[Catastrophe chimique à Rouen - 2/4] Reine des cendres

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Jeudi 26, 11h59

J'accueille la pause de midi avec soulagement. Mon compagnon termine son call professionnel et on décide de manger. Adeptes de Deliveroo, ce midi, impossible de se faire livrer quoi que ce soit, et pour cause ! L'application affiche d'ailleurs un message d'excuses, expliquant qu'en raison de l'incendie de l'usine à Rouen, aucun livreur ne circulera de la journée.

Comme si les commerces étaient ouverts !

Heureusement, nous avons à manger pour 6 mois. Je grignote, ma cuite me faisant craindre des nausées.

L'avantage d'avoir une gueule de bois le jour où une catastrophe chimique s'abat sur votre ville, c'est que vous savez que vos symptômes - maux de tête, nausées, gorge sèche, etc - peuvent être imputés à cette soirée décidément pas raisonnable que vous avez passée la veille.

Je comate jusqu'à l'heure de m'y remettre. Le panache recouvre la ville, désormais, et si l'on regarde à l'Ouest, on a l'impression qu'il fait nuit. Je suis fascinée par les volutes de fumée, volcaniques, si différentes de ce que l'on peut voir d'ordinaire.


Moi, je suis à droite, juste derrière les deux grandes tours

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Moi, je suis à droite, juste derrière les deux grandes tours.


Je me surprends à m'interroger sur l'absence de cendres. Non, il ne pleut pas des cendres de ce ciel apocalyptique. J'imaginais pourtant une scène proche de ce que j'avais découvert dans la dernière saison de Game of Thrones, dans le King's Landing détruit.

Rien de tout ça. Le brasier qui brûle toujours à 2 km de chez moi ne dévore pas le bois ou la pierre. Son combustible ? Des fûts de produits pétrochimiques, des adjuvants pour l'essence, du lubrifiant pour les véhicules, des gaz dangereux qui font que ce site mérite sa classification Seveso seuil haut.

Non, il ne pleut pas des cendres. Ce qu'il pleuvra sera bien pire que de la cendre.

L'incendie n'est toujours pas éteint. J'apprends par l'un de mes collègues, qui a des contacts parmi les pompiers, que le feu est "hors de contrôle". Ils pompent l'eau de la Seine pour tenter de circonscrire les flammes. Les informations du chef des pompiers, bien plus franc que le préfet, contredisent les autorités qui assurent que les fumées sont sans danger.

Aucune fumée n'est sans danger, fût-elle celle d'un barbecue.

Là, c'est une usine classée comme dangereuse qui est en train de s'évaporer dans l'air. Les substances nocives sont chauffées à des températures inimaginables, le panache est d'un noir impressionnant.

Sans danger, vraiment ?

Ma mère tente de tirer quelques ficelles pour avoir des renseignements sans le filtre politique que l'on connaît si bien, en France. Tandis que le préfet assure que tout est sous contrôle, que monsieur Castaner renchérit en trouvant, limite, que l'air n'est pas plus pur qu'avant ("tiens, c'est sympa cette ambiance gothique, c'est une reconstitution réaliste du bûcher de Jeanne ? Boarf vous exagérez les rouennais, elle était pas si huileuse que ça la donzelle, bouahahahaha" = rire aussi gras que la fumée), chacun sait qu'on nous ment.

Vie d'autrice - RantbookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant