Je sortis du gymnase, les mains dans les poches, la tête baissée.
La moitié de la classe était venue me voir pour me féliciter, me demander depuis combien de temps je faisais de la gymnastique, le prof lui-même était venu me demander si je voulais faire des compétitions en m'inscrivant au club du lycée. Ils avaient tous été déçus que je refuse. J'ai regardé mon professeur dans les yeux en lui répondant que la compétition était uniquement pour ceux qui avaient quelque chose à se prouver,et que le sport devait être un loisir, pas une source d'angoisse ou d'excuse pour montrer qui était le meilleur. Je n'avais jamais vu un visage si décomposé. J'ai bien cru qu'il allait falloir appeler les urgences tant il était rouge.
J'avais essayé de ne pas trop en faire, me contentant de roues et de poiriers, j'avais juste fait un saut périlleux, un seul ! Et ça m'avait déjà valu des« waouh ! » impressionnés. Mais même eux pouvaient le faire, alors je n'avais pas très bien compris leur enthousiasme.Peut-être était-ce le grand-écart que j'avais fait pour m'échauffer en début de séance... Mais tout de même, il n'y avait rien de bien impressionnant là-dedans.
Je m'assis sur le banc qui était devenu ma place attitrée en soupirant. Je posai lourdement mon sac à côté de moi. Théodore arriva devant moi en fronçant les sourcils.
- Tu en tires une tête, Jenna. Quelque chose de mal s'est passé ?
Je lui racontai la séance de sport et la discussion avec mon professeur. Il explosa de rire.
- Les profs cherche les éléments un tant soit peu doués pour le club de sport du lycée. Le problème,c'est que très peu d'élèves arrivent à faire ce que tu fais,aussi simple cela puisse te paraître. Et puis les trois quarts du lycée sont plus branchés football que gymnastique et on en peut pas être bons en tout. Mais ce que tu lui as dit était magique !Tu es géniale, petite Jenna !
Il tendit son poing pour que je le lui cogne, mais je n'en fis rien. Je le regardai comme s'il était devenu fou.
- Tu parles, rien de mieux pour un premier jour que de se faire détester par un prof !
- Tu y es peut-être allée un peu fort, mais je suis certain qu'il s'en remettra. Je ne pense pas qu'il soit si rancunier.
J'en doutais, mais il essayait de me rassurer. Comme il tendait toujours son poing, je le lui tapai en souriant.
Angelo vint à notre rencontre, Lorène sur ses talons.
- Eh, Jenna, t'as assuré en sport !Je t'ai vue par la fenêtre, tu te débrouilles super bien !s'exclama-t-il.
- Non, je ne ferai pas de compétition.
- Je ne voulais pas te le proposer, ma jolie ! Tu as l'air de mauvais poil.
Je soupirai en essayant de me calmer.Théodore m'avait rassurée, mais Angelo avait rallumé le feu.
- J'ai toujours eu le droit au même discours, chaque année : « viens dans mon équipe, t'es super douée ! », « viens avec nous, pour la gym, ça va être marrant ! » et puis en dehors, c'était l'ignorance totale et ils m'évitaient tous. Je n'étais là que pour les aider en travaux de groupe, mais hors de question de traîner plus que ça avec moi !
- Dis-moi, il s'est passé quelque chose de grave quand tu étais au collège ?
- Pas au collège, en primaire. Mais le problème des petites villes, c'est que si on fait une erreur, cela nous suit toute notre vie.
Kennedy arriva en tenant joyeusement les deux bretelles de son sac en sifflant. Elle se posa à côté de moi.
- Alors, il s'est passé quoi en primaire, pour que tu aies tant de problèmes au collège ?
- J'ai cassé le nez d'un camarade enjouant à « j'attrape ton nez » en CE2... Je me suis faite virée pendant une semaine à cause de ça.
J'eus le droit à des regards presque vides, puis Théodore explosa de rire.
- Ce n'est que ça ? Tu as juste mal contrôlé ta force, c'est courant, ça ! Bon, je n'ai jamais cassé le nez de personne avec ce jeu, mais il m'est arrivé de frapper un ami pour le jeu, et il a, depuis, le nez un peu tordu,malgré les soins... Ce sont des choses qui arrivent, n'est-ce pas ?
- Ouais, enfin casser le nez c'est un peu hardcore. Mais c'est vrai que ça peut arriver. Je ne comprends pas pourquoi tu as eu autant de problèmes à cause de ça !
- Je vous l'ai dit, dans une petite ville, une seule erreur vous suit toute votre vie.
- Ils avaient tous trop peur pour leur nez ! C'est débile de croire que tu as une force surhumaine !rit Théodore
Je forçai un sourire à sa réaction.S'il savait...
