Perrine Descombes, artiste et serveuse

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Perrine Descombes En fait elle sait pas si elle doit y aller. Elle a bien eu l'invitation Facebook et le mail. Et même un texto de Rodolphe Bessey, la Duchesse de la Guille. Un Rodolphe qui a demandé à une moitié et demi de son carnet s'ils y passaient. Sans qu'on sache s'il sera physiquement là. Il paraît que les œuvres exposées seront superbes. Et qu'il y aura tout le monde.

En fait elle est un peu crevée Perrine. La journée à servir au Mondrian, pour payer les factures, pour s'occuper. Le soir à dessiner, à peindre. Enfin, quand elle peut. Quand elle le sent. Quand elle y pense. Quand elle y arrive. Quand elle y arrivait.

En fait elle se sent de plus en plus serveuse de café et de moins en moins artiste. Même si son job en plus de la nourrir, se déroule dans un lieu sympa et non dénué de liens avec l'art. Même si elle continue à courir les expos et les événements dans le quartier. Même si c'est assez souvent pour les potes plus que pour les œuvres. Enfin, un peu plus qu'avant.

 En fait au début elle allait dans ces là-bas pour s'inspirer, pour se nourrir l'esprit. Rêver. Envisager de créer comme ci. Comme ça. Maintenant elle y va faire boire son gosier entre deux coups d’œils distraits. Bon, faudrait peut-être qu'elle réponde, ça fait trois fois que Rodolphe textote.

 En fait elle continue à aimer les moments. Les fêtes. Les gens. Et aussi, parfois encore, ce qu'elle voit. Les peintures de Laurent Jaké. Et les Bds de Romain Lardanchet. Et la Spirale de Laurent Courau. Elle aime toujours aller faire un tour chez la Rage de Loren. Et admirer les couleurs et les matières chez Suzy Téchane. C'est encore dans ces endroits où elle trouve encore un peu de ce ressenti qu'elle perd petit à petit. Ses derniers ilôts à elle.

 En fait c'est elle. C'est ça qui est terrible. Terrifiant. Le chaos calme. Elle ne sent plus ce qui la motivait quand elle sortait des beaux-arts, qu'elle pensait refaire Lyon, la vie et le monde avec ses mains, avec sa tête. Elle ressent moins.

En fait certains de ses amis lui disent que l'inspiration ça va ça vient. Pour elle ça va mais ça revient pas. C'est l'aller-simple, le sans retour vers Neverland. Et purée, oui mais oui, faut qu'elle réponde à Rodolphe.

En fait c'est le quotidien qui l'envahit. Les factures. Les emmerdes. Les disputes. Les machins qui a dit ça sur machine.

 En fait on lui a dit qu'il n'y avait pas toujours besoin d'inspiration pour travailler son art. Que certains peignaient des volatiles sur les murs de façon industrielle et qu'on appelle quand même ça du street-art, même si ça injurie un peu les vrais graffeurs. Que c'est pas grave.

En fait elle est pas comme ça, elle veut pas d'artiste des sentiments se grimer en peintre en bâtiment. Elle veut sentir un élan quand elle peint. Quelque chose de l'ordre de l'irrépressible. La vibration, oui c'est ça la vibration, qui fait se jeter sur la toile, qui fait qu'on ne peut penser à rien d'autre. Comme une faim. Comme un désir des corps. Etre obnubilée...

En fait elle va y aller. Elle va répondre à Rodolphe. Elle rentrera pas tard par contre. Demain elle est du service du matin.

Guillotière(s)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant