2. L'année risque d'être compliquée

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Quelques semaines plus tôt

— Morgan ! J'suis claqué. Je rentre chez moi.

Je me penche par-dessus la table et j'attrape le col du blouson de mon ami pour lui crier ces quelques mots à son oreille. C'est la seule façon d'attirer son attention dans le brouhaha qui nous entoure. Notre pub préféré est bondé et bruyant en ce 31 décembre. A quelques minutes du décompte, Morgan a le visage enfoui dans le cou de la rouquine qui l'a dragué de façon vulgaire dès notre arrivée. Depuis elle a gagné du terrain, et a priori, elle est bien placée pour être la première fille que mon ami va baiser en 2021. La première mais pas la dernière. C'est donc une soirée entre potes habituelle.

Sauf que ce soir, ça ne m'amuse plus. Alors que mon ami s'arrache de l'étreinte étouffante de sa conquête éphémère pour me regarder, le film de cette interminable soirée défile dans mon crâne douloureux.

Tout a commencé en début de soirée, j'ai subi les avances d'une petite brune. Ouais. Subi. Elle était très mignonne. Assez sympathique même. Mais rien. Aucun désir. Aucune palpitation. Ni dans la tête. Ni dans le pantalon. Elle a compris rapidement et est partie chercher dans la foule des fêtards une proie plus intéressée. Premier indice que je n'allais pas bien : j'en avais rien à foutre. J'avais bu mon premier verre en examinant ce constat surprenant. C'est pas que j'aimais draguer mais j'appréciais de me divertir de temps en temps avec une fille sans problème et surtout sans engagement. Les sorties à deux avec Morgan se terminaient souvent à quatre pour le plus grand bonheur de tous. Apparemment pas ce soir.

Après son départ, les minutes, puis les heures, se sont succédées. Assis à table devant mon pote, j'étais aux premières loges pour admirer le spectacle. Le petit jeu de séduction entre Morgan et la rouquine s'est déroulé, habituel, sans surprise et bien rodé. J'ai rongé mon frein, mon agacement grandissant sans raison au fil du temps.

Morgan souriait négligemment, dévoilant sa fossette alors la rousse se collait à lui. C'est là que tout a commencé à déraper, je pense. Voir la rouquine coller sa hanche contre celle de Morgan m'a... énervé. Un truc bizarre, comme un pincement au niveau de l'estomac. Un malaise curieux. Dessinant sans fin des ronds d'eau avec mon doigt sur le dessus de la table, je suis resté assis à les regarder furtivement.

Puis, Morgan est passé à la seconde étape et a lancé quelques plaisanteries que je connaissais par cœur, les techniques de drague habituelles, rien de nouveau, alors en riant faussement, elle a glissé ses ongles écarlates dans son cou. J'ai failli grincer des dents d'énervement.

Pourquoi se permet-elle cela ? Cette pensée incongrue a flotté tel un néon fluorescent dans ma tête et le pincement est devenu plus puissant. Carrément désagréable même. J'ai alors commandé mon second verre. Un Jack Daniel.

Bu cul sec. Parce ce que mon regard s'était fixé avec fureur sur les doigts de Morgan en train de remonter doucement sur les cuisses dénudées de la fille.
Etais-je jaloux ? Cette fille me plaisait-elle ?La voulais-je pour moi ? Ceci aurait pu expliquer mon envie de casser la figure de quelqu'un. Je me suis forcé à la regarder.

Elle éclatait bruyamment de rire, exposant sa gorge trop blanche et sa poitrine opulente juste son le nez de Morgan. Poitrine refaite sans aucun doute. Il avait l'air d'apprécier le spectacle.

Et ça m'emmerdait. Beaucoup.

Mon pote passait une bonne soirée avec une conquête sans lendemain. Il la touchait, l'embrassait et ses mains à lui sur sa peau à elle me faisait me sentir mal. Ses lèvres fines et impatientes dans son cou me donnait envie de les écarter brutalement l'un de l'autre.

Ça m'emmerdait non pas parce qu'il la touchait elle mais parce qu'il touchait une femme. Lorsque j'ai saisi la différence, j'ai cru que mon cerveau allait exploser. C'était... incompréhensible. J'étais jaloux de l'attention qu'il lui portait. Alors j'ai décidé de partir.

J'attends même pas sa réponse, je me lève et enfile mon blouson d'un geste nerveux.

— Attends Derek !

Sa main attrape mon bras et encercle mon poignet. Je baisse les yeux vers le point où ses doigts me retiennent, étonné, puis reporte mon attention sur le visage de Morgan. Il est toujours assis et je distingue dans la pénombre enfumée son autre bras entourant les épaules de sa conquête éphémère.

— Quoi ? grogné-je.

— C'est quoi ton problème ? T'es malade ? T'as trop bu ? Tu veux que je te raccompagne ?

J'ai à peine bu deux verres. Il ne l'a même pas remarqué, pensé-je, soudain amer. Trop occupé. Je secoue la tête. L'épiderme au niveau de mon poignet encerclé me brûle. Je ne comprends rien. Je regarde mon meilleur ami. Son visage s'est levé vers moi. Ses yeux gris se sont assombris et l'autre pétasse a emmêlé les cheveux châtains de Morgan dont des mèches un peu plus longues retombent sur son front large. Même assis et un peu éméché, il en impose. C'est un beau mec. Et c'est la première fois que je le remarque. C'est vraiment le bazar dans ma tête.

— Derek ?

Il se rappelle à mon attention en m'appelant doucement. Je secoue légèrement la tête comme pour expulser les idées bizarres qui y virevoltent à une allure effrayante et me frotte la nuque de ma main libre.

— J'ai déjà appelé un taxi. Je ... veux juste rentrer. Tout ira bien. Profite de la soirée pour nous deux.

Les mots m'ont arraché la gorge. L'étau de ses doigts se desserre doucement et je perds la chaleur de son contact.

— OK. A demain.

— Ouais. C'est ça. A demain.

Je lui tourne le dos sans saluer la rouquine et me dirige vers la sortie, traversant la foule ivre et joyeuse, donnant quelques coups d'épaule pour avancer. Un seul objectif : m'éloigner de lui. Mais je ne résiste pas. Avant de sortir de la salle, je tourne la tête et mon regard croise celui de Morgan encore posé sur moi. Interrogateur. Inquiet. Je soupire et me force à lui sourire et à lever le pouce pour lui indiquer que tout va bien. Alors que le décompte bruyant des dernières secondes de l'année s'achève, je le vois se détendre et ses lèvres articulent trois mots que je devine.

Bonne année Derek.

Ça non, je ne crois pas.

Quand tu te rends compte pour la première fois que tu en pinces sérieusement pour ton meilleur pote, l'année risque d'être compliquée.

𝙹𝚞𝚜𝚝 𝙻𝚘𝚟𝚎 | BxBOù les histoires vivent. Découvrez maintenant