus aucun regret, j'avais fait au mieux. Ce fut un combat sans merci entre ce que je trouvais juste et ce que certaines personnes peu ouvertes ne peuvent tolérer. Comment pouvons-nous faire si, dans ce monde, le moindre dire, la moindre pensée pouvaient scandaliser tant de monde et conduire les détracteurs jusqu'à la haine et l'injure? J'aurais rêvé d'un monde plus tolérant. Depuis maintenant quelques années, les mentalités commençaient petit à petit à évoluer et j'espérais contribuer à ce projet. Cette épuisante journée terminée, je rentrais chez moi, j'avais hâte de savoir si mes efforts avaient payé ou non. Le lendemain, en passant devant une boutique, j'entendis, diffusées à la radio, les informations: «Hier, au parlement, la lois présentée par Simone Veil, pour la législation de l'IVG a été votée et adoptée. C'est une grande avancée... » Victoire ! Je l'avais fait, les femmes pouvaient maintenant avorter en toute légalité, même si ce dernier recours resterait toujours un drame.