« I know I don't belong here. »
-Tu es la cousine de Gabriel et Seth ?
Elle hocha la tête en souriant.
-Ils sont plus que ça, je les considère comme mes frères, m'expliqua-t-elle sans la moindre gêne.
-Gabriel a l'air d'être quelqu'un de bien, c'est lui qui m'a sauvé, dans les souterrains.
-Gabriel est un ange, il ferait n'importe quoi pour aider les autres !
-Et Seth, eh bien...
Je lui jetai un regard en coin, attendant qu'elle m'en dise davantage sur le mystérieux frère de Gabriel.
Elina ne tomba pas dans mon piège et me lança un regard mystérieux, un sourire en coin sur les lèvres.
-Tu ne l'aimes pas ?
-Je n'en sais rien, je viens à peine de le rencontrer, mais il n'a pas été bien aimable, à vrai dire...
Elina balança sa tête en arrière et explosa de rire.
-ça ne m'étonne pas de Seth, il fait cet effet-là à tout le monde. Ca lui passera, et quand tu le connaitras mieux tu verras qu'il est aussi bon que Gabriel, voire plus encore.
-Et Raphael ?
-Raphael... (elle secoua la tête, un doux sourire sur les lèvres) c'est un clown, tout simplement ! Il est comme il est fidèle à lui-même.
Elina me conduisit jusqu'à une petite maison au pied d'un grand chêne, un peu à l'écart du village. Je ne pus dire pourquoi, mais j'adorais tout de suite cet endroit.
-C'est le coin des invités, mais là, tu es la seule. Tu seras tranquille.
En effet, je remarquais d'autres petites habitations et cabanons un peu plus loin.
Elina ouvrit les la porte et m'invita à entrer avec un grand et chaleureux sourire. Les sourires d'Elina étaient vrais , cette fille était si différente des gens que j'avais côtoyés dans la Tour. Elle ne se forçait pas, et semblait vraiment m'apprécier, même si je ne savais pas pourquoi.
-Voici ton nouveau chez toi !
C'était simple. Très simple. Personne ne vivait dans une telle simplicité dans la Tour, pas même les domestiques. Elle n'était pas bien grande, et comptait un grand lit composé d'une multitude de fourrures à même le sol, d'une petite table, d'une baignoire taillée dans une roche noire, une commode et une armoire en bois massif. Des tissus de toutes les couleurs drapaient les murs et des fleurs avaient été posées çà et là. C'était rudimentaire, mais je m'y plus tout de suite, c'était chez moi.
-Tu aimes ? demanda-t-elle, un peu inquiète, je sais que ça n'a rien à voir avec le luxe dont tu avais l'habitude dans la Tour, mais j'ai fait de mon mieux pour l'aménager, pour que tu t'y sentes à l'aise et que le changement ne soit pas trop violent. J'ai écumé les marchés avant de trouver les bons tissus, les bonnes teintes, et pour les fleurs elles viennent des forêts du couchant (elle haussa les épaules), je les trouvais plutôt jolies.
-C'est magnifique, merci. (ma gorge se serra douloureusement)
-Tu peux le dire si tu n'aimes pas, tu sais, je ne t'en voudrais pas.
Je me tournai vers elle et souris.
-Non, vraiment, c'est... parfait.
Je ne savais pas si Elina me crut mais elle me sourit quand même.
Elle ne se rendait pas compte de ce que sa gentillesse gratuite représentait pour moi, elle avait tout fait pour que je me sente bien ici alors qu'elle ne me connaissait même pas. Cette bonté, qui m'était jusqu'alors inconnue, me toucha.
-Bon, je vais te laisser te reposer, je t'ai déjà préparé un bain. Pour les prochaines fois, je te montrerai, il faut aller chercher l'eau en contrebas. Je reviendrais te chercher quand l'heure sera venue.
Elle tourna les talons mais avant qu'elle franchisse le seuil, je la rattrapai par le bras.
-Attends, pourquoi fais-tu tout ça ? finis-je par lui demander. Pourquoi es-tu si gentille avec moi ? Tu ne me connais même pas...
-Je ne sais pas... quand j'ai su qu'une jeune fille à peine plus âgée que moi allait arriver, je me suis dit que l'on pourrait devenir amie. Et quand je t'ai vu, j'ai tout de suite su qu'on allait s'entendre, j'ai un don pour sentir ce genre de chose.
Je pensai soudain à Iris, la seule amie que je n'avais jamais eue, à part elle, je n'avais jamais été proche d'une autre fille. Mais mon ancienne vie était derrière moi, Iris avait choisi de rester, elle appartenait au passé, même si je n'arriverais jamais à l'oublier complètement et que mon cœur saignerait toujours à cause de sa perte.
Je lui offris mon premier vrai sourire et lui lâchai le bras.
-J'aimerais beaucoup être ton amie, Elina.
Son sourire s'élargit, sa peau bronzée et ses yeux éclatants lui donnaient une apparence pleine de vie.
-J'étais sûr qu'on s'entendrait, Lévana.
Elle regarda ma chambre et dit :
-Je t'aurais bien proposé de vivre avec moi, à vrai dire, c'était ma première idée, mais Seth ne voulait pas, il a peur que tu essayes de m'assassiner dans mon sommeil. (elle pouffa) Ridicule, tu ne ferais pas le poids face à moi.
Je haussai un sourcil.
-Tu es bien sûr de toi. Tu as quel âge, en fait ?
-J'ai 16 ans, et oui, je suis sûre de te battre à plate couture, je me battais avant même que je ne sache parler.
-L'art de la guerre semble être au cœur de votre société, dis-je simplement.
Elle me décocha un sourire diabolique.
-Exactement. Mais tu comprendras vite que dans notre monde, savoir se battre est aussi vitale que de respirer.
A peine fut-elle partie que je défis mon foulard, mais je ne touchais pas à celui autour de mon cou, j'avais trop peur que l'on puisse voir ma marque. Même si la gomme d'Adox la cachait comme elle dissimulait mes traits. Je détachai mes cheveux noirs qui tombèrent en cascade sur mes épaules, je me débarrassai de mes vêtements et de mes chaussures trop petites et les jetai dans un coin de la chambre.
Sans plus attendre, je me glissai dans l'eau bien chaude de la baignoire. Comment elle l'avait chauffée, ça, je n'en savais rien, mais tous mes muscles la remercièrent. Mes cheveux étaient humides de transpiration, et mon corps, rouge de sang. Je pris un savon posé à côté et me frottai la peau avec vigueur, essayant d'oublier le fait que sous la gomme, la marque des Malkam salissait ma peau.
Lorsque j'eus fini, je fus heureuse de constater que mes cheveux n'étaient pas redevenus blonds. Les recommandations d'Anna me revinrent : faire attention de ne pas perdre mes lentilles.
Je sortis de la baignoire et trouvai des vêtements pliés sur une chaise, ils n'étaient pas comme ceux d'Elina, c'était un simple pantalon en toile kaki, des bottes chaudes, un chemisier blanc et une veste brune. Simples mais confortables, si différents des robes que je portais avant.
Elina avait pensé à tout, un miroir était posé sur la commode ainsi que quelques produits cosmétiques. Les petits pots sculptés dans lesquels ils étaient contenus m'apprirent qu'ils les faisaient surement eux-même, de même que le mascara et le rouge à lèvres. Elina avait dû se ruiner pour m'offrir tous ces produits.
Je ne réussis pas à me faire de nattes, les domestiques s'en chargeaient toujours. Je n'avais jamais eu besoin de me coiffer seule.
Alors je me glissai avec un soupir de satisfaction dans les douces et chaudes fourrures et accueilli le sommeil à bras ouverts. J'allais avoir quelques précieuses heures d'inconscience, où je n'aurais plus à penser à la Tour, à Ayaan et ce qui s'était passé entre nous, ou à ce que j'avais fait, je n'étais plus contrainte de penser à l'avenir, à ce nouveau monde et ce qu'il me réservait.
-Réveille-toi petite marmotte, me souffla une petite voix amusée.
J'ouvris un œil, puis le deuxième, en gémissant. Cette petite sieste m'avait fatigué encore plus et un mal de crâne me lançait.
Elina était assise à côté de moi, elle me regardait, fascinée.
-Je ne voudrais pas te paraitre futile, mais je dois dire que j'ai rarement vu une personne aussi belle que toi.
-Je devais vraiment être recouverte de crasses et particulièrement horrible en arrivant...
Elle rit.
-Ce n'est pas ce que je voulais dire, mais tu es vraiment belle, Lévana. (Elle secoua la tête en clignant des yeux) je n'en reviens pas de dire ça, je n'ai jamais dit ça à qui que ce soit, ce n'est vraiment pas dans mon habitude.
-Merci, en tout cas.
Elle me dévisagea encore quelques instants, mes cheveux, mon visage, puis sourit en me tendant une main.
-Allez, lève-tôt, princesse, c'est l'heure.
Je me raidis, « princesse ». Mon ancienne vie allait-elle me poursuivre éternellement ?
-Je vais te faire une natte, si tu veux.
-Avec plaisir, je n'ai jamais été très douée, pour ça, expliquais-je en riant.
Elina fronça les sourcils tout en commençant à natter mes longs cheveux de jais.
-Un peu étrange pour la domestique d'une grande dame... d'ailleurs, tes cheveux sont drôlement bien entretenus, pour une domestique, je veux dire...
Je ne répondis rien, horrifiée par ma bêtise.
-Excuse-moi... je ne voulais pas te blesser mais c'est juste...
-Non, ce n'est pas grave... en fait, c'est un peu dur à croire, mais je m'entendais très bien avec Dame Era, je ne sais pas si nous étions amies, mais elle aimait parfois me coiffer (j'haussai nonchalamment les épaules), elle était gentille.
Elle me regarda longuement.
-Tu n'es pas au courant, n'est-ce pas ?
-Quoi donc ?
-La princesse Era a disparu. La Terre entière est à sa recherche, les Ivoiriens, ainsi que toutes les Nations du monde.
Si elle savait...
Je clignai plusieurs fois des yeux. J'avais eu raison, Iris aussi, jamais ils ne me laisseraient m'enfuir. Jamais. Mes origines me poursuivraient n'importe où.
-Je suis désolée si elle était ton amie... tu ne savais vraiment pas qu'elle comptait s'enfuir ?
Je fronçai les sourcils.
-Elle s'est enfuie ? Elle ne sait pas fait enlever ?
-Apparemment non, c'est une évasion.
-Je n'aurais jamais cru...
-Ils vont te poser beaucoup de questions, ils veulent savoir où elle se trouve.
-Et toi ?
-Moi ?
-Tu penses qu'il faut la retrouver ?
Elle soupira.
-Je n'en sais trop rien, mais je trouve qu'on en fait trop pour une fille qui ne nous apportera rien mis à part des ennuis.
Les mots me blessèrent même si je savais que ces gens ne me connaissaient pas vraiment.
-J'ai une question... comment savez-vous tout ça ?
-Oh, nous avons des espions partout, comme les Souffleurs de Rêves qui nous ont contactés pour te sortir de là. Pour Era Eléazar, c'est eux qui nous ont informés, mais d'habitude c'est la Tour elle-même qui s'en charge.
-Comment ça ? demandai-je, tremblante d'effroi.
-Tu ne sais donc pas ?
Je secouai la tête.
-Eh bien, nous avons des radios, des télévisions, spécialement conçues pour cela, que la Tour contrôle entièrement, tous les évènements importants de la Tour nous sont retransmis, de sorte que l'on est au courant de tout. Nous avons vu le mariage du prince Ayaan et de la princesse Era, la prise de pouvoir de Melech, et tant d'autres choses au cours des années... ils se débrouillent toujours pour que l'on sache qu'ils sont les maitres, même enfermés dans leur maudite tour. Les satellites, internet, tout est entre leur main, ils contrôlent tout et nous font voir ce qu'ils veulent. Mais qu'importe, qu'ils crèvent, nous, on vit très bien sans eux. Mais ils restent une menace, s'ils décident de sortir, ou de nous éradiquer, ils seraient en mesure le faire, à tout instant, et on ne pourrait rien faire.
Le souffle me manquait tandis que je commençais à comprendre.
-Mais alors, murmurai-je, ils savent que vous existez ?
Elle me regarda étrangement.
-Évidemment qu'ils savent. Ils sortent faire des raids, et même parfois, mais c'est très rare, rasent des villages trop près à leur gout. Des kilomètres et des kilomètres autour de la Tour nous sont interdits, des terres infertiles, brulées, interdites à tous êtres vivants. D'où crois-tu qu'ils cherchent vos richesses, vos métaux ?
Je ne pouvais pas y croire, nous mentait-t-on vraiment depuis tant d'années ?
-Vous n'êtes pas au courant, n'est-ce pas ? Le peuple ne sait rien ?
-Non, ils ne savent pas...
-Vous n'êtes pas si coupés du monde que ça en réalité...