/!\ ATTENTION ÂMES SENSIBLES : ce chapitre n'a pas été corrigé (flemme tmtc)
J'ouvre la porte d'un violent coup de pied et entre dans la chambre d'Isalys en hurlant :
- Bon, cette fois-ci tu vas m'expliquer ce qui ne va pas, sur-le-champ !
Cela fait plusieurs semaines qu'il pète des câbles et se met à m'insulter pour aucune raison. Je sais qu'il y a quelque chose qui ne va pas bien, et c'est pour ça qu'il agit ainsi, donc je vais le forcer à me parler ! Je n'en peux plus de me faire insulter ! S'il ne me dit rien maintenant, je sens que je vais lui couper sa langue et la lui faire bouffer !
Assit sur son lit, Isalys croise les bras et fait mine de m'ignorer.
Je l'attrape par les épaules et le secoue dans tous les sens.
- PARLE-MOI ! Hurlé-je à en perdre la voix.
- Je n'ai pas envie, laisse-moi tranquille, putain !
Il allait tourner la tête mais je l'attrape pour le forcer à me regarder droit dans les yeux. Je lui dis alors plus doucement :
- Isalys... Si ça ne va pas, explique-moi, je t'en prie...
Ses yeux commencent à se remplir de larmes et il secoue la tête.
- Je... Non, je ne peux pas... Souffle-t-il.
Il passe de "je ne veux pas" à "je ne peux pas"... C'est inquiétant...
J'écarte les bras en lui souriant gentiment et il saute sur l'occasion pour me serrer fort dans ses bras et fondre en larmes. Je referme mes bras autour de lui et passe mes mains dans ses cheveux en lui chuchotant :
- Je suis là pour toi, Isalys...
- Je sais, sanglote-il, je sais... C'est juste trop compliqué à expliquer...
Il suffisait juste d'ouvrir les bras pour qu'il me parle ? J'aurais du faire ça depuis bien longtemps !
Mis à part ça, il me fait vraiment de la peine... Ses sanglots sont tellement violent que tout son corps en tremble, et je sens que mon épaule est déjà inondée de larmes... Qu'est-ce qui peut le rendre si triste ?
- Tu es dans cet état à cause de l'inconnu ? Demandé-je.
L'inconnu, c'est l'homme qui vient rendre visite à Isalys. Je l'appelle ainsi car Isalys m'a dit qu'il n'avait pas le droit de révéler son identité, sinon cet inconnu ne pourrait plus revenir ici, et vu que ce grand romantique est déjà tombé sous son charme, il ne veut rien me dire.
Silencieusement, Isalys hoche la tête et remonte les manches de son haut pour me montrer ce qu'il y a en dessous.
Des ecchymoses, partout...
Je reste bouche bée. Comment a-t-il réussit à me cacher ça ? Surtout, comment je n'ai pas pu m'en douter ?
J'essaye de garder mon calme, alors qu'au fond de moi une vague de rage s'empare de tout mon corps. J'ai envie d'exploser la tête de cet homme... Comment ose-t-il faire du mal à Isalys ?!
Après avoir pris un moment pour digérer l'information, je lui demande :
- Tu en as autre part ?
Il hoche la tête et me montre son ventre. Encore des ecchymoses. J'en touche une au niveau des côtes mais il recule en m'indiquant qu'il a très mal à cet endroit, cet enfoiré a dû lui casser...
Bon. Il ne faut pas que je fasse d'erreur... J'ai peur qu'au moindre mot de travers il ne se referme sur lui-même et cesse de me parler... J'attrape donc doucement ses mains et lui demande si ça l'embête de m'expliquer la situation. Il secoue la tête.
- Au début, tout allait bien, sanglote-t-il. On passait des heures à discuter ensemble, il était vraiment très charmant... Et puis, il a commencé à me demander de le suivre, de m'enfuir avec lui en passant par l'armoire... Au début j'ai cru qu'il rigolait, mais non, il voulait vraiment que j'aille avec lui dans cette armoire étroite vers une destination inconnue... Bien évidement j'ai refusé, parce qu'au fond j'avais des doutes sur ce qui allait se passer, et c'est là qu'il a commencé à devenir comme ça... A force d'avoir mal et de ne pas pouvoir me défendre, j'ai fini par accepter sa proposition, mais il m'a dit que c'était trop tard, et maintenant il revient toutes les nuits juste pour... Pour me faire mal...
