Matriochkas - [Advent Calenda...

By Lhazareen

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Advent Calendar 2019 Projet collaboratif (BTS) 24 jours, 24 conteurs, 24 citations, 24 OS --- Depuis quand... More

Préface
Présentations
Sommaire
1h - L'Éphémère
2h - En eau froide
3h - Freedom
4h - A Shade of Blue Grey
5h - Songes cachés
6h - La Montagne dans le ciel
7h - Chimera
8h - Back in Time
9h - La pluie nous portera
10h - Le Piano
12h - Birds
13h - Eden
14h - Perséides cachées
15h - Around the Corner
16h - We Don't Talk Together
17h - À voix haute
18h - Taehyung ou la quête de la lumière
19h - Garde du cœur
20h - Le suivant dans cinq minutes
21h - Ribbon
22h - Carmin
23h - Décalcomanie
00h - Les Oiseaux migrateurs

11h - Celui qui reste

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By Lhazareen

« Toi qui as été habitué à être puni à ma place, habitué à être si fragile. »

- Stigma 

Wings

———

_ Tu ne peux plus faire ça, TaeHyung.

J'évite de le regarder. J'enfile ma veste, comme un automatisme. L'instant est terminé et tout ça, tout ce qui vient de se produire et tout ce que je suis en train d'effectuer là, tout de suite, c'est comme un rituel. Le début, le milieu, la fin, c'est comme un film qu'on a déjà tourné mille fois et je me demande pourquoi Hoseok se sent obligé d'en changer l'une des répliques.

_ Faire quoi ?

_ Venir ici comme si...Merde, j'suis pas un jouet.

Je fronce les sourcils, arrache une cigarette de son paquet et la bloque entre mes dents. Sans rien répondre, je fais semblant de chercher mon briquet en tâtonnant mes poches, même si ce briquet, je sais très bien où il se trouve. Meubler l'espace, faire semblant d'avoir l'esprit occupé. C'est naturel, presque de l'instinct de survie.

_TaeHyung, nom de Dieu...

_ Quoi ?

J'allume ma clope. J'essaye de ne rien laisser paraître, debout là, devant son lit. Mais Hoseok ne lâche rien, il m'observe à travers ses mèches noires, le corps à moitié couvert de son drap blanc. Y a quelque chose de nouveau, dans son regard, mais j'ai du mal à discerner quoi exactement. Je sais ce qu'il essaye de me dire. Ça arrive de temps en temps et je reconnais bien cette espèce de détermination dont il essaye de faire preuve. Il y a des mots qu'il aimerait dire mais qui ne sortent pourtant jamais de sa bouche. Il me regarde seulement et ses yeux me crient que je suis la cause de ses tourments. Parfois, quand je n'arrive pas à me détacher de cette image là d'Hoseok, ça me rend triste et j'aimerais être capable de tout arrêter. Je devrais être celui qui prend cette foutue décision.

Mais tout comme lui, j'en suis incapable.

_ Je ne viendrai plus, alors.

_ Ce n'est pas ce que je voulais dire...

Ça tourne en rond. Et ç'a toujours été le cas, depuis le début. Je pense sincèrement avoir fait le tour un million de fois déjà. Je ne me sens pas prêt à lui donner ce qu'il attend de moi et peut-être bien que je ne le serai jamais. Pourtant, j'ai besoin de lui. Il fait partie de mon monde et de temps en temps, je lui en veux de prendre autant de place. Sans le vouloir, je lui fais payer tant de choses à la fois.

_ Tu peux venir quand tu veux. Tu le sais.

Alors quoi ? J'ai envie de demander, mais je m'abstiens. Sa détermination semble s'être envolée. C'était intense, mais si rapide. Comme si elle n'avait finalement jamais existé. Et je m'en veux de le trouver si faible, parce qu'au fond je le suis tout autant.

_ D'accord. Alors tout va bien, pas vrai ?

Il force un sourire.

_ Je suppose que oui.

J'écrase ma cigarette et enfile mes chaussures.

La conversation est close, même s'il reste encore tant de choses à dire.

Ce soir pourtant, un simple baiser sur les lèvres clôturera ces courtes retrouvailles.

[...]

Je crois que j'arrive enfin à l'imaginer. À quel point c'est difficile. Surtout à quel point ça l'a toujours été. Être là, à attendre quelque chose qui va forcément arriver trop tôt. Simplement le regarder est devenu un véritable calvaire et je me demande ce que je fais là, exactement. Il rit, me raconte un tas de conneries sans queue ni tête, à propos de sa voisine de chambre, de l'aide-soignante et du médecin trop petit et moi je me demande à quoi il pense réellement, de quoi est composé le reste de ses pensées, tout ce qu'il n'arrive pas à dire. Ni à moi, ni à personne. Peut-être même pas à lui-même.

C'est triste de le retrouver là, après tout ce temps qu'il a passé à courir après quelque chose qu'il n'a jamais été capable d'attraper. J'ai toujours admiré sa combativité. Il n'a jamais été question pour lui d'abandonner, quand bien même il n'y avait plus d'espoir. Et j'ai toujours assisté à ce lent combat, cette espèce de résistance futile. Encore aujourd'hui, je le regarde se battre dans le vide et il n'y a décidément plus aucun sens à tout ça. Tout est bientôt terminé. Ce point final me fait tellement peur et, égoïstement, j'aimerais qu'il ait peur avec moi.

_ Tes cours se passent bien, sinon ?

_ Oui.

Je gribouille dans mon cahier. C'est compliqué de représenter ce que je ressens à l'instant. Il y a des machines, des bruits, des odeurs et son visage. Fatigué, creusé, dont l'unique couleur semble tirer sur le gris. Je déteste ça. Lever les yeux vers lui est de plus en plus dur. Une envie de pleurer et de hurler se mélange lentement dans mes entrailles, le genre d'émotion qu'il m'est tellement difficile de contenir.

_ Et Hoseok, comment il va ?

_ Bien.

C'est faux.

Hoseok, ça fait un moment qu'il ne va plus bien, surtout en ma présence. Quant au reste du temps, je ne m'en préoccupe plus depuis longtemps. Mais si je lui disais la vérité, que penserait-il de moi ? Plus que tout, j'aimerais que mon frère garde la plus belle image de moi que possible. Et au fond, est-ce si grave si elle est erronée ?

_ Et maman ? Papa ?

Cette fois, je relève les yeux. Il doit lire la question dans mes yeux, puisqu'il rit légèrement, comme si rien de tout ça n'était grave, après tout.

_ Ça fait à peu près une semaine qu'ils ne sont pas venus. Je m'inquiète. Il y a un problème, à la maison ?

Un rapide calcul me permet de déterminer qu'ils n'ont pas remis un pied ici depuis leur dernière conversation avec le médecin. C'était leur décision. Leur foutue décision. Alors pourquoi, soudainement, ils n'osent plus faire face à leur fils ? Un horrible sentiment de trahison me tord le bide et je serre les lèvres pour éviter de tout balancer.

_ Tout va bien, ils passeront sans doute dans la semaine prochaine.

J'essaye de lui sourire, mais je doute du résultat et son soupir ne fait que confirmer mes inquiétudes. J'aimerais qu'il soit heureux, au moins rien qu'un peu. Mais en le regardant, je me rends bien compte que toute cette attente accumulée ne fait que le rendre plus malheureux encore. Tout ça n'a que trop duré et, jusque là, il n'a fait qu'attendre un coup qui tarde à venir. Un coup qu'il a eu le temps de voir arriver. Et fatalement, plus ça met du temps, plus il augmente en puissance. Je me demande s'il en a conscience.

_ Il y a quelque chose que tu n'oses pas me dire ?

Non, ce n'est pas juste quelque chose. C'est une montagne de choses. Au fil du temps, ça s'accumule pour former cet amas de non-dits, d'espoirs sans fin, d'attentes inutiles. Oh, cette fois, c'est certain. C'est fixé.

C'est ici que ça se termine, frérot. Et on m'interdit strictement de te dire au revoir. Je suis celui qui reste. Celui destiné à en souffrir. En réalité, pour toi, qu'est-ce que ça peut bien changer ?

_ Non, tout va bien.

Ce sourire qu'il me lance ne fait que raviver une douleur encore trop récente. C'est un sourire que je connais que trop bien et que j'espère pouvoir effacer de ma mémoire à son départ. Mais ce sont des choses qui restent forcément, pas vrai ? Tout ce qui fait souffrir, tous ces trucs qu'on aimerait oublier, qu'on se force à minimiser, au final, c'est ce qui nous hante jusqu'à la fin. Et ce sourire, je le sais, il va me hanter jusqu'au bout. Ce fragile petit sourire, l'ombre d'un pardon, comme s'il s'excusait d'exister.

J'ai soudainement envie de tout mettre sur le dos de nos parents. Eux qui ont passé tout leur temps à le rendre si faible, comme s'ils ne l'estimaient pas capable d'accomplir quoi que ce soit. Eux qui ont donné la victoire à sa maladie avant même qu'il n'entame le vrai combat. Et je me souviens, lorsqu'on était petits, à quel point ça se ressentait, cet écart entre lui et moi. La façon dont ils nous traitaient, à quel point mon frère en souffrait. Malgré sa position d'aîné, je me souviens de tous ces interdits auxquels il devait faire face, des choses qui, à son âge, ne m'ont jamais été refusées.

Et ce sourire. Celui qu'il servait à chaque nouvelle déception. Nos regards se croisaient et c'était comme s'il voulait me rassurer alors qu'en réalité, c'était lui-même qu'il essayait de consoler. Et c'était affreux, de devoir faire comme si tout allait parfaitement bien, comme si cette situation était totalement normale.

Au fond, mon frère va mourir sans rien avoir vécu. Sans avoir eu l'occasion de vivre réellement. Il a loupé tant de choses, tant de petits instants qu'on pourrait penser futiles mais qui, pour lui, étaient tellement importants. Et je n'ai fait qu'assister à ça sans jamais rien dire, puisque de mon côté, rien ne m'était refusé.

Et peut-être bien que c'est ça aussi que je reproche à mes parents. Cet espèce de mauvaise répartition des limites. Au fond, on en a souffert tous les deux. Mais encore une fois, je suis celui qui reste.

_ J'aimerais que tu rentres à la maison.

_ Bientôt, souffle-t-il. Tu sais comment ils sont, pas vrai ? Au moindre petit problème, je passe du temps à l'hôpital pour rassurer tout le monde et ensuite, je rentre à la maison. Ça ne devrait pas durer longtemps.

Ah ça non, ça ne va pas durer longtemps. Combien de temps exactement ? Ils sont bien incapables de le dire, tout comme ils ont été incapables de convaincre mes parents de tout lui avouer. Mais cette fois-ci, c'est certain, il ne rentrera pas à la maison. Et je supporte de moins en moins la vision de cette chambre vide près de la mienne. Où tout est si bien rangé, si propre, comme s'il n'y avait jamais mis les pieds.

Atteignant mes limites, je me redresse et me prépare à partir. Mon frère me regarde faire sans rien dire.

_ Je reviens te voir demain après les cours.

_ Quand tu veux, je ne bouge pas.

Ça le fait rire.

De mon côté, j'espère juste pouvoir le retrouver demain encore.

[...]

En marchant dans ces allées étroites, j'ai soudainement envie de m'arrêter et de tout photographier. Ou peut-être de m'asseoir là, en plein milieu et de dessiner. Ce ne serait pas joli, certainement trop abstrait. Des ronds, des carrés, puis des lumières. Pleins de lumières. Et peut-être que je pourrais faire un énorme triangle qui scintillerait pour ce gros sapin qu'on a posé là, tout au fond de l'allée.

Un peu émerveillé, j'observe tous ces gens se presser pour zieuter les étales, avides de découvertes, peut-être un peu embrouillés par le froid et la neige qui tombe encore. Peu achèteront quoi que ce soit ici, par soucis d'économie ou seulement parce que les cadeaux de Noël sont déjà prêts à être emballés, mais l'esprit est là.

_ C'est étrange, cette soudaine invitation.

Hoseok stoppe ses pas en même temps que les miens.

Moi aussi, je pense que c'est étrange, après tout.

_ Qu'est-ce que tu regardes ?

_ La fumée qui sort de ta bouche.

Il fronce les sourcils et laisse échapper un drôle de petit rire. Cette espèce de réaction au froid me fascine. Hoseok respire. C'est comme une petite révélation. Il est en vie et il respire. Et cette fumée qui sort de sa bouche en devient fascinante, sur le moment.

_ TaeHyung ?

_ Mes parents ne veulent pas dire à mon frère qu'il va mourir.

Ces mots, que je ressasse inlassablement depuis plusieurs jours, sortent finalement sans que je n'aie à me forcer et j'ai l'impression que ça le gêne, de parler de ça. Il tourne le regard, frotte ses mains entre elles et renifle légèrement, comme pour se donner une contenance qu'il peine à trouver.

_ Mais...Ton frère le sait depuis le début, non ? Je veux dire, sa maladie...

_ C'est pas de ça dont je te parle.

Je ne sais même plus de quoi je parle, au fond.

Bien sûr que mon frère sait, c'est quelque chose qu'il ne peut ignorer. Ce qu'il ne sait pas, cependant, c'est que ce n'est plus que l'affaire de quelques semaines, voire quelques jours, à présent. Et c'est horrible de le voir partir sans pouvoir lui dire au revoir. Il y a des mots qu'on ne peut dire qu'à cet instant. Instant qu'on me retire, qu'on m'arrache. Et peut-être bien que j'en veux à la terre entière. Tous ces gens, inconscients de tout ça, qui se pressent dans ce petit marché de noël en riant, les yeux lumineux, comme si tout était parfait.

_ Viens, on marche.

Hoseok m'invite à le suivre et je lui emboîte le pas. J'ai l'impression d'avoir tout dit. Et la musique de noël, soudainement si forte, coupe de toute façon court à toute possibilité d'approfondir le sujet. Et Hoseok de son côté n'en demande pas plus, comme s'il ne voulait pas en souffrir à son tour. Pourtant, sa présence m'apaise. Le savoir tout près, à respirer, à souffler sa fumée blanche, tout innocent de l'effet que ça me fait de le savoir en vie, me fait tellement de bien que je pourrais bien réussir à me contenter de ça. Mais est-ce aussi simple, en réalité ?

Quand on sort enfin de cette allée bondée et superficielle, il fait déjà nuit. Petit à petit, on s'éloigne du marché qui finit par ne plus scintiller du tout. Les rues sombres m'écrasent bientôt de leur poids et le silence siffle dans mes oreilles, empoisonne ma tête. Et quand Hoseok ouvre finalement la bouche, je ne suis plus du tout prêt à accepter sa présence.

_ Tu veux venir à la maison ?

Je m'allume une cigarette, plus par automatisme que par besoin.

J'ai dû laisser quelque chose, derrière moi. Quelque chose d'important, sans aucun doute, parce qu'il me semble que tout a soudainement changé. La fumée d'Hoseok n'est plus si intéressante et ses mots, simples pourtant, me piquent fort intérieurement. C'est moi, c'est dedans, ça bouillonne. Et c'est ridicule. Pourtant, je me laisse envahir. Parce que je lui ai dit quelque chose d'important, ce soir. Je me suis révélé, rien qu'un peu. J'ai aimé sa fumée, sa présence, sa chaleur. J'ai dit des mots qui me hantent depuis trop longtemps, en espérant qu'il les porte un peu avec moi, juste pour me soulager un peu. Et, soudainement, c'est comme s'il s'en fichait. Comme s'il ne prenait rien de tout ça en considération.

J'ai fait un immense pas vers lui et lui, il en recule de trois, comme ça, si facilement. Je me sens comme rejeté et cette proposition absurde de venir chez lui sonne comme un déjà-vu. Un déjà-vu qui n'a jamais fonctionné, mais qu'on continue d'entretenir. Encore et encore.

_ Pourquoi t'es toujours comme ça, Hoseok ?

Il fronce les sourcils et penche légèrement la tête.

_ Pourquoi tout doit se résumer à ça ? Finir chez toi, se quitter le lendemain matin sans rien n'avoir à se dire de plus que "C'était cool, à plus" ?

_ Quoi ? Mais-

_ T'as pitié de moi, peut-être ? Tu crois qu'un peu de cul réussira à apaiser tout ce que j'ai dans la tronche ?

Un rire sans joie lui échappe et il prend un léger temps pour souffler, une main passée dans ses cheveux. J'ai l'impression d'être dans une mauvaise comédie dramatique.

_ Attends, tu plaisantes, j'espère ?

Je ne sais pas si c'est le froid, mais ses yeux brillent, sa voix déraille et son corps tremble. D'instinct, j'ai envie de le prendre contre moi, mais je me contente de tirer une longue taffe sur ma cigarette déjà pratiquement consumée.

_ Écoute, TaeHyung, je suis fatigué. Vraiment fatigué.

Il détourne le regard quelques longues secondes avant de revenir chercher le mien, animé d'une nouvelle détermination.

_ J'étais content que tu m'invites aujourd'hui. Ça faisait longtemps que ce n'était pas arrivé et je pensais...Je sais pas, je pensais que ça allait changer, que tu avais pris conscience d'un truc important. Mais encore une fois, je me suis planté. Et j'en ai assez de ton humeur changeante, tu comprends ? C'est plus que ce que je peux supporter.

Il reprend sa respiration et balance, sans autre forme de procès :

_ Je crois que j'ai besoin qu'on arrête de se voir.

Je ne dis rien. Je n'ai rien à dire. Il est fatigué, il l'a dit. Et c'est de ma faute. Je ne suis pas assez bien et peut-être que je n'ai même jamais essayé de l'être, malgré l'attachement, les sentiments et tout ce que je suis capable de ressentir à son égard. Quelque chose cloche, entre nous, depuis le début. Et j'en suis sans doute la source. Et en réalité, je ne sais pas ce qui a changé entre le début et la fin de cette balade. Et il a raison, je ne contrôle plus rien. Encore moins ce qui remue sans cesse à l'intérieur.

_ Puisque tu ne dis rien, j'imagine que tu es d'accord avec ça.

Si je suis d'accord ? Je n'en sais rien. Toujours est-il que je le laisse tourner les talons et s'éloigner.

Les flocons cessent de tomber et de loin, j'arrive encore à discerner la fumée blanche s'élever autour de sa silhouette.

[...]

J'effleure de ma fourchette le contenu de mon assiette. Poulet, pommes de terre, haricots. Je n'ai envie de rien. Ce repas ressemble à une blague de mauvais goût et le sourire d'Hoseok à son arrivée et son léger "bonsoir" sans saveur sonnaient tellement faux que j'aurais préféré qu'il ne dise rien du tout.

Mon regard balaye l'ensemble de la table. Ma mère, mon père, Hoseok, sa mère et sa tante. Leurs sourires me donnent envie de vomir. Je me demande ce que je fous là. Pourquoi au juste on m'impose de devoir faire comme si j'allais bien. J'ai du mal à déterminer d'où vient le problème. D'eux ou de moi ?

Doucement, je commence à détester chaque rire, chaque mot, chaque petite exclamation qui sort de la bouche de ma mère. La regarder sans ressentir un profond dégoût devient de plus en plus difficile. Quant à mon père, cette façon qu'il a d'effacer toute trace d'émotion de son visage me débecte. L'envie irrésistible de les secouer un par un monte et monte, ça me submerge.

Décidant que cette mascarade a assez duré, je me redresse, abandonnant fourchette et serviette sur le bord de mon assiette. À cela, un silence brutal tombe et ma mère, médusée, me demande ce qui me prend ?

_ J'ai besoin de prendre l'air.

_ Enfin, TaeHyung...

J'enfile mon manteau, bien décidé à m'éloigner le plus possible de la fausse ambiance bienveillante qui règne dans cette maison, l'ayant déjà supportée plus que de raison.

_ Amusez-vous bien.

Sans attendre aucun retour de leur part, je prends la porte. Dehors, le froid me saisit. Je lève la tête vers le ciel, n'y décelant aucune étoile. Peut-être qu'il va neiger, après tout.

J'ai à peine le temps de faire quelque pas qu'une voix résonne dans mon dos.

_ Attends, TaeHyung !

_ Oh, fous-moi la paix, Hoseok.

Il y a du faux, dans ces mots. Au fond, peut-être que j'avais envie qu'il me suive. Parce que j'étais certain qu'il le ferait, parce que ça fait une semaine déjà qu'il a décidé qu'on ne se verrait plus.

Parce qu'il me manque.

J'arrête mes longues enjambées et souffle lentement par la bouche, mes mains bien enfoncées dans les poches de mon lourd manteau. Tout près de moi, Hoseok copie ma posture.

_ Qu'est-ce que tu fous là, exactement ? Je croyais que tu ne voulais plus me voir.

Je tourne la tête vers lui. Il est train de jouer avec un caillou du bout du pied, l'air accablé. Je crois que ce soir, ce n'est pas vraiment à lui que j'en veux. Et j'ai presque envie de le rassurer, de lui dire que rien de tout ça n'est de sa faute, mais intérieurement, je n'en trouve pas la force nécessaire.

_ Mes parents auraient trouvé ça bizarre que je ne vienne pas.

_ N'importe quoi. T'as vingt-cinq piges et tu ne vis plus chez eux, tu me feras pas avaler une connerie pareille.

Il hausse les épaules.

Un long silence s'installe. J'observe l'ombre de nos deux silhouettes qui se dessine sur le sol et me demande un instant ce qui me plaît exactement dans cette image de nous deux côte à côte. Si je devais dessiner des images de mon avenir, alors peut-être que celle-ci en ferait partie. Ces deux silhouettes qui se confondent presque ; deux ombres qui n'arrivent plus à se quitter.

_On devrait rentrer, il fait froid.

_ Oh non, je ne rentrerai pas.

En réalité, cet instant n'était pas fait pour durer, comme tout le reste, et je décide de m'élancer, m'éloignant le plus possible de la maison.

_ Mais TaeHyung !

_ Non, Hoseok !

Je fais demi-tour et me dirige vers lui, soudainement hors de moi. Quelque part au fond de moi, il me semble que quelque chose a finalement cédé. Et je suis tout bonnement incapable de le contenir. C'est violent, incontrôlable. Les vannes sont ouvertes et les larmes sont brûlantes sur ma peau glacée.

_ T'as qu'à y retourner, toi ! Vas-y, faire semblant avec eux ! Rire à leurs blagues pourries et entretenir leur putain d'égoïsme !

Déconcerté par mon soudain changement de ton, il pince les lèvres, complètement figé.

_ Mais moi je ne peux plus, tu comprends ? Mon frère va crever, peut-être demain, peut-être même ce soir et on m'enlève le droit de lui dire au revoir. On me force à lui rendre visite en faisant semblant que, oui, il va bientôt rentrer à la maison. Mais Hoseok, il ne rentrera pas !

Ces mots qui sortent de ma bouche, qui représentent tout ce qui me fait du mal, tout ce qui me détruit à petit feu, embrasent soudainement mon corps et je me sens incapable de contenir toute la colère, la souffrance que je ressens si subitement. Je serre le poing et vient le mordre pour m'éviter de hurler. C'est une douleur que je n'aurais jamais pensé ressentir. Une douleur inexplicable, qui me ravage de l'intérieur. Si je le pouvais, je m'ouvrirais la poitrine, le ventre, la tête, pour tout en sortir. Je me viderais de tout.

_ Il ne rentrera pas et c'est horrible d'être là, près de lui, sans pouvoir lui tenir réellement la main. Et moi, Hoseok...Moi, quand je me retrouverai seul, avec toutes ces choses que je n'ai jamais pu lui dire, avec tous ces trucs qui me bousillent le cerveau, comment je vais faire ?! Comment je vais m'en sortir ?! Ce n'est pas possible, Hoseok !

Il fait un pas vers moi, mais je rejette l'idée même qu'il puisse me toucher. J'ai l'impression d'être sur le point d'exploser, qu'une simple pression pourrait tout anéantir. J'ai besoin d'espace, j'ai besoin que tout sorte, mais la situation m'en empêche et je me demande si un jour je pourrai pardonner tout ce mensonge à mes parents. Si un jour je serai ne serait-ce que capable de les regarder de nouveau droit dans les yeux.

_ Et eux, ils sont là, à organiser des petits dîners, l'air de rien, comme si mon frère n'avait pas plus d'importance qu'une voiture qu'ils auraient envoyée en réparation. Ils me dégoûtent, tu peux comprendre ça ?

Il hoche le menton, une main encore tendue vers moi. J'ai l'impression d'être redevenu un enfant. Un enfant un peu perdu, à qui on tendrait la main, un peu désespéré, en manque de solution. Mais je le sais bien, des solutions, il n'y en a plus.

_ Maintenant, j'aimerais que tu me foutes la paix. Toi, mes parents, tout le monde, foutez-moi la paix.

Sa main disparaît dans sa poche.

_ Tu ne voulais plus me voir, pas vrai ? Alors ne reviens plus, Hoseok.

Le message semble parfaitement clair, puisqu'immédiatement, il tourne les talons, le regard voilé.

En le regardant s'éloigner, en observant nos ombres se séparer pour de bon, j'essaye de me convaincre que je n'ai pas besoin de lui.

Mais peut-être bien que c'est le mensonge de trop.

[...]

Le temps passe si lentement et en même temps si vite. Cette journée me semble interminable et pourtant, j'en redoute sa fin. Quelque chose a changé et au fond de moi, je sais que ma présence n'y changera absolument rien. Mais je reste cloué à cette chaise inconfortable, à observer chacun de ses faibles gestes. J'ai l'impression qu'un rien pourrait l'anéantir.

_ Tu es fâché avec les parents ?

_ Non.

Je fronce les sourcils, incommodé par sa question. J'aimerais qu'il soit préservé de tout ça, qu'il n'en prenne pas conscience. Mais il me semble que c'est trop tard.

_ Tu mens. Et je sais que tu es fâché avec Hoseokie, aussi.

_ Tu devrais arrêter de l'appeler comme ça, c'est gênant.

Son rire, silencieux d'abord, découle ensuite sur une sorte de quinte de toux inquiétante. J'avance mon buste et pose une main sur sa poitrine, inquiet.

_ Ça va ?

_ Mais oui, ça va.

Mais ça ne va pas. Je le vois dans ses yeux.

_ TaeHyung, toi et Hoseok...

Il s'interrompt lorsque je lève les yeux au ciel, légèrement agacé.

Le silence qui s'ensuit m'inquiète alors je plonge mon regard dans le sien. Il me semble y déceler quelque chose de nouveau, pourtant je n'arrive pas totalement à mettre le doigt dessus.

_ Tu l'aimes.

Ces mots, abrupts, lancés sur un ton si sérieux que je n'en reconnais pratiquement pas mon grand frère, me coupe le sifflet et, sur le moment, je ne sais que répondre à ça. Nos regards, toujours profondément ancrés l'un dans l'autre, ne cillent pas une seule seconde et alors que le silence s'éternise, TaeHo enchaîne :

_ Tu ne peux pas te cacher indéfiniment, TaeHyung. Il y a des choses qui se devinent si facilement, chez toi, tu n'imagines même pas.

Je me renfonce dans mon fauteuil et croise les bras sur ma poitrine. J'ai l'impression d'être mis totalement à nu et cette sensation s'accentue quand je réalise que mon frère sait sans doute tout depuis longtemps. Soudainement, c'est comme s'il en savait plus que moi sur tout ça. Sur mon histoire avec Hoseok, sur mes sentiments, sur tout ce que je n'arrive pas à m'avouer.

_ C'est dur d'aimer quelqu'un, pas vrai ?

Il essaye de se redresser, mais trop faible pour y parvenir, il finit par laisser tomber l'idée. Et moi, trop occupé à lui en vouloir de me balancer tout ça à la figure seulement maintenant, je ne trouve pas la force de l'aider. Alors, sans se démonter, il continue :

_ C'est dur parce que c'est accepter de faire confiance à l'autre, c'est donner sans rien attendre en retour. Quand on aime, on donne une partie de soi en acceptant l'idée que, peut-être, celui en qui on a tant confiance détient le pouvoir de la détruire ; la réduire en miette. Et c'est difficile, non ?

Je secoue le menton et refuse ne serait-ce que de le regarder. J'ai l'impression qu'il ne se rend pas bien compte de ce qu'il dit, d'à quel point c'est douloureux, en réalité. Des parties de moi, j'en ai déjà trop données. Je me demande s'il sait qu'il en détient une, s'il sait qu'il va l'emporter avec lui sans même savoir la moitié de ce qu'elle contient. J'aimerais pouvoir tout lui dire, mais le secret qui me lie malgré moi à mes parents m'en empêche et, au fond de moi, quelque chose est en train de crever avec lui.

_ Mais tu devrais lui dire, TaeHyung. Tu as besoin de lui.

_ Je n'ai rien à lui dire.

Il hoche le menton, pourtant l'air peu convaincu. Sans insister, il enchaîne :

_ Tu crois que je ne le sens pas ?

Bêtement, je pense qu'il est encore en train de parler de Hoseok, mais quand il continue, j'en perds mon souffle.

_ Je ne saurais l'expliquer clairement, mais quand t'es en train de mourir, TaeHyung, tu le ressens. C'est à l'intérieur que ça se passe et parfois, j'ai l'impression que si je ferme les yeux, je pourrais bien ne jamais les rouvrir. Ce genre de sensation, un peu étrange, qu'un rien pourrait m'emporter sur son passage, qu'un simple grain de poussière pourrait m'empêcher de respirer pour de bon...Tout ça, je sais ce que ça signifie.

Ma gorge se serre et, bientôt, son corps devient flou. Je pensais pouvoir tenir le coup. Je pensais être capable de ne pas le montrer, pouvoir rester de marbre. Mais c'est décidément trop me demander. Savoir qu'il sait, qu'il le sent, intérieurement, ça me détruit. Et à présent, je me rends compte qu'importe qu'il le sache ou non, le résultat demeure le même.

Je vais rester et lui, non.

_ J'ai écrit une lettre. Je repensais à toi, à Hoseok, et j'ai écrit quelques mots.

Je passe une main sur mes yeux avant de perdre pied pour de bon.

_ J'ai besoin que tu la prennes et que tu la fasses passer à quelqu'un.

J'ai envie de lui demander de qui il parle, mais, sur le moment, j'ai l'impression qu'il a juste besoin que je me taise, alors je me contente d'acquiescer.

_ Je lui ai donné rendez-vous au parc derrière la maison, demain, à onze heures. Tu y seras, pas vrai ?

Encore une fois, je ne fais qu'un bref signe du menton. Il sourit et ce sourire là, si vrai, si tendre, je le grave précieusement dans ma mémoire et le classe comme étant l'une des choses dont je veux me souvenir pour toujours. Parce qu'il y a quelque chose de simple, de joli, dans ce sourire. Quelque chose que je n'avais encore jamais vu chez mon frère.

_ Tu ne la liras qu'une fois devant elle. Pas avant. Promis ?

_ Promis.

De sous son oreiller, il sort une feuille pliée en quatre qu'il me tend, légèrement tremblant. Les yeux rivés sur ce bout de papier un peu froissé, je laisse finalement ma curiosité parler :

_ C'est pour qui ?

_ Quelqu'un en qui j'ai confiance. Quelqu'un qui, je le sais, saura quoi faire de ces mots, saura quoi faire de cette partie de moi.

L'air soudainement épuisé, il se laisse aller dans son lit.

_ J'aimerais que tu rentres à la maison.

Cette fois-ci, il ne répond rien. Il n'y a de toute façon rien à répondre. Rien de sensé, rien de joyeux, rien d'optimiste. Alors on reste là, la bouche close, le silence ayant la parole. Je me concentre sur le bruit de chacun de ses souffles, les légers mouvements de sa poitrine, la lumière encore présente dans ses yeux. Le moindre détail qui me prouve qu'il est encore en vie, qu'il est possible qu'il le reste au moins encore un peu.

_ Tu es resté là toute la journée, tu devrais rentrer, il est tard.

Je me redresse immédiatement et je sais bien que ça ressemble à une fuite. Il y a à l'intérieur de moi ce besoin irrépressible de partir de cette chambre, d'en fuir la dure réalité. En sortant d'ici, alors peut-être que je pourrais tenter de me rassurer, de me protéger de tout ça. Mais là, tout près de lui, je me sens doucement sombrer.

Il a raison, il est temps que je parte.

Au seuil de la porte, je me tourne vers lui.

_ Je t'aime.

Son regard s'illumine.

Mes doigts, doucement, se resserrent sur la lettre qu'il m'a donnée, comme pour m'assurer qu'elle est bien réelle.

_ Je t'aime aussi, frangin.

[...]

Il est exactement onze heures quand il se pointe. Il semble aussi surpris que moi et il se stoppe avant de m'atteindre. Je l'observe hésiter, sans doute se demander s'il ne devrait pas faire demi-tour immédiatement, sans même qu'un mot soit échangé. Puis, finalement, décision prise, il s'avance vers moi et s'arrête à deux pas du banc où je suis installé, les mains enfoncées dans ses poches.

Sur le moment, aucun de nous deux ne prend la parole. Je me demande à quoi ça rime, à quoi mon frère a bien pu penser. J'ai l'impression d'être tombé dans un piège. Un piège un peu ridicule, qui n'a pas lieu d'être. Puis ma conversation avec TaeHo la veille me revient. Les événements de cette nuit aussi. Et soudainement, je me sens à ma place. Ici, sur ce banc, avec Hoseok face à moi, qui attend que je prononce les premiers mots.

_ Tu ne vas pas t'asseoir ?

Il a cet espèce de tic, ce petit truc qu'il fait bien trop souvent quand il est mal à l'aise, que je peux reconnaître immédiatement : le bout de son pied racle le sol alors qu'il renifle, les yeux tournés à l'opposé, fuyant tout contact visuel avec moi.

_ Je pensais pas que ce serait toi, TaeHo ne l'avait pas précisé.

Sa voix est rauque, un peu fuyante.

_ Il ne me l'a pas dit non plus.

Mes doigts grattent le papier de la lettre que j'ai enfoncée dans la poche de mon manteau. Je me demande ce qu'elle contient. Pourtant, dans l'immédiat, je me sens incapable de l'ouvrir, incapable d'en découvrir les mots.

Un peu hésitant, Hoseok finit par s'asseoir près de moi, à une distance pourtant raisonnable, comme s'il avait peur d'envahir mon espace. Ou peut-être qu'il a peur que ce soit moi qui envahisse le sien.

_ Son message disait juste que c'était important pour lui que je vienne ici. Il disait qu'il fallait que je récupère quelque chose.

Il marmonne ses mots dans le col de son manteau, toujours sans me regarder, un peu comme un enfant qu'on aurait puni à tort. J'ai soudainement peur que tout cela ne mène à rien. Peur que TaeHo se soit trompé, cette fois.

_ Il est parti, Hoseok.

Cette fois-ci, il tourne la tête vers moi, lâchant un souffle bruyant.

_ Cette nuit.

Je resserre mes genoux entre eux, y plantant mes mains, l'une d'elles tenant la précieuse lettre.

_ Il savait qu'il allait mourir. Il le savait et le médecin nous a avoué ce matin qu'il avait écrit une lettre qui précisait qu'il ne voulait pas d'acharnement. Qu'il ne voulait pas qu'on le ramène à la vie. Alors les médecins n'ont rien fait. Ils l'ont juste...laissé partir.

En disant ces mots, j'essaye de comprendre. J'essaye de me mettre à sa place, d'imaginer toutes ces années d'incertitude, de souffrance, de combats qu'il savait inutiles, totalement vains. Et peut-être que cette lettre, cette dernière volonté, celle de mourir dignement, l'a finalement soulagé. Comme une impression d'être encore maître de sa vie, maître de sa fin. Pourtant, au fond de moi, je ne peux m'empêcher de lui en vouloir.

_ Je n'arrive pas à pleurer, tu crois que c'est normal ?

Hoseok est là, tout près et je sens qu'il m'écoute, qu'il tente de trouver quoi répondre, pourtant, il reste muet et, bizarrement, je ne lui en veux pas. Rien de ce qu'il pourrait dire ne pourrait changer quoi que ce soit à tout ça et je sais qu'il en a conscience.

_ Cette nuit, quand on nous a appelés, ça semblait irréel. J'ai passé la journée avec lui, il respirait, il vivait. Et en débarquant à l'hôpital, quand j'ai dépassé le seuil de sa chambre, c'était brutal, insensé. C'était comme s'il dormait, sauf qu'il ne respirait plus. Sa poitrine était parfaitement immobile et son souffle si silencieux, totalement absent. Je l'ai vu, je l'ai ressenti, mais je n'arrive pas encore à l'intégrer, comme si demain il allait réapparaître. C'est une sensation assez étrange.

Encore une fois, il ne répond rien, mais sa main qui se faufile jusqu'aux miennes pour doucement les déloger d'entre mes genoux se suffit à elle-même. Avec précaution, il attrape l'une d'elles, celle qui ne tient pas la lettre froissée et en caresse le dos de son pouce.

On reste ainsi pendant de longues minutes, minutes pendant lesquelles je ne cesse de penser que la situation est étrange, que rien de tout ça n'est utile. Encore une fois, je me demande à quoi TaeHo pensait, qu'est-ce qu'il pouvait bien attendre de moi. Et au fond de moi, je sais que la réponse est sans doute écrit sur ce petit bout de papier, que je n'ai plus qu'à l'ouvrir pour en découvrir les mots. Chose qui me semble insurmontable.

_ Tu sais pourquoi on est là, exactement ?

Sa main quitte la mienne et je sens qu'à l'intérieur, dans ma poitrine, ça remue. Je n'arrive pas à l'expliquer mais, soudainement, ça me frappe, ça me revient en pleine figure et je me rends compte que j'ai peur. Peur qu'il parte, qu'il décide qu'après tout, c'est trop tard, que je lui ai fait trop de mal et malgré le fait qu'il aurait raison, je refuse l'idée même qu'il me quitte, qu'il décide que je n'ai plus de place dans sa vie.

_ Il m'a donné une lettre.

Il fronce les sourcils.

_ Pour moi ?

Je hausse les épaules, incapable de lui répondre.

_ Tu l'as lue ?

Je secoue le menton. Je devrais, je le sais. C'était ce que TaeHo voulait. Que je vienne ici, que je retrouve Hoseok et que je lise cette foutue lettre. Mais ce qui se trouve à l'intérieur me terrorise et je sais qu'il attendait quelque chose de moi. Sans doute que je me prenne en main, que j'ose, que je cesse de me voiler la face. Concernant Hoseok, mes sentiments, l'avenir, tout ce qui jusqu'ici n'avait eu de cesse de me bloquer. Mais sur l'instant, cette lettre ne signifie qu'une seule et unique chose pour moi : le départ de mon frère.

_ Si je la lis, si j'ouvre la dernière chose que mon frère m'a donné, alors ça voudra dire qu'il ne reste plus rien de lui. Rien d'autre que des souvenirs.

Et des souvenirs, je n'en ai pas beaucoup et quand soudainement je me rend compte que le souvenir du son de sa voix m'échappe déjà, je suffoque.

Que me reste t-il de lui ? Et demain, quand d'autres détails m'auront échappé ? Et plus tard encore ? Quand sa chambre aura perdu son odeur. Quand, le matin, son bol ne sera plus jamais posé à côté du mien sur la table de la cuisine. Quand, un beau jour, on cessera simplement d'évoquer son nom. Quand je ne serais même plus capable de dessiner les traits de son visage.

Tout à coup, j'ai l'impression d'être privé d'une partie de mon être. Comme s'il avait tout emporté avec lui. Ce que j'ai été, ce que je suis, ce que j'ai toujours voulu devenir. Ma vision de l'avenir m'apparaît si flou, si terrifiante. Et toutes ces choses que je n'ai jamais su lui dire, qui me hanteront jusqu'à la fin, grossissent et prennent toute la place. J'aimerais les hurler, mais c'est trop tard et je me sens si seul, sur le coup, presque abandonné. J'ai envie de lui en vouloir d'être parti, envie de rejeter toute la faute sur lui. Ou sur l'univers tout entier, qui continue de tourner sans pitié.

Je me rend compte de mes sanglots seulement quand Hoseok vient pincer l'une de mes cuisses, geste de réconfort qui me ramène pourtant à la dure réalité. Quelque part au fond de moi, un énorme vide s'est créé, un vide qui ne sera plus jamais comblé. Et qu'importe que la vie continue, que l'univers tourne dans le bon sens, à présent, une partie de moi a comme foutu le camp.

En regardant Hoseok, en le regardant pour de vrai, je réalise que de la place, lui aussi en prend beaucoup. Peut-être trop. D'abord, il y a cet immense vide, ce creux, cet espace si froid, si noir, que j'ai finalement que trop peu visité ces derniers temps. À l'intérieur, toute cette rancoeur, cette vilaine peur, cette espèce de fierté aussi. La rancoeur pour mes parents. La peur pour mon frère. La fierté pour Hoseok. Toutes ces choses que j'ai essayé d'intérioriser, de me cacher, que j'ai en quelque sorte enfermé à double tours. Mes sentiments, que ce soit la colère, l'angoisse, le dédain, le dégoût, mais aussi l'amour, la tendresse, ce besoin de chaleur, d'affection. Tout me revient en pleine figure et ce TaeHyung que j'ai tant bien que mal essayé de façonner, ce TaeHyung fade, à la fausse impassibilité, à l'humeur changeante, se brise pour de bon. C'est presque douloureux, comme si une réelle partie de mon être souffrait réellement, hurlait à l'intérieur, complètement anéanti.

J'ai comme l'impression d'étouffer et c'est seulement quand Hoseok vient m'entourer de ses bras que je sens mon corps cesser de trembler. Il n'y a rien d'autre que ça, c'est si simple et pourtant, je sais que jusqu'ici, c'était tout ce dont j'avais besoin. Son odeur, sa chaleur, cette si jolie fumée qui sort de sa bouche, qui continue de me prouver qu'il est vivant, que lui aussi, il est là et au fond de moi, je prie pour qu'il reste.

J'ai tant de choses à lui dire. Tant de choses que je n'imagine pas ne jamais lui dire. Et j'ai besoin qu'il la remplisse, toute cette place que j'ai inconsciemment créée pour lui et en imaginant qu'il puisse lui aussi partir, me laisser tomber, m'oublier, me donne soudainement le tournis. Alors je m'accroche à lui et tout doucement, je lui murmure quelques mots.

Tout ce que je n'ai jamais su lui dire.

Et là, je lui donne. Tout ce que je possède, tout ce qui, définitivement, m'a toujours fait si peur. Et enfin, je prends ce risque. Le risque de lui faire confiance.

Dis-lui tout ce que tu peines à t'avouer, tout ce qui t'empêche d'avancer.

Prends le risque de lui donner cette partie de toi, celle que ta peur a déjà bien trop abîmée.

Quand à moi, je t'offre cette partie de moi, TaeHyung. Celle qui souhaite juste que tu sois heureux.

J'ai confiance en toi, je sais que tu en prendras soin.

———

Et bonsoir !

Et voilà, ma petite participation à ce merveilleux Calendar. J'espère qu'elle vous aura plu.

J'y ai vraiment mis tout ce que j'avais. C'est pas énorme, mais malgré les difficultés que j'ai eu pour l'écrire, je suis vraiment contente d'avoir réussi à l'écrire.

Merci de suivre ce Calendar en tout cas !

Pleins de câlins.

Lyuushi.

*Traduction des paroles de BTS par Army France

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