Lundi 7 octobre
Aujourd'hui, notre préfet a demandé à Lubrizol et Normandie Logistique (la deuxième usine qui a brûlé) de faire "cesser l'odeur" que les Rouennais sentent toujours dans l'air, car elle serait "incommodante et anxiogène".
Je trouve ça chou.
"Arrêtez de faire que ça sent pas bon SVP :'(", voilà comment j'ai interprété cette phrase.
Et ceci dit, il a raison ce brave monsieur. L'odeur d'essence et de gaz est à nouveau entrée dans mon appartement.
Dans la rue, le constat est le même.
Mardi 8 octobre
La nouvelle tombe : les dioxines dont nous redoutions la présence ont bel et bien saturé notre air. Dans l'une des communes des environs de Rouen, Atmo relève des taux 4 fois supérieurs à la normale le jour de l'incendie.
Des médecins et scientifiques alertent sur le danger à long terme que cela implique pour les habitants de Rouen et ses environs.
Et l'article de conclure : "En attendant, aucune consigne particulière n'est donnée aux habitants."
Jeudi 10 octobre
Les odeurs sont toujours aussi tenaces. Elles se sont invitées chez moi depuis hier soir et sont restées jusqu'au matin.
Le soir, en repartant du bureau, c'est la même chose. J'envisage sérieusement de m'offrir un masque à gaz que je pourrais customiser.
Avec des stickers sympas, peut-être que ça peut être cool ?
J'apprends qu'une trentaine de policiers a déposé plainte "contre X" (ah ah, non mais portez vos balls et dites-le hein, "LU-BRI-ZOL", c'est pas bien compliqué). Contrairement aux pompiers, ils ne bénéficient pas de suivi médical suite à cette catastrophe car, selon le préfet, il est normal que les policiers bénéficient du même traitement que le reste de la population.
Soit RIEN DU TOUT hein, au cas où le doute subsisterait. Il n'y a rien. Et je suis certaine qu'il n'y aura rien.
Des perquisitions sont en cours à la fois chez Lubrizol et chez Normandie Logistique. Ces derniers affirment avoir la "quasi certitude" que l'incendie ne viendrait pas de chez eux, mais bien de chez Lubrizol. Bien évidemment, c'est un tout autre son de cloche du côté de Lubrizol (rappelons qu'ils ont déposé plainte contre X pour le départ de feu). Le président monde de Lubrizol, Eric Schnur, déclare d'ailleurs "le feu a d'abord été observé et signalé à l'extérieur du site Lubrizol", citant "le circuit de surveillance vidéo interne" et "des rapports de témoins oculaires".
Notez qu'on n'a jamais vu la moindre vidéo ni entendu parler du moindre témoin oculaire, donc actuellement son intervention a la même consistance que celle de son voisin "je ne sais pas ce qui a brûlé chez moi, je ne suis pas chimiste" : une feuille de laitue.
Pourtant, les deux débiles profonds qui se rejettent mutuellement la responsabilité de cette catastrophe ne seront pas les gagnants de la palme du plus sombre connard de la journée. Non, car aujourd'hui, on conjuguera ce titre au féminin pour l'attribuer à la directrice générale France de Lubrizol. Réagissant à la nouvelle concernant les taux de dioxines anormalement élevés, relevés le jour de l'incendie, elle déclare, et j'ai envie d'encadrer cette citation :
"Il va falloir prouver que c'est une pollution liée à l'incendie parce qu'il n'y a pas de produit chloré dans ce qui a brûlé chez Lubrizol. C'est un point singulier."
Oh, vraiment ? Donc parmi les 5000 tonnes de saletés qui ont cramé, parmi tous les produits toxiques divers et variés qui nous ont pollué, PAS DE CHANCE, celui-là on l'avait pas dis donc !
"Dans la famille Boudin, je voudrais la mère !" "Ah non y'a pas de mère dans cette famille." "Bon admettons, le père alors ?" "Alors non plus, y'a pas de père non plus en fait..." "Vas-y file quelqu'un j'm'en fiche là..." "Alors en fait c'est compliqué : j'ai des cartes, mais elles sont vierges en fait, et la famille Boudin n'existe pas d'ailleurs, c'est une invention des écolo. Va falloir prouver qu'elle existe, la famille Boudin, parce que là c'est un point singulier..."
La dioxine a popé toute seule dans l'air je pense, ça doit être une réaction chimique qui se produit quand des industriels irresponsables vomissent trop de conneries dans un laps de temps trop réduit, en fait.
Ils me fatiguent, tous ces gens. À moins que ma fatigue soit dû aux gaz que j'ai respiré grâce à eux, au choix.
Mardi 15 octobre
L'odeur s'est encore emparée des rues, forte comme au premier jour. C'est définitivement un gaz, quoi qu'ils en disent : il retombe systématiquement après de grosses averses. Une histoire de pression, m'a-t-on expliqué.
Aujourd'hui, j'ai reçu ma facture d'eau. Comme c'est ironique !
Mercredi 16 octobre
Le Monde fait paraître un article révélant que les analyses des pompiers qui sont intervenus sur l'incendie de Lubrizol sont anormales pour certains d'entre eux. Les résultats portent sur le foie et les reins, et, je cite : "Ces résultats ne sont pas bons" (selon un toxicochimiste, André Picot). "Le foie, comme les reins, c'est notre centre antipoison. Si les transaminases sont élevées, c'est que le foie a subi une agression." Et Le Monde d'ajouter "Le fondateur de l'unité de prévention du risque chimique du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) relève le risque de développer une hépatite ou, à long terme, des cancers."
Oui bon, jusque-là, personne n'était surpris, hein. C'est fou ce qu'on finit par accepter.
~ À suivre ~