L'e-motio de l'espoir lui fait signe de lever la tête. Elle s'exécute. Malgré le fait qu'elle soit dans l'incapacité de distinguer son visage, elle s'avance.
Elle est soudain envahie par une vision : elle rencontre le visage de ses géniteurs. Sa mère, Caroline, d'un teint mât avec un rouge à lèvre grésillant, ses cheveux d'un blond virant au jaune lui donne un aspect rétro, dû à sa coiffure bouclée. Son père, Hector, le chapeau sur la tête, est un tantinet plus fin que sa femme, dans son costume trois pièces, conçu spécialement pour le voyage. Cela fait opposition avec la robe en larcin beige que son épouse porte.
Elle qui a rêvé toute sa vie de les voir depuis le tableau peint dans ses rêves, obtient une image concrète de ces deux aimées. Brusquement, une idée lui traverse l'esprit. Elle se met immédiatement à chercher lequel de ses parents, elle doit ses iris turquoise.
Sa mère le revendique haut la main. Vue la couleur de ses cheveux, c'est à son père qu'elle doit sa couleur brune.
Elle rouvre les yeux en affichant un sourire radieux, mêlée d'une profonde gratitude à l'intention du patriarche.
— Merci, prononce-t-elle, en tenant fermement le bout de la trompe de l'éléphant.
Elle se lève après cela, ayant retrouvé l'usage de ses jambes. Elle recule d'instinct, se sentant de trop face à la légende vivante. Elle se tient soudain, près de l'e-motio de l'amour, qui, à la grande surprise d'Alpha, lui adresse un hochement de tête.
Alpha, encore impressionnée par toute cette suite d'évènement, ne sait comment réagir. Pris dans l'instant, les deux personnages se tournent vers l'immensité devant elles.
L'e-motio de l'espoir laisse irradier de son corps, une lumière éclairant, en moins de temps qu'il ne faut pour le saisir, tout le ciel ténébreux du sanctuaire, devenant un matin normal offrant au monde un incroyable aperçu des talents du patriarche.
Cela ne dure, hélas, car très vite, la nuit, irrécupérable gourmande, se précipite à ravaler toutes les parties qui lui ont été arrachées.
L'e-motio se penche subitement, apparaissant plus large et plus gros aux yeux des deux spectatrices. Sans comprendre la raison de son geste, Alpha lève de suite sa main droite comme pour tenir quelque chose. La bête lève son museau vers le ciel, laissant découvrir une gueule plaquée entre le corps et la trompe. Il l'ouvre grandement pour laisser échapper une petite boule lumineuse qui virevolte dans l'air. Elle finit par atterrir sur les paumes ouvertes de l'aventurière. C'est une sorte de soleil en rotation.
L'étudiant un instant, elle avoue n'avoir jamais vu quelque chose d'aussi beau. Subitement, elle ressent comme un poids se détachant de son corps. Elle s'effondre à nouveau au sol, les larmes lui tombant du visage, lançant des mercis répétés, signe de sa gratitude, tout en serrant son présent.
Très vite, elle sent une main lui caresser le dos avec douceur. La belle se penche pour vérifier son état. Alpha, reconnaissait son geste et se presse de présenter sa main pour le lier à celui du colossal.
Puis, un vent fort et glacial emplit l'espace. Telle lors d'une tempête, elles s'accroupissent et comprennent que cela provient de l'e-motio de l'espoir. Cela se suit de l'apparition d'une porte dimensionnelle, qui laisse entrevoir l'univers au travers. Une myriade d'étoile avec des images de gaz et de poussières, se mélangeant encore et encore. Alpha reste estomaquée face à ce panorama pétillant de couleurs.
Le patriarche se met à pivoter en ce sens afin de partir. Alpha ne peut l'en empêcher et reste captivée par ce moment. L'e-motio marche très vite vers un point élevé de son monde. Ils comprennent qu'ils doivent en finir.
En marchant, l'e-motio brille encore plus fort. Elles sont comme figées en assistant à ce moment. Sans savoir comment, le temps leur semble s'être arrêté.
L'e-motio s'en est allé. Alpha et l'e-motio de l'amour s'échange un regard. Il est venu pour repartir en moins d'un échange entre marchant. L'idée de demander des explications à la beauté lui a traversé l'esprit, mais elle attendra un meilleur moment.
*
* *
Le sanctuaire des colossaux. Un territoire réservé aux e-motios. Il se trouve que la vallée où se situent nos personnages est un peu plus étendue que ce que l'on voudrait croire.
Près de leur position, un groupe d'e-motios classiques se met à produire un spectacle des plus intéressants pour la nouvelle. Alpha reconnaît le doyen des classiques. Ce dernier laisse ses petites créatures danser autour de lui.
Deux autres créatures se poursuivent. On devine leur intention de reproduire le jeu du chat et de la souris. D'autres, bien moins athlétique, tente de produire quelques étincelles dans leurs mains. L'un réussit. C'est la joie. On saute on se rue vers lui, pour constater le résultat et s'en inspirer.
On considère aussi à deux cents mètres de là, le passage du fleuve Dytos. Le bruit de l'eau frappant la terre et courant sans cesse est synonyme de paix pour certains, agacement pour d'autres. C'est le cas pour un petit e-motio classique, s'étant rapproché de la rive. Impossible pour lui de supporter cependant ce bruissement incessable, qui confirme la présence de la nature. Mais pourquoi s'en rapproche-t-il ? La raison est que l'e-motio a été attiré par une lumière, brillant au fond de l'eau. Ces petites mains supportant son corps, le permettent de se baisser pour mieux considérer l'étrange chose. Mais à peine a-t-il posé ses prunelles sur le cours d'eau, qu'il est projeté en arrière, le visage effaré. Du fleuve, surgit un long corps aux écailles blanches. Le léviathan forme un arc magnifique pendant le temps d'un battement d'ailes. Le résultat reste gravé dans l'esprit de ceux qui ont la chance d'y assister et que dire de ceux qui peuvent le contempler depuis une bonne distance ?
