Dernier jour d'inaction

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Maillon après maillon, les parpaings s'acheminaient. Mains après mains, le mur se construisait. Efforts après efforts, l'amitié se nouait plus solidement.Lucille passa à Gaël qui passa à Sally. Et la dernière pierre fut posée. 

Lucille attrapa une bombe à taguer, et, derrière son rempart fragile, elle écrivit précipitamment, sûrement, résolument.

"Tous les humains naissent et demeurent libres et égaux en droits".

Puis elle la donna à un autre ami, il sortit par la petite porte, qui ne pouvait laisser passer qu'une seule personne à la fois. Il s'extirpa de leur trou, leur squat sans haine, sans armes, sans violence. Il prit son temps, il n'était pas aussi impulsif que Lucille. Sous le jet du graffeur des doigts s'entremêlaient. Une main noire et une main blanche serrées ensemble, pour toujours et à jamais.

Un accordéon se réveillait doucement, entre les matelas posés dans l'ancien hôtel. Derrière leurs portes murées, ils s'installaient. Les rires fusaient, une odeur d'amour flottait dans l'air. Une jeune fille lisait une histoire à son petit frère. Certains préparaient la soupe pour le soir pendant que la nuit les englobaient. Les adultes veillaient à la sécurité de tout le monde.

Et Gaël, pour la première fois, posa une question sur la vie d'une autre.

-Sally, comment es-tu arrivée ici?

Elle détourna le regard. Elle aurait bien voulu qu'on ne lui demande jamais. Mais  elle avait conscience que, si Gaël posait cette question, il lui fallait vraiment une réponse.

-Dans mon pays, il y a eu... une guerre. Ceux qui avaient assez d'argent sont partis. Nous avons laissé tant d'amis... Nous les avons abandonnés, en quelque sorte... Nous avons marché, roulé longtemps et nous sommes arrivés à la mer. C'était insurmontable, on ne pouvait pas nager à travers tout ça. On était bloqués. On était beaucoup, désemparés. Et il y a un homme qui s'est approché, il a proposé de nous faire passer. C'était cher mais c'était notre seul espoir. La Grèce se rapprochait. Nous voyions Lesbos. Et le moteur s'est mis à crachoter. Ma sœur a sauté à l'eau. À bord, nous étions les deux seules à savoir nager. Le canot s'enfonçait, ils allaient tous mourir. J'y suis allée aussi. Pendant trois heures et demi, on a poussé. C'était tellement long, tellement fatiguant. Mais on a fini par entendre ce petit raclement de la coque contre la terre. Mes pieds ont touché le fond presque aussitôt. On était sauvé.

-Tu les as sauvé.

Sally se leva et alla coucher les plus jeunes.

Sel de merWhere stories live. Discover now