Mon cœur se serre et je me fais violence pour simplement hocher la tête et ne pas partir directement à la recherche de cet énergumène pour lui arracher la tête...
Les sanglots d'Isalys s'intensifie quand il me dit :
- Il me dit que je le dégoûte, que le gens comme moi ne devraient pas exister, que je suis la pire des espèces...
Je le fais taire en le serrant dans mes bras et le serre aussi fort que j'ai envie d'étriper cet homme. Isalys s'écarte en se plaignant que je lui fais trop mal et je m'excuse en essayant de reprendre mon calme.
- Je ne comprends pas pourquoi il essaye de te séduire, puis juste après il joue l'homophobe... C'est répugnant ce genre de comportement... Dis-je en cachant à peine mon dégout.
Isalys secoue la tête en riant tristement.
- Quand il m'a dit ce genre de choses, ce n'était pas des propos homophobes... C'est parce que je suis un Rebelle qu'il a dit ça...
Gênée d'avoir fait des conclusions hâtives, je lui présente mes excuses et il secoue la tête.
- Ce n'est pas grave, me dit-il en essuyant ses larmes. J'ai oublié de te dire que avant qu'il se mette à me faire du mal, il me posait beaucoup trop de questions sur les Rebelles alors que ce n'en est pas un. C'est la raison pour laquelle j'ai refusé de partir avec lui quand il me l'a proposé, c'était vraiment trop bizarre...
- Et même maintenant tu ne peux pas me donner son identité ?
- Il a dit qu'il me tuerait si je le disais à quiconque...
Je hoche la tête et me mord la lèvre.
- Il te posait des questions concernant ce qui devait arriver il y a quelques semaines ?
Il y a quelques semaines les Rebelles devaient attaquer cet endroit pour nous aider à nous enfuir. Avec Até nous en avions discuté et avions rassemblé de l'alcool et des briquets pour faire des cocktails Molotov, mais rien ne s'est produit. Rien du tout.
Silencieusement Isalys hoche la tête, tout aussi déçu que moi.
Prenant une grande inspiration, Isalys finit par dire :
- C'est vraiment dur de supporter ça... Je sais que ce n'est pas bien ce qu'il fait, mais je ne savais pas quoi faire d'autre que de subir et me taire... Je ne savais pas comment t'en parler, je suis vraiment désolé...
- Je ne t'en veux pas... Maintenant que tu m'as expliqué ta situation, je comprends mieux pourquoi tu étais dans cet état, c'est plutôt à moi d'être désolée de ne pas l'avoir remarqué plus tôt...
Il secoue la tête et nous nous enlaçons silencieusement.
- Ça te dis de venir dormir dans ma chambre, avec Jodie ? Proposé-je pour changer de sujet.
Je ne veux plus qu'il se retrouve seul avec cet homme. Maintenant que je sais ce qu'il lui fait subir, je ne supporterai pas de le laisser dormir seul...
Il faut aussi que j'en parle à Loha Noha. Peut-être qu'il n'est pas au courant que cet inconnu vient chaque nuit pour tabasser Isalys ? Avec un peu de chance il condamnera l'armoire d'Isalys et empêchera ce salaud de venir lui faire du mal...
Face à ma proposition, un grand sourire vient illuminer le visage d'Isalys, il accepte en me serrant encore dans ses bras, j'ai l'impression qu'il n'attendait que ça !
Nous prenons alors chacun un côté de son matelas et commençons à faire le transfert jusqu'à ma chambre.
Depuis l'annonce de la mort de Bryan, donc depuis presque deux semaines, tout le monde prend ses aises dans le Village, car le Jeu est en pause jusqu'à l'arrivée d'un nouveau remplaçant. Jodie dort donc avec moi depuis ces deux semaines, car j'ai peur qu'elle ne fasse des conneries si elle reste seule.
Quand on nous a annoncé la mort de Bryan, Jodie est devenue muette pendant trois jour. Elle n'a pas pleuré une seule fois, elle n'a juste rien dit. Après ça j'ai essayé de discuter avec elle concernant ce sujet-là, mais c'est impossible, j'ai l'impression qu'elle préfère faire comme-ci Bryan n'avait jamais existé. J'ai vraiment peur pour elle et sa santé mentale... Je me souviens de sa réaction quand Jahanne est morte alors que ce n'était qu'une amie, donc concernant Bryan... Au fond d'elle, elle doit être complètement détruite...
Essayant tant bien que mal de ne pas faire tomber le matelas dans ce sol poussiéreux, nous avançons lentement pour éviter que les blessures d'Isalys ne lui fassent trop mal.
Du coin de l'œil, j'aperçois Calix qui court en boitant légèrement vers nous et saute d'un coup sur le matelas, qui s'écrase à terre en soulevant un nuage de poussière.
Tout en levant les yeux au ciel, j'applaudis Calix en lui demandant si elle est fière d'elle. Après son altercation avec Bryan, le comportement de Calix a grandement changé. Elle est devenue plus amicale, ce qui est vraiment étrange... Je l'ai vu pleurer réellement pour la première fois. Les premiers jours après son retour de l'hôpital, je restais à son chevet pour vérifier qu'elle aille bien (même si au tout début j'ai profité de l'occasion pour essayer de la tuer, mais je n'ai jamais eu le courage). Elle n'avait pas dormi à cause de la douleur et a complètement craqué, elle sanglotait qu'elle n'en pouvait plus, qu'elle ne supportait plus la pression, qu'elle était désolée pour tout, et m'a prise dans ses bras en me présentant ses excuses pour je-ne-sais quelle raison. En tout cas j'ai fini par avoir beaucoup de pitié pour elle, j'ai enfin découvert son vrai visage sous ce masque fissuré : elle souffre, et pas seulement à cause de ses blessures. Plus tard en allant mieux, elle m'a dit que ce sont les médicaments qui l'ont mis dans cet état, mais je préfère croire en ce que j'ai vu cette nuit-là.
Avec un grand sourire, Calix s'étire et me demande :
- Vous faites une pyjama-party sans moi ?
- Bien sûr que non, répond mielleusement Isalys. Jamais, au grand jamais, nous nous permettrons d'organiser quelque chose sans notre pétasse de majesté !
Blasée par son comportement, je demande à Isalys de se taire tandis que le sourire de Calix disparaît instantanément. Elle se relève, lâche une insulte et s'en va en boitillant.
- Tu ne pouvais pas être sympa avec elle ? Demandé-je en me massant les tempes.
- Pourquoi ?! S'exclame Isalys, elle nous a foutu dans la merde, elle !
Isalys en veux énormément à Calix, car à cause d'elle nous ne saurons jamais sauvés par les Rebelles. De son côté, Calix ne s'en veux pas car elle sait que de toute façon nous allons gagner le Jeu.
- Oui, répondis-je. Mais quoi qu'il en soit, nous sommes coincés ici, alors autant faire en sorte que tout le monde s'entendent, non ?
Isalys râle et me promet d'aller s'excuser plus tard, ce que je doute fortement.
Quand j'ouvre la porte de ma chambre, j'aperçois Jodie, allongée sur mon lit à fixer le plafond.
Isalys et moi posons le matelas juste à côté de mon lit et je me retourne vers Jodie. En quelques secondes, elle s'est relevée, recoiffée et me sort un beau sourire forcé.
Je connais très bien ce genre de sourire, j'ai eu le même à la mort de Nathan. Je ne voulais pas que les autres me prennent en pitié, ou même qu'ils s'inquiètent pour moi, alors j'abordais ce sourire de façade. Pourtant, au fond de moi, j'espérais que quelqu'un comprenne que je n'allais pas bien, car j'avais besoin de parler, mais je n'arrivais pas à le faire seule. Malheureusement Jodie était trop occupée à vouloir tuer Calix pour se demander comment je pouvais vivre la situation. J'ai donc dû me reconstruire avec l'aide de personne, ce n'est peut-être pas plus mal...
J'essaye de faire parler Jodie, mais contrairement à moi, elle n'a peut-être réellement pas envie d'en parler. Après tout, chacun fait son deuil à sa façon.
Jetant lui aussi un coup d'œil à Jodie, Isalys se met à siffler.
- Tu pars faire une chasse à l'homme habillée comme ça ? Raille-t-il.
Gênée, Jodie devient toute rouge et secoue la tête.
- J'avais juste envie de me sentir belle, aujourd'hui, lui répond-t-elle en riant.
Je baisse les yeux et regarde la tenue de Jodie, elle a mis un joli chemisier blanc avec une belle petite jupe beige. Elle a arrangé ses cheveux dorés en une couronne de tresse et s'est légèrement maquillée, ce qui n'est vraiment pas dans ses habitudes. En tout cas, je la trouve vraiment belle et beaucoup plus vivante ainsi. Peut-être qu'elle a décidé de tourner la page, et s'habiller ainsi est une façon de nous l'indiquer. Mais si c'est le cas, pourquoi a-t-elle toujours ce sourire crispé ?
Chris rentre dans ma chambre et me sors de mes pensées. Il regarde tout ce monde et fronce les sourcils.
- Vous allez tous dormir ici ? Demande-t-il.
En guise de réponse, nous hochons tous les trois la tête en même temps. Il demande alors d'un air gêné, mais en me regardant droit dans les yeux :
- Je peux, moi aussi ?
Euh... Non ? Ai-je envie de lui répondre. Il me colle trop et je ne le supporte plus, mais je n'oserai jamais lui répondre aussi franchement...
Ayant compris que cette question m'a mise mal à l'aise, Isalys se met entre nous en posant une main sur sa hanche.
- Oh, tu as envie de dormir avec moi ? Demande Isalys d'une voix coquine en posant un doigt sur le torse de Chris.
Gêné, Chris devient rouge et secoue la tête.
- Je pensais pouvoir dormir avec Hect... Dit-il en se décalant pour me regarder à nouveau.
Mais avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, Jodie m'attrape par la main et lui dit avec un sourire moqueur :
- Il n'y a plus de place dans son lit, dommage pour toi.
Désemparé, Chris me regarde les sourcils froncés, attendant que je dise quelque chose. J'ai peur de le blesser en lui disant la vérité... Et puis, Calix m'a dit qu'il fallait qu'il reste de notre côté. Si on arrive à tuer encore une personne ou deux du Village, on peut presque dire que tout est gagné... Il faut donc que je reste gentille avec lui et que je lui fasse croire que je ne suis pas un Loup-Garou...
Je lâche la main de Jodie pour prendre celle de Chris et l'attirer à l'extérieur. Nous allons nous asseoir sur un banc, et il me demande directement :
- Pourquoi j'ai l'impression que tu me fuis ? Me demande-t-il, la voix tremblante d'émotion.
Je pousse un soupir. Ce n'est pas une impression, je le fuis réellement !
- Je ne te fuis pas, mentis-je. Je... J'ai juste besoin d'avoir un peu de temps pour moi, tu comprends ?
Il secoue la tête.
- Ça fait cinq jours que tu ne m'as pas adressé la parole, Hect ! Je veux bien te laisser un peu de temps, mais là...
Je me mords la lèvre, c'est vrai que cinq jours ça fait beaucoup... Je secoue la tête et lui prends les mains, il faut que je reste dans mon rôle :
- Je suis désolée, dis-je en le regardant droit dans les yeux. Mais, tu sais, je ne pense pas encore avoir fait le deuil de Nathan... J'ai juste besoin de temps...
Il pose sa main sur ma joue et me sourit gentiment :
- J'attendrai autant de temps que tu as besoin, j'ai juste besoin de t'avoir près de moi à des moments... J'aime vraiment être avec toi, Hect... Je t'aime beaucoup...
Mon cœur se serre et je finis par l'embrasser pour le faire taire.
Chris est doux, gentil, attentionné, il est tout ce que j'aime chez un garçon, mais... Mais Nathan était aussi comme ça, et j'ai l'impression de voir Nathan à la place de Chris... J'aurais aimé que Nathan soit encore vivant, que je puisse régler mes comptes avec lui. Je l'aime, Nathan, je l'aime énormément, mais je lui en veux de m'avoir dénoncé juste avant de mourir... J'ai ce mélange d'amour fou et de haine en permanence quand je pense à lui, et je crois transférer tout ça sur Chris... Si je n'avais jamais connu Nathan, j'aurais vraiment aimé Chris, mais là, je n'y arrive pas, c'est impossible... Il m'agace car j'ai envie de lui reprocher ce que je reproche à Nathan, mais je ne peux bien évidement pas...
S'écartant de moi avec un grand sourire, Chris m'enlace en me chuchotant à quel point il m'aime.
J'ai honte, j'ai vraiment honte d'utiliser une personne aussi gentille que Chris à des fins aussi macabres... Surtout que pour gagner, il va devoir mourir.
Du coin de l'œil je vois Até et Adei sortir de leur chambre, main dans la main, en riant. Ils sont vraiment mignon tous les deux... Calix m'a dit qu'Até était la Petite Fille et Adei, le Chat de la Petite Fille... Je n'imagine pas à quel point ça va être horrible pour Até de voir Adei mourir quand nous devrons le tuer...
Je n'en ai pas envie... Je n'ai vraiment pas envie de tuer Adei... Mais je veux gagner, je ne veux pas mourir !
Chris me laisse seule sur le banc en me disant qu'il a un besoin pressant d'aller aux toilettes. J'en profite pour me lever et faire une petite balade dans la forêt.
Il fait bon, aujourd'hui. L'air frai de janvier arrive progressivement, mais il fait encore assez bon pour se balader sans veste ou manteau. Les fougères autours des pins sont encore d'un vert éclatant, il n'y aura pas d'hiver, cette année encore. Je crois avoir vu une seule fois de la neige. Je devais avoir huit ans, il y en avait partout dans le ciel, c'était vraiment magique. Ces petits flocons blanc qui tombaient lentement du ciel ont rendu tous les enfants de la ville heureux, d'un coup. On s'amusait à les attraper et à les regarder fondre instantanément sur nos mains rougies par le froid. Les adultes nous disaient qu'avec un peu de chance, il allait faire assez froid pour qu'il y ait plein de neige partout, mais ce n'est jamais arrivé. J'aimerai vivre assez longtemps pour voir de la neige au sol...
Je regarde les immenses pins qui m'entoure, puis-je voir la ville si je monte tout en haut ? Peut-être pas, cette forêt est gigantesque, je verrais juste des arbres à perte de vue.
Et puis je n'ai pas forcément envie de revoir cette ville. Tout est gris, que ce soit les bâtiments, ou le ciel au-dessus de notre tête. Le peu de verdure que nous voyons, c'est soit la mousse qui pousse sur les maisons, soit les cultures de fleures qui sont juste à côté de notre école. Chaque année les gens sont obligé d'en acheter et de les déposer devant le palace de l'Enfoiré pour lui souhaiter un bon anniversaire. Ce sont des fleures d'un rouge sombre, un rouge sang je dirais, mais il y en a aussi d'autres d'un blanc laiteux, et encore d'un rose pâle. Ce sont les trois seules couleurs de fleures que nous voyons enfant. A l'école on nous expliquait que le rouge symbolisait l'amour passionnel que nous ressentons pour l'Enfoiré, le blanc représente la pureté du Chef, le rose représente ce mélange entre cet amour passionnel et cette pureté, c'est sensé désigner les enfants de l'île, car nous sommes à la fois les enfants de nos parents, mais aussi ceux de l'Enfoiré. Les enfants les plus courageux finissent par découvrir d'autres couleurs de fleures en allant exploré la "forêt interdite". En réalité elle n'est pas du tout interdite, c'est juste nos parents qui tentaient de nous faire peur pour ne pas que l'on s'y aventure, car des rumeurs couraient que des Rebelles s'y cachaient, et ils avaient peur que l'on se fasse enlever.
J'ai été une de ces enfants courageuse, je suis partie avec d'autres enfants découvrir de nouvelles couleurs. J'ai découvert les pâquerettes, l'autres toutes blanches et dont les pétales poilus s'envolent lorsque l'on souffle dessus. Celles qui m'ont le plus plu ont été des toutes petites fleurs avec des pétales d'un violet assez sombre, c'est devenu ma couleur préféré, d'ailleurs.
