Premier jour de torture

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Gaël serrait la main de Lucille, fort. Il avait peur. De quoi ? De voir enfin ? Ça ne durerait que quelques heures. Que quelques centaines de minutes. Quelques milliers de secondes. Et ce serait fini. Ces choses qu'ils ne voulaient pas affronter auraient pris fin. Pour lui.

Il soupira. Il y avait une drôle d'atmosphère, dans cette partie de la ville. Les gens, ici oscillaient entre réalité et indifférence. Ils ne regardaient pas les barbelés. Ils ne regardaient pas les caravanes. Ils s'écartaient pour laisser passer une femme voilée. Certains donnaient une pièce à un garçon qui leur disait gentiment, souriant humblement:

-Gardez votre argent, moi, je veux du changement, vous savez.

Et les gens acquiesçaient, l'air contrit. Ils regardaient un peu sa mine débraillée. Ils se sentaient vexés, sûrement, que ce gamin leur dise quoi faire mais ils ne voulaient pas reprendre cet argent. C'était leur bonne action. Ils espéraient que ça lui prodiguerait du baume au cœur. Ils s'attendaient à des sourires, des remerciements. Il ne les réprimandait même pas, il ne criait pas, ils ne pourraient pas dire à leurs amis, leur famille en rentrant "Oh la la ces Roms qu'est-ce qu'ils sont ingrats!". Ils finissaient pas s'en aller, incertains.

Le garçon, lui, n'était pas mécontent de cet argent mais il ne supportait plus ces regards. Il ne supportait plus sa misère, sa condition. Il n'avait pas connu ça avant. Il savait ce qu'était une maison, le chauffage, le respect, la richesse, l'éducation. Son père était avocat, dans leur pays. Mais il y avait eu la guerre civile. Ils étaient partis. Ils étaient riches, avant. Et puis il y avait eu le passeur. La panne. Sally qui nage. Mais il était trop petit, il ne se souvenait pas bien. Quelle déchéance.

Lucille et Gaël passèrent devant lui, Gaël ne le regarda pas, mais Lucille le salua. Ils entrèrent dans le camp. Gaël se rendit compte qu'il s'était toujours imaginé un genre de secte, de clan où l'on vivait les uns contre les autres, sans sortir et sans laisser entrer personne.

Il se trompait lourdement.

-Elle est là, souffla Lucille.

La jeune fille qui étendait le linge devant une caravane bleue se retourna, secouant la poussière dans ces longs cheveux. Puis elle les vit, leur sourit. Elle posa son sac de linge approximativement propre, lavé avec une lessive inconnue mais peu efficace. Moins chère mais arnaqueuse.

Elle fouilla dans ses poches, un instant puis leur tendit un papier. Elle s'efforçait de sourire encore.

"Avis d'expulsion". Déjà.

Gaël sentit une douleur impressionnante lui serrer la poitrine, il avait l'impression qu'on le poignardait inlassablement sans qu'il arrive à mourir. Juste assez pour qu'il ne meure pas. Pour qu'il souffre. De la torture. Mais il n'avait rien à avouer. Qu'attendait-on de lui? Qu'il fasse quelque chose mais quoi?

C'était une torture de savoir que dans une semaine, si peu de temps, elle serait dans un charter, loin. D'où venait-elle? La renverrait-on de la d'où elle venait? Ou ailleurs?

Lucille inspira longuement et souffla un bon coup avant de dire lentement, savourant chaque syllabe, ou hésitant à continuer:

-Vous ne partirez pas. J'ai une solution.

Sel de merWhere stories live. Discover now