Alpha est assise sur l'herbe verte, les jambes près d'un étang où deux autres e-motios glissent dessus comme sur une patinoire. Elle est à côté de la reine rouge. Tous deux, échangent depuis quelques instants sur une multitude de sujets :
— Ah bon ? Tu veux dire qu'il ne reviendra que dans quelques années ?
L'e-motio de l'amour, munie de geste présente des signes à l'intention de son invitée. Elle ne peut manifestement pas parler. Ce qui explique le fait qu'elle ne répondait pas aux questions de la jeune fille. Elle arrive à lier sa gorge à ses cordes vocales seulement lorsqu'elle doit chanter.
À un moment donné, la curieuse comprend qu'elle n'arrive pas à répondre favorablement à ses questions et découvre qu'elle ne peut que mimer le possible.
— Ah, la terre ? Il lui arrive de passer par la terre ? À quel moment ?
« En pleine nuit ? Et comment fait-il pour ne jamais se faire remarquer ? »
« Les aurores boréales... il ne peut être vu car c'est un esprit, à présent... je vois. »
« Dis-moi, avez-vous un nom ? Je veux dire, vous deux ? Je ne connais que tes deux semblables : Akedia et Nirvana. »
« Oui ? Comment font-ils pour communiquer avec toi ? »
« Ah ! Vous vous comprenez facilement... Quoi ?... vous ne vous êtes jamais disputé ? »
« Si ? Avec Nirvana ? Et quel en était le sujet ? »
« Moi ? Mais c'est presque impossible, vous étiez... Ah, les aventuriers, en général ?... Et qu'en avez-vous conclu ? »
« Ah, tu as remporté la manche et il a dû respecter ton choix ? »
Soudain, une pensée aux évènements survenus dernièrement dans la Toile la traverse. Elle se tourne vers son aînée et lui demande ce qu'il en est. L'e-motio se lève avec toute sa grâce et se rapproche de l'étang, à deux pas. Les pétales rouges décorées de fleurs roses et rouges agissent telle une robe de soirée dont le pan est assez long derrière. Elle lève ses mains. L'étang brille dans la seconde.
Alpha se redresse à son tour et vient quérir des informations fort essentielles : elle voit Nsenga à travers l'eau et reconnaît dans le même temps, l'e-motio d'élégance à ses côtés. Il est entrain de soigner ses blessures causées, lors de l'altercation avec les agents.
— Il a survécu, se sent-elle soulagé.
Il a cependant de multiples égratignures. Il y a aussi un grand nombre d'e-motios classiques, rassemblés autour de lui et qui le contemplent les iris emplis de curiosité, à la suite de toutes ces allées et venues.
Le décor change peu à peu, laissant entrevoir un groupe d'hommes tenant des torches enflammées. Derrière eux, un objet noir tel un manteau à fourrure est serré entre deux hommes cagoulés, dont l'un, bien en retrait place son arbalète dans le dos de la créature, de plus d'un mètre soixante-dix. Sur le coup, Alpha ne reconnaît pas la créature, ne l'ayant jamais vu. Mais en levant les yeux pour interroger l'e-motio de l'amour, elle reste sans voix devant les deux mains placées sur le visage du colossal.
Elle comprend. Celui qu'on emporte, doit être le dernier colossal qu'elle n'a point rencontré. Peut-être est-ce une chance au final. Après tout, il s'agit de l'e-motio le plus influent après celui de l'amour et qui n'a pas besoin de se chercher des adeptes, c'est eux qui viennent à lui.
Encore intéressée par la scène, elle tente de les compter. Cela l'amène à un total de sept personnes. Quatre pour les bougies et trois pour la maîtrise du géant. La face de l'e-motio se compose d'un masque blanc et d'un corps tel un ours noir. Pas de pattes perceptibles. Il n'y a que des poils.
Soudain, l'e-motio lui tend sa main comme pour attirer son attention. Alpha la fixe et suit les gestes que le colossal lui présente. Elle comprend ce qu'il en est.
C'est dans ces conditions qu'elle se redresse d'un bond et prend soin d'imprimer la face de chacun des misérables qu'elle distingue.
— Les agents de la fin, dit-elle, en reconnaissant leur blason dessiné sur leur vêtement.
Alpha se tourne à nouveau vers l'e-motio de l'amour. Elle vient de retrouver sa froideur et son sens des priorités.
— Il faut que je m'en aille, prononce-t-elle, le plus naturellement du monde.
L'e-motio lui adresse un regard bien peiné. Elle sait où va sa nouvelle amie et les dangers qu'elle encoure. C'est alors qu'elle se met à chanter une ballade afin de lui transmettre un message qu'Alpha décèle et l'enregistre dans un coin de sa tête.
Elles finissent par s'embrasser pendant quelques minutes qui paraissent longs pour quelqu'un qui n'en raffole point. Mais pour la reine rouge, un câlin est toujours un cadeau béni. Une caresse est une raison d'être encore en vie. Et c'est sur ce dernier acte, que l'aventurière se dirige vers la sortie du sanctuaire.