Boboko Lautari, sur la place avec mama

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Il regarde le petit chiffon devant Mama. Frissonne sur la place du Pont en ce mois de Décembre. Assis par terre sur les dalles froides entre le Macdo et le Casino.

La petite cagoule usagée récupérée dans un container de Notre-Dame-des-Sans-Abris, le gilet donné par l'Entraide Protestante ne suffisent pas pour aider son petit corps contre la torture que lui inflige le climat. Un climat plantant ses dents glacées sur sa peau. Alors sa maman le serre un peu plus fort.

Là sur la place du Pont vers le Macdo. Où il y avait des grillages l'été passé. Où les égoïstes constellent le sol d'emballages de hamburger, de bouteilles en plastique vide, de canettes anciennement pleines et de papiers d'aluminium pour kebabs.

Maman il l'appelle mama, et puis son papa à lui c'est tâta. Comme tous ceux qui grandissent avec le romani, la langue des roms, dans la bouche. Il a froid.

Il pourrait être à l'école à cette heure Boboko. Les services sociaux l'ont dit. Il peut. Il y a une place pour lui dans une salle, avec des élèves et des professeurs.

Et il y a une cantine où il pourra avoir un repas chaud une fois par jour. Mama et Tata ont dit oui, d'accord, ok, on va le faire, aux services et aux associations. Puis après avoir dit oui ils ont fait non. Malgré l'éducation qui rend de nouveaux possibles. Malgré la cantine et le repas chaud. Malgré les radiateurs qui calment le froid glacé. Pas comme dans le baraquement pas chauffé sans eau où il passe ses nuits d'hiver.

Dans leur monde de cabanes, qui se promène de Vénissieux en Part-Dieu au gré des déplacements plus souvent forcés que choisis, ils sont quelques-uns à essayer pourtant l'école. Le pain, la cours de récré et les cours en français. Les autres veulent pas. Qu'est-ce qu'on va faire à l'école des gadjês ? A quoi ça sert ? Déjà que là-bas, à Lipova en Roumanie, on y allait pas beaucoup en classe...

Ben oui. Qu'est-ce que tu veux apprendre dans leurs écoles de gens bien propres, bien couchés la nuit dans des vraies maisons en béton avec chauffage central après le dessin animé sur la télé et le bain chaud ? Tu crois pas que quand t'es rom on va te donner un vrai bureau dans un vrai immeuble, du chauffage avec un vrai travail ? Même si tu es allé en classe ?

Pourtant Gilberte, Blandine et Elisabeth leur disent que c'est important, l'école. Avec leur association C.LA.S.S.E.S. Elles viennent souvent les voir. A Vénissieux, même quand il pleut. A Part-Dieu, même quand il neige. A Gerland, même quand il grêle. Leur dire que le monde est pas entièrement foutu.

Boboko chaque matin accompagne mama. Mama et son petit chiffon devant elle, là à côté du Mac Do de la place du Pont. Pendant qu'un balayeur nettoie vigoureusement les canettes, le plastique, les papiers, les cartons en chantant des mots dans cette langue. Cette langue qu'ils parlent tous, tout autour, dans ce monde dans lequel il est arrivé. Arrivé après être parti de la misère des quartiers roms de Lipova. Là-bas dans l'ouest de la Roumanie. Le balayeur chante et Boboko aime bien.

Parfois des gens jettent des pièces dans le petit chiffon devant eux. Dorées, argentées, cuivrées. Des pièces pour calmer la faim. Pour remplir le ventre de Mama et Boboko. Des pièces à ramener au camp aussi. Souvent mama interpelle les gens qui passent. Elle parle assez fort maman. C'est vrai que dans le monde de baraques, de terres et de tôles, il faut arriver à se faire entendre. Entre les autres roms, les associations et les services de la Ville. Et de la Métropole. Ca discute. Ca crie. Entre la boue, les fossés. L'eau à aller chercher. Les baraques sombres sans électricité ni chauffage.

Elle parle fort mama, mais bizarrement les gens qui passent devant son chiffon ne l'entendent pas. Ils passent sans la regarder. Sans les regarder. Elle continue parfois, elle insiste. Ils entendent pas. Toujours pas. Bizarre.

Alors pour aider sa mama, pour qu'ils entendent, il a fait des sourires aux passants. Des sourires d'enfant. De ceux qui attendrissent en temps normal les plus durs. Qui fondent les coeurs et les esprits. Il sourit dans sa cagoule trop usée. Dans son gilet percé de froid. Il tend sa tête et son regard vers les yeux des passants. Mais personne n'entend mama, personne ne voit Boboko. Curieuse maladie de ces gens.

L'après-midi, il croise Levna, sa grande cousine et ses longs cheveux noirs. Elle va parler à des vieux messieurs, Levna. Et elle part quelques minutes avec eux, Levna. Dans le local poubelle des immeubles. Dans la rue d'à côté. Et elle revient avec des sous. Dorés, argentés, cuivrés. Et aussi des sous de papier. Oh des sous, pas beaucoup. Mais bien plus que ce que les gens qui passent mettent dans le chiffon de mama et de Boboko.

Levna, à la fin de la journée, quand elle est pas disparue avec beaucoup de messieurs, son papa à elle il crie très fort. Parfois Loubinitsa, son autre cousine plus jeune, beaucoup plus jeune, vient un peu voir les messieurs elle aussi. Et elle va aussi dans le local poubelle. Avec les messieurs.

Souvent les policiers arrivent et on voit plus Levna et Loubinitsa pendant quelques temps sur la place. Seulement au camp. A Part-Dieu. A Vénissieux. A Gerland. Là où il fait froid. Là où c'est sans lumière. Là où il s'éveille chaque matin. Avant de revenir le matin venu. Redemander des pièces dans le chiffon de mama...

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Guillotière(s)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant