4. Les filles c'est comme les chewing-gums

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C'est donc un Derek, revêtu d'un tee-shirt de la même nuance que ses yeux mais surtout décidé à tourner la page de ses désirs incongrus, qui rejoint Morgan.  Il est en train de préparer un truc dans ma cuisine et je le regarde s'activer derrière le comptoir. Il adore cuisiner. Moi non : je bénis les livreurs et la malbouffe. Et j'adore les omelettes aux champignons de Morgan. Putain ce que ça sent bon. J'ai toujours des champignons dans mon frigo et nous adorons prendre ce truc au petit déjeuner.

J'adore aussi observer la haute silhouette de mon voisin. Il a relevé les manches de son sweat et posé un torchon sur son épaule. Je reste silencieux admirant ses larges épaules et le jeu de ses muscles sous le tissu noir.

Derek ? On avait dit quoi il y a cinq minutes ?

— On n'est pas censé faire du sport d'abord et se goinfrer après ? dis-je pour signaler ma présence et m'obliger à arrêter de le bouffer du regard comme un con.

— On est censé reprendre des forces quand on a failli faire un malaise. Assieds-toi ici. C'est bientôt prêt.

— Eh ! T'es même pas un vrai toubib !

— C'est vrai, mais je t'ai soigné alors tais-toi, et pose tes fesses sur ce tabouret.

J'aime quand il me parle comme ça. Je lui obéis et m'assois sur un des tabourets qui s'alignent le long du comptoir. Plaçant mes coudes sur celui-ci, je continue, contraint à l'inaction, de le regarder se déplacer. Ces gestes sont précis. Le mélange baveux d'œufs battus rejoint les champignons grillés et odorants dans la poêle grésillante. Il attrape le sel et le poivre dans le placard à gauche de la hotte aspirante. Je n'avais jamais remarqué qu'il était aussi à l'aise chez moi. Et comprendre ceci provoque encore cette sensation bizarre au niveau de l'estomac. Il tourne brusquement la tête vers moi.

— Alors c'est quoi ton problème ?

Merde, il va pas me lâcher. Plus têtu qu'une mule.

— La Saint-Valentin.

Pourquoi j'ai dit ça moi ? Je me mords les lèvres. Il se fige, la cuillère en bois levée au-dessus de la poêle.

— La Saint-Valentin ? répète-il.

— C'est ce que j'ai dit oui.

— Tu as quelqu'...

Je préfère le couper.

— Stop, je t'ai déjà dit non. C'est pour un article que je dois fournir. Pour le journal de la boîte.

— Ah oui. C'est vrai que tu participes à ce truc.

Ce "truc", c'est un des outils  de communication du département des "relations humaines" : une sorte de journal de l'entreprise que les employés alimentent au gré des envies, pour cimenter "l'ambiance amicale" de la boite. Je suis rédacteur en chef et évidemment le thème guimauve de la Saint-Valentin m'est resté sur les bras. Je ne sais comment me sortir de ce merdier. En principe j'ai pas de problème à pondre un texte. J'écris bien et mon imagination est débordante. Sauf que... sauf qu'elle déborde d'images classées X de Morgan et moi et ça pour la Saint-Valentin de la boite, ça n'ira pas.

Pour l'instant, l'objet de mes désirs inavouables surveille la cuisson de notre petit déjeuner. Il semble réfléchir. Il réfléchit toujours de toute façon, et sort ensuite généralement un truc idiot juste pour me faire rire.

— Donc la Saint-Valentin t'inspire pas cette année.

Si. Mais je ne vais pas lui dire. Je me tais donc. Alors il me jette un bref coup d'oeil avant de surveiller la cuisson.

𝙹𝚞𝚜𝚝 𝙻𝚘𝚟𝚎 | BxBOù les histoires vivent. Découvrez maintenant