Mais la plus grande des découverte que j'ai fait dans ce bois, ça a été les Rebelles. Un jeune garçon s'est infiltré dans le groupe d'enfant et a commencé a discuter avec moi. Nous sommes devenus amis après ça pendant plusieurs années. Il m'a avoué être un Rebelle, mais en débit des préjugés que j'avais sur eux j'ai décidé de garder contact avec lui. Je l'appréciais vraiment, il était très drôle ! J'allais le voir plusieurs fois par semaine dans cette forêt, jusqu'à mes treize ans. Un jour, après le cours, j'avais rendez-vous avec lui à notre endroit habituel. Malheureusement, j'ai été retenue une trentaine de minutes dans ma classe pour une raison pas très importante. Je me souviens être arrivé au lieu de rendez-vous épuisée, j'avais couru aussi vite que j'ai pu. Quand je suis arrivée, je l'ai vu, assis contre un arbre, un couteau planté profondément dans la gorge, j'ai tout de suite compris pourquoi il a été tué. Il avait douze ans, douze ! C'est à ce moment-là que je me suis rendue compte de l'horreur de ce monde. J'ai donc fais mes affaires, et j'ai rejoint les Rebelles sans prévenir personne. Je ne regrette pas cette décision, bien qu'elle m'ait conduit ici, car sans elle, je n'aurai jamais rencontré Nathan.
A quelques mètres en face de moi, une pomme de pin vient s'écraser lourdement au sol. Je lève les yeux et peine à apercevoir le fautif : c'est un tueur à gage. Les tueurs à gage qui sont censé nous surveiller et nous empêcher de dépasser une certaine limite. Il a une combinaison qui le recouvre de la tête aux pieds, je ne peux même pas savoir si c'est une femme ou un homme. Cette personne est assise sur un arbre et est totalement immobile. Ce doit être dur de rester dans cette position des heures entières...
N'appréciant pas que je la regarde trop fixement, cette personne finit par pointer son arme vers moi, comme pour m'intimider. Je baisse donc la tête et continue ma promenade en donnant des coups de pied dans la pomme de pin, changeant totalement mon fil de pensées.
Même si l'ambiance dans le Village est beaucoup plus calme (j'arrive à m'ennuyer maintenant), je préfère cette ambiance à celle d'avant. Il y a moins d'animosité entre les joueurs. Même Calix, Jodie et Até arrivent à discuter tranquillement, ce qui est très surprenant ! C'est peut-être parce que le Jeu est en pause qu'elles agissent comme ça, elles ne doivent pas réellement se détester, c'est le Jeu qui les poussent à agir ainsi...
Mon ventre se met à gargouiller et je décide de faire demi-tour pour aller grignoter quelque chose. Sur le chemin du retour, je croise Enea, qui se cachait derrière un buisson en dehors du sentier. Je souris et m'arrête face à elle.
- Tu peux sortir de ta cachette, je t'ai vue, dis-je.
Calix a réussi à lui faire sortir de la tête l'idée de tuer Jodie et moi, ce qui est franchement sympa car cette nana me terrifiait. Maintenant, un peu moins, mais c'est vrai qu'elle a des penchants que je ne partage pas du tout et qui me dégoutent énormément.
Silencieusement, elle se relève et je vois que ses mains le bas de son corps sont tachés de sang.
- Tout va bien ?! M'inquiété-je.
- Oui, me répond-t-elle simplement en me montrant la carcasse d'un pauvre animal dont les yeux ont étés arrachés et les viscères éparpillés au sol, son corps est encore secoué par des spasmes...
Retenant ma soudaine envie de vomir, je hoche gentiment la tête et décide de mettre dès maintenant un terme à cette discussion en retournant silencieusement au Village.
Elle vient de me couper l'appétit, super...
Je rentre dans ma chambre et aperçois Isalys et Calix qui s'enlacent, tous les deux en sanglot, tandis que Jodie est assise à côté d'eux, l'air blasée.
Jodie s'avance vers moi, soulagée que je vienne la sauver.
- Isalys s'est excusé auprès de Calix, Calix a fait la même chose, ça doit bien faire dix minutes qu'ils sont ainsi, me résume-t-elle.
Nous décidons de les laisser seuls et retournons nous asseoir sur un banc. Jodie fixe silencieusement la Maison Rouge, espérant certainement voir Bryan en sortir.
Elle fronce les sourcils et me dit calmement :
- Juste avant qu'il s'évanouisse dans mes bras, il m'a présenté ses excuses.
- Qui ?
- Bryan.
Je prends une grande inspiration. Bon, elle décide enfin d'en parler, il ne faut pas que je foire ce moment !
- Je ne sais pas pourquoi il m'a dit ça, continue-t-elle, sans la moindre émotion dans la voix.