Nous passâmes le reste de la récréation à discuter et rire.
Ce fut donc joyeusement que je rejoignis le cours de mathématiques. J'étais arrivée le jour du contrôle, elle me dit donc qu'elle ne garderait ma note que si j'avais au-dessus de treize points sur vingt. Cela n'allait pas être compliqué, j'avais beaucoup d'avance sur cette matière.
Lorsque je lui rendis la feuille au bout de vingt minutes, elle fronça les sourcils en me demandant si ç'avait été si dur que cela pour que j'abandonne aussi vite. Puis elle regarda ma feuille. Ses yeux passèrent de perplexe à... Quelle était cette expression, déjà ? Celle ou on a les yeux si grand ouverts qu'on a l'impression que les orbites vont se détacher ?La surprise. Probablement.
- Dis moi, tu as vu ça dans ton ancien lycée ?
- Puisque l'on devait déménager, ma mère ne m'a pas inscrite au lycée pour deux semaines. Mais j'ai un peu d'avance sur le programme. J'ai travaillé toute seule.
Inutile de lui dire que j'avais déjà fini tout le programme en cinquième. Elle m'aurait trouvée encore plus étrange.
- Tu as même utilisé une technique que tu n'es pas censée voir cette année, sur cet exercice. C'est probablement ce qui t'as fait gagné autant de temps.
- C'est un exercice facile, pour moi.Et puis nous sommes en début d'année, vous n'auriez rien fait de bien difficile.
- Tu m'as dit être en avance dans le programme. Le voilà (elle me tendit une feuille), qu'as-tu vu, pour le moment ?
- Tout. J'ai absolument tout vu. La probabilité ne m'a pas pris beaucoup de temps, et la trigonométrie était plutôt facile. J'ai un peu plus travaillé sur les vecteurs,car ils étaient nouveaux pour moi.
Elle me fixa sans trop savoir quoi dire. Elle me demanda de passer un autre test pendant le prochain cours afin qu'elle puisse déterminer mon niveau, s'il fallait que je revois des choses de cette année ou si je les maîtrisais. J'acceptai, mais je ne savais pas en quoi ça allait m'avancer. Je retournai sur mon siège et entrepris de faire mes devoirs de physique-chimie pour la dernière demie-heure qui me restait. Bien que cela ne me pris que dix minutes.
Ainsi se termina ma première journée de lycée.
Je m'assis sur mon toit qui était déjà devenu mon petit coin préféré, tant la vue était magnifique. Je posai mon sac à côté de moi et ramenai mes genoux sous mon menton. La journée avait été éprouvante, mais je m'étais bien amusée. Kennedy, Théodore, Angelo et Lorène étaient tous géniaux. Ils m'avaient accueillie à bras ouverts et m'avaient forcée à m'ouvrir à eux. J'avais cessé d'être « la sorcière » et j'étais devenue « Jenna ». Juste Jenna. J'espérais que ça durerait. Que je ne gâcherais pas tout en faisant des bêtises, comme déraciner un arbre ou oublier que je n'étais pas censée pouvoir porter une bibliothèque en bois encore remplie de livres. Il me fallait donc éviter de me porter volontaire pour ranger le CDI...
Je mis mes écouteurs et augmentai le volume de la musique au maximum. Je grimaçai puisque cela me faisait mal, mais j'avais besoin de n'entendre rien d'autre que la musique,de m'isoler du monde, penser à ce qui m'était arrivé de bien durant cette journée, apprécier la vision qui s'offrait à moi.
Ouais, j'étais un peu masochiste.
Je sentis quelque chose taper légèrement sur ma tête. J'ouvris doucement les yeux, j'avais dû m'endormir. Je vis une tête blonde sourire devant moi. Il dit quelque chose, mais je ne le compris pas. Je coupai ma musique et enlevai mes écouteurs.
- Tu t'es endormie. J'ai hésité à te réveiller, mais ta mère va sans doute finir par se demander où tues passée.
Je le remerciai en rougissant. Il se tenait trop près. Je me levai vite, ce qui me donna le tournis et me poussa à me rasseoir.
- Du calme, ne sois pas si pressée.Alors, comment s'est passée ta première journée de cours ?
Je lui racontai rapidement que j'avais rencontré de nouvelles personnes très sympathiques et racontai ma mésaventure en cours de sport. Il avait ri. Il avait eu la même réaction que tous les autres, c'était injuste ! J'étais la seule à penser que ça n'avait pas été drôle...
Nous prîmes le temps de discuter quelques minutes avant que je ne me décide de descendre et de rentrer chez moi. Parler avec Jérémy m'avait apaisée après cette journée angoissante, je pus donc me reposer correctement le soir.
Le lendemain serait peut-être une journée plus calme en émotions.