« I'm a princess cut from marble. »
Auteur inconnu
L'épée tomba lourdement sur le sol. Un nuage de terre battue se souleva et vint colorer de brun mon pantalon déjà bien sale.
Un petit rire étouffé me fit tourner la tête. Néhora était adossée contre un arbre, ses longs cheveux bruns rassemblés en une longue natte partant du haut de son crâne. Ses lèvres fines étirées dans un rictus sarcastique prouvaient son amusement, mais ses yeux noisette restaient froids et durs.
Qu'elle rit, si ça l'amuse, cette pimbêche.
Néhora ne m'aimait pas, je l'avais compris à l'instant même où elle avait posé les yeux sur moi. Je ne l'aimais guère plus.
Elina, qui assistait elle aussi à ma séance d'entrainement, me fit un clin d'œil plein d'encouragement.
Dignement, je me baissai et ramassai la lourde lame.
Seth me regardait, ni amusé, ni impatient. Il ne s'était pas une fois énervé, pourtant, j'avais été lamentable, et pire que ça même...
Je n'avais réussi à manier aucune des armes que Seth m'avait présentées jusqu'à maintenant et cela faisait déjà trois heures que nous travaillions. Aucun des épées, sabres, fleurets, lances ne réussissait à tenir plus de deux minutes dans ma main. Elles étaient soit trop lourdes, soit trop longues, soit trop petites... Malgré les conseils précis de Seth, je n'y arrivais pas, le combat n'avait jamais été ce que je préférais et je pense bien que je n'y mettais pas assez de bonne volonté.
-Elle n'y arrivera pas, Seth, laisse tomber, cria Néhora. Cette fille n'a pas assez de cran pour se battre.
-Néhora, fous-lui la paix, siffla Elina.
Seth ne lui lança même pas un regard. Il gardait les yeux fixés sur moi, me détaillant de haut en bas, comme s'il était face à un problème difficile à résoudre, comme s'il voyait en moi un potentiel que personne, pas même moi, ne voyait.
Je pouvais presque sentir le regard acéré de la chef des armées me bruler le dos.
-Non, elle a raison, soufflai-je, je n'y arrive tout simplement pas.
-Je ne suis pas d'accord, commença Seth en me tournant autour, m'évaluant du regard, tu es agile, rapide, tu n'es certes pas assez petite pour pouvoir te faufiler partout, mais tu as des atouts non négligeables.
Il fit mine de me frapper le bras, je me retournai aussitôt pour parer son coup. Il eut un sourire en coin furtif.
-Et tu as de très bons réflexes, je ne sais pas d'où ils viennent, mais ils sont bien là. Oublions les épées, je vais t'apprendre à te battre à main nue.
-J'ai déjà appris l'autodéfense.
-Oui, mais comme tu l'as très bien dit l'autre jour, ce n'est rien en comparaison de ce dont tu auras besoin ici.
-Mais Seth... elle a besoin d'une arme...
C'était Elina, elle fronçait les sourcils, l'air soucieuse.
Seth opina
-Je sais bien qu'elle aura besoin d'une arme, mais je ne vais pas lui apprendre à devenir une guerrière, mais une archère.
Elina haussa un sourcil tandis que Néhora poussait un long soupir et s'éloigna.
-Tu as dit que tu savais parfaitement tirer, c'est bien ça ?
Je hochai la tête.
-Sais-tu comment utiliser un arc ?
-Oui, mais très sommairement.
-C'est déjà ça, je vais t'expliquer. Place-toi là.
Seth me mit face à une cible, quelques mètres plus loin, bien trop loin à mon gout. Le doute m'envahit, et si je me ridiculisais encore une fois ?
Après que Seth m'eut expliqué comment tenir l'arc correctement, comment positionner mon corps et mes jambes et comment tirer, il fit quelques pas en arrière et croisa les bras sur sa poitrine.
-Maintenant, nous allons voir si tu sais viser.
J'inspirai profondément et expirai doucement, me concentrant pour que mes mains ne tremblent pas. Je pris une flèche et bandai mon arc, je me surpris à apprécier le contact rêche de la corde sur mes mains nues. Je ne doutais pas que cela devait être douloureux au bout d'un moment, pourtant, la douleur ne me faisait pas peur. Je l'attendais.
Je me concentrai, visai le cœur de la cible et lâchai. Un silence stupéfait envahit la prairie lorsque la flèche perfora le centre de la cible. Je soupirai de soulagement, au moins une chose que je n'avais pas ratée aujourd'hui.
Lorsque je me retournai, Elina souriait et Seth hocha la tête avec satisfaction. Mais nous n'étions plus seules, Myriam et Elvira venaient d'arriver, si la première me dévisagea avec aigreur, la deuxième me considéra avec une lueur d'intérêt. La belle Elvira à la gemme de Diamant ne me quittait pas des yeux.
-Je crois que nous avons une nouvelle archère, laissa échapper Elina.
Personne ne répondit, mais visiblement, ils semblaient tous d'accord avec elle.
-Vous n'avez pas d'autres archers ? demandai-je
-Si, répondit Elina, gênée, les plus douées sont Seth, Gabriel et Elvira.
-Et Elina rajouta Seth.
Elle rougit de plaisir et haussa les épaules.
-Mais vous n'avez pas de maitre archer ?
Ils pâlirent tous les quatre, Elina baissa la tête tandis que Seth ferma les yeux.
-Nous avions des maîtres archers, fini par dire Seth d'une voix étrangement rauque. Ils étaient deux, un garçon et une fille. Les meilleurs archers depuis 150 ans.
L'emploi du passé ne m'échappa pas. Je m'en voulus d'avoir abordé le sujet. Visiblement, ce garçon et cette fille n'étaient plus, et leur disparition semblait peser sur les esprits.
-Oh, d'accord. Je ne savais pas, je...
-Un arc ne te suffira pas. (Il sortit un objet étincelant de sa botte et me le tendit.) Tu auras aussi besoin de ça. C'est à toi, garde-la. Je t'apprendrai à t'en servir, mais tu n'auras pas trop de mal, tu es assez agile et vive, tu apprendras vite.
C'était une dague. Une magnifique dague en métal noir. Une émeraude de la taille d'un œil était incrustée dans la garde.
-Je... merci.
-Ça suffit pour ce matin. En fin d'après-midi nous retravaillerons ton tir, et le maniement de la dague, nous ferons ça chaque jour jusqu'à que tu sois assez douée pour te défendre seule. Compris ?
-Compris.
-Tu perds ton temps, Seth, cette fille est faible, ricana Myriam, elle tombera à la première escarmouche.
Seth ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais je ne lui en laissai pas le temps. Je saisis mon arc, bandai la corde et tirai.
La flèche vint se ficher à quelques centimètres de Myriam. Elle ne fit pas le moindre mouvement. Tous les visages de tournèrent avec étonnement vers moi, je gardai la tête haute quand le regard perçant et menaçant de Myriam se posa sur moi. Je n'aurais jamais pensé y lire du respect. Un respect tout nouveau, mais très vite recouvert par l'ennui.
-Je ne suis pas faible, Myriam Deron.
Je ne reconnus pas ma voix. Ce n'était pas celle de Lévana Sildek, la fille fragile et un peu perdue que j'avais été depuis mon arrivée à Amidror, mais celle de la fille que j'étais avant, celle qui sommeillait en moi depuis quelques jours, ou peut-être depuis toujours. C'était la voix non pas d'une simple domestique, mais celle d'Era Eléazar-Malkam, future reine de la Tour d'Ivoire. Une femme qui n'avait pas peur des autres, qui avait grandi dans un monde pourri jusqu'à la moelle, dans un monde où il fallait sans cesse porter un masque, se battre, mentir, tricher, et corrompre. J'étais tout sauf faible.
Depuis mon arrivée, je n'avais cessé de me rabaisser, de me soumettre, de courber l'échine devant eux. Je les avais divinisés, ces hommes et ces femmes qui depuis leur plus tendre enfance avaient appris à se battre, à survivre dans un monde hostile, décimé par la guerre et la haine. J'avais admiré leur courage, leur amitié, leur force. Mais j'avais oublié qui j'étais, j'avais oublié d'où je venais. Je pouvais passer ma vie à essayer d'oublier, d'enterrer la fille que j'avais été, de condamner les miens et de m'en éloigner, je ne pourrais jamais effacer le fait que j'étais une Ivoirienne, une descendante de Créateur, puissante et crainte.
Je ne pouvais peut-être pas leur révéler qui j'étais, mais je n'allais plus être quelqu'un que je n'étais pas, c'était fini.
Sans lâcher mon arc, je m'approchai de Myriam, qui me regardait, incrédule, avancer vers elle. Je m'arrêtai à quelques centimètres de son visage. J'étais plus grande qu'elle, je dus baisser la tête pour la regarder dans les yeux.
En cet instant, je n'étais plus une étrangère désorientée, j'étais une souveraine.
-Je crois qu'il est temps que nous mettions certaines choses au clair. Jusqu'à maintenant, j'ai été relativement patiente, j'ai accepté tes moqueries sans rien dire, mais à partir de maintenant, c'est fini. Que tu doutes de ma sincérité m'importe peu, à vrai dire, je suis ici parce que ta dirigeante me l'a permis et si je ne me trompe pas, la parole de votre reine passe avant tout. Alors la prochaine fois, avant de m'humilier ainsi, réfléchis un peu, et ais au moins le courage de me le dire clairement en face. (Je me tournai vers Elvira.) Il en va de même pour cette charmante Néhora.
Un sourire discret apparut sur le visage de statue d'Elvira. Myriam, quant à elle, se contenta de me fixer, mais je ne vis plus de dégout dans ses yeux rouges, seulement une franche curiosité.
-Tu ne finiras pas de nous étonner, l'ivoirienne, lâcha-t-elle simplement.
Un rire me sortit de ma torpeur et dégonfla ma colère dans le même temps.
-Oh, mon dieu, Lévana, je t'aime de plus en plus, pouffa Elina.
Un sourire m'échappa. Mais il disparut à la seconde où mes yeux se perdirent dans l'océan vert clair qu'étaient ceux de Seth. Choc et stupéfaction se lisaient sur son visage. Il me regardait comme s'il venait de me rencontrer pour la première, comme s'il me voyait enfin. Era était de nouveau là, et ce fut grâce à son arrogance que je réussis à omettre le fait que mon ventre se noua soudain et que mon cœur se mit à battre plus fort pour pouvoir lui lancer un regard pénétrant et lui offrir un sourire charmeur. Un de ces sourires auxquels aucun homme de la Tour ne pouvait résister.
Sans m'arrêter de sourire, je fis quelques pas vers lui et lui plaquai l'arc contre son torse. Il le saisit sans un mot, mais sans me quitter des yeux. Il était troublé, je le voyais bien.
-Merci professeur pour ce cours très instructif. Je me réjouis déjà pour le prochain, susurrai-je à quelques centimètres de son visage.
Il ouvrit de grands yeux médusés, mais j'avais fait mouche ; il avait arrêté de respirer pendant tout le long de notre échange de regard.
Et voilà, Seth Sarkis, ça c'était pour m'avoir ignoré depuis des jours.
D'une démarche lente et calculée, je m'éloignai, heureuse de pouvoir aller retrouver Gabriel pour le repas de midi.
Lorsque je fus assez loin, j'entendis à nouveau Elina rire. Et j'aurais juré sentir encore sur moi le regard de Seth.