- Peut-être qu'il s'en est voulu de tout le mal qu'il a pu te faire ?
Elle secoue la tête et elle semble se perdre dans ses pensées.
- J'avais l'impression qu'il délirait, je ne pense pas qu'il s'adressait réellement à moi...
- A Milena, tu penses ?
Jodie réfléchi quelques secondes. Elle semble replonger dans les évènements. Pourtant, aucune émotion n'est visible sur son visage ou dans sa voix.
- J'ai cru l'entendre dire un prénom... Me dit-elle. Un prénom assez court qui ne ressemblait pas du tout à Milena...
- Celui de sa mère ?
- Peut-être, on n'aura jamais la réponse...
Je pose ma main sur la sienne et la presse légèrement.
- Comment te sens-tu ? Demandé-je.
Elle hausse les épaules et se met à se mordre la lèvre.
- Vide, me répond-t-elle en fixant la Maison Rouge. Je n'arrive pas à pleurer, ni même à me sentir triste, je me sens juste... Vide... Ou peut-être légère, soulagée d'un poids, je ne sais pas... Les sentiments que j'avais envers Bryan étaient tellement confus que même après sa mort, je ne sais pas quoi ressentir...
- Je comprends... Soufflé-je.
Elle vit la même chose que moi avec Nathan, je l'aime mais je lui en veux aussi, c'est un sentiment très étrange dont j'aimerai me débarrasser, mais c'est certainement impossible.
Jodie soupir et serre ma main à son tour.
- De toute façon, si Calix ne l'avait pas tué je crois que je l'aurais fait à sa place, dit-elle sur le ton de l'humour. Me faire récurer les chiottes tous les jours, ça va deux secondes !
Nous rions toutes les deux et je la prends dans mes bras en inspirant profondément.
Je souhaite que le temps soit figé ainsi pour l'éternité...
Calix et Isalys, sortant de ma chambre, finissent par nous rejoindre dans notre étreinte. Les larmes aux yeux, nous rions tous en essayant de profiter au maximum de ce moment plein d'amour. Je me sens tellement légère. J'oublie toutes ces choses horribles qui nous est arrivé et celles qui est à venir. J'oublie Nathan, les Rebelles, ce monde de merde pleins de détraqués. J'oublie tout, le temps d'une étreinte, ce qui me remplit d'énergie et de joie...
Une sonnerie venant des haut-parleurs résonne dans tout le Village et nous relevons la tête, intrigués. Cette sonnerie dure une bonne minute, certainement pour attirer l'attention de tout le monde.
Sans prévenir, cette petite musique s'arrête, et le silence revient. Je regarde Jodie, qui semble comprendre la situation aussi bien que moi (c'est-à-dire pas du tout).
- C'est certainement Loha Noha qui fait joue-joue avec des boutons, nous dit Calix en se relevant.
Mais ni Isalys, ni Jodie, ni moi semblons être convaincus par cette explication.
Quelques secondes plus tard, une personne annonce aux haut-parleurs d'une voix presque amusée :
- J'espère que vous avez tous bien profité de cette longue pause, car le Jeu reprend dès la nuit tombée avec notre sixième Soir de Concertation. Passez une bonne journée.
Je n'ai jamais entendu un silence aussi lourd et terrifiant. Même les oiseaux semblent s'être arrêtés de chanter, les arbres ne font plus de bruit, plus rien. Je n'entends plus rien, le temps semble s'être figé, seul mon cœur est encore actif et se met à tambouriner contre ma poitrine.
Nous avons tous arrêté de respirer quand nous avons entendu cette annonce.
En l'espace de quelques secondes, juste quelques secondes, le visage de chaque personne autour de moi change brusquement. Je reconnais alors chez chacun l'expression qu'ils abordaient au début du Jeu. Ces visages, rempli d'émotions pendant cette pause, disparaissent aussi vite que mon cœur bat. Ces émotions laissent place à des expressions fausses, hypocrites, qui ne nous correspondent pas réellement.
Je ne reconnais plus mes amis. Ceux qui sont face à moi ne sont pas mes amis, ce sont les joueurs du Loup-Garou, et il va falloir que je reprenne mon rôle, moi aussi.
Je baisse donc les yeux lorsque le regard de Calix se pose sur moi.
Le Jeu du Loup-Garou peut enfin reprendre, nous sommes prêts.