Chapitre 33

159 24 6
                                    

Il nous fallut près de cinq minutes à pied pour rejoindre le bâtiment abritant la cantine. Grand hangar de mille mètres carrés, elle aurait plutôt mérité le nom d'usine à bouffe tant l'ensemble se devait d'être industrialisé pour fonctionner correctement. Sept ou huit cent couverts s'étalaient devant nous, répartis en d'interminables tablées flanquées de bancs en métal. Au fond, les présentoirs et les cuisines couraient sur tout le mur. Il faisait sombre dans le hangar, dehors la nuit se couchait, et les veilleuses de sécurité étaient les seules sources de lumière. J'appuyai sur l'interrupteur près de moi. A ma surprise, des dizaines de néons suspendus au-dessus des tables crépitèrent les uns après les autres, nimbant le hangar d'une phantasmagorique lueur blanchâtre.

Et nous étions absolument seuls.

— C'est hallucinant... Combien de gens y avait-il ici il y a quelques heures ? me demandai-je en passant mes mains sur mes tempes.

— Ils ont laissé un tas de bordel, commenta Lolly en désignant du doigt les tables, jonchés de détritus.

J'imaginai que les soldats et quelques réfugiés s'étaient vus offrir des collations. Malgré un départ qui avait sûrement été précipité, je ne vis aucune affaire personnelle traîner, aucun sac, aucun téléphone, rien.

Le silence et quelques emballages froissés de rations militaires.

— Regardez ! s'exclama Lolly, que je n'avais pas vue s'éloigner de moi.

Elle trottinait vers un grand tableau d'affichage, disposé entre deux fenêtres. Les traditionnels employés du mois s'y disputaient une place au milieu des petites annonces - à moins que ce ne fut l'inverse. Une inscription en rouge avait attiré l'attention de Lolly, et elle s'empressa de décrocher une feuille du tableau avant de me l'emmener.

Elle la tourna vers moi et ce que je lus me fit louper un battement.

"Pour Peter Jon Lucky : chez ma tante. 78 Mobley Heights, Nassauville. Retrouve-nous là. Ed"

— Je doute qu'il y ait deux personnes sur Terre portant un nom aussi tordu que le vôtre, s'exclama Lolly en vrillant vers moi un regard en biais.

Je ne sus dire si elle était sincère ou si elle faisait une plaisanterie. Et à vrai dire, à cet instant, je m'en foutais complètement. J'avais de nouveau un objectif.

— Bon ! C'est plutôt une bonne chose que la tante de ce type habite sur Nassauville, ce n'est pas trop loin de chez moi. Nous y passerons avant de rejoindre vos amis, péronna Lolly en se dirigeant vers la sortie.

Je poussai un long soupir, conscient qu'il était inutile d'argumenter, et nous quittâmes la base militaire.

— J'avoue que ça me laisse dubitative, commenta Lolly en refermant la fenêtre du pick-up.

Nous roulions depuis quelques minutes en direction de la Floride et elle avait lourdement insisté pour prendre le volant. J'avais abandonné l'idée de discuter avec elle et mon esprit cherchait vainement une explication à l'évacuation de la base. Aussi, je fus surpris lorsqu'elle brisa le silence, mais n'en laissai rien paraître.

— De ? demandai-je d'une voix lasse.

— Du fait que votre base ait été totalement désertée en quelques heures. POTUS avait déjà été mis à l'abri, non ? J'imagine que c'est même fait depuis plusieurs jours.

Je fus sincèrement étonné qu'elle connaisse ce terme. Ma gorge racla avant que je réponde.

— Oui. C'est presque la première chose que nous avons faite.

Je dis "nous" machinalement, rappelant ainsi mon appartenance à un ensemble qui me dépassait largement. Ma patrie. La raison pour laquelle je sortais de ma couchette tous les matins.

Z - Où tout commenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant