« You believe this is a game, and you may be right. But if you think you can play it better than me, think again. »
Nous restâmes de longues minutes ainsi, dans les bras l'un de l'autre. Moi, les yeux fermés, offrant mon visage au rayon du soleil, et Ayaan, qui ne semblait pas pouvoir arrêter de me contempler.
Soudain, il se leva, m'aida à me relever, et me regarda avec une lueur que je ne lui avais jamais vue. En fait, je n'avais jamais vu Ayaan ainsi, si... si tendre, si doux. Si différent du jeune homme manipulateur et cruel qui avait récemment assassiné froidement des innocents.
Il me prit la main, et sans pour autant me quitter des yeux, y déposa un léger baiser. Un sourire éblouissant étira ses lèvres au dessin parfait.
-J'ai quelque chose à te montrer. Suis-moi.
Il m'emmena à sa suite, je jetai un regard un peu perdu sur nos mains entrelacées, dans quoi venais-je donc de m'embarquer ?
Un sentiment étrange me saisit à la poitrine.
Nous quittâmes la forêt et reprîmes l'ascenseur. Les portent s'ouvrirent et le soleil m'éblouit par son intensité. Nous étions de retour dans la Citadelle des temps.
Je jetai un regard interrogateur à Ayaan, mais il se contenta d'ébaucher un sourire énigmatique. Nous avançâmes main dans la main dans les allées que nous avions déjà tant de fois foulées au cours de nos vies respectives, mais jamais ensemble, côte à côte.
Comme les choses avaient changé, pensai-je soudain. Il y a quelques jours encore, nous nous disputions constamment, je le repoussais et lui ne cessait de me faire peur, me menaçant des pires atrocités pour que je lui cède. Maintenant, à nous voir, on pourrait croire que nous étions des amis de longue date, des amants follement amoureux l'un de l'autre.
C'est peut-être le cas pour lui, mais pas pour moi, tentai-je de me convaincre.
Une petite voix au fond de ma tête ne cessait de me hanter, elle me chuchotait des choses que je ne voulais pas entendre :
Tu es bien contente de cette situation, en réalité, tu dis que c'est pour ta survie, mais tu apprécies la compagnie d'Ayaan. Tu en rêvais !
Je chassai ces pensées parasites de ma tête. Non. Je n'aimais pas Ayaan. Et je ne l'aimerai jamais, quoi qu'il puisse arriver. Malheureusement, la réalité était bien plus complexe que cela ; j'étais perturbée, parce que personne ne m'avait jamais témoigné autant d'attention, de tendresse. Ayaan m'aimait, se souciait de moi, et ce genre de comportement était si rare, ici.
Bientôt, nous arrivâmes devant le Palais des Malkam. Je jetai un coup d'œil à Ayaan, il regardait droit devant lui, l'air sur de lui.
Nous étions arrivés devant les lourdes portes noires et rouges gravées des emblèmes de sa famille. Je m'arrêtai.
-Tu... tu es sûr que c'est une bonne idée ? Si quelqu'un nous voit, et ton père....
Ayaan eut un petit rire.
-Je fais ce qu'il me plait, personne ne me dicte ma conduite, Era. Mon père ne s'offusquera pas de te voir ici, il sait bien que bientôt tu vivras ici, avec moi. Mais si ça peut te rassurer, il n'est pas au Palais, il doit probablement être en compagnie de ton père. Ma mère, elle, ne quitte jamais son jardin privé, je crois qu'elle préfère la compagnie des plantes et des fleurs à celle de mon père.
Il eut un rire cynique. Je souris en pensant à la belle Séraphina. La pauvre... obligée de vivre avec un homme pareil...
Je manquai soudain d'air en pensant à ma propre situation, en quoi mon destin différait-il de celui de cette femme ? En rien. Ma seule chance était les Souffleurs de Rêves et leur promesse de liberté.
Ayaan me tendit à nouveau la main, une lueur de défi dans ses yeux gris. Je le contemplai, il était beau, le soleil donnait des reflets argentés à ses yeux, tandis que ses cheveux blonds formaient un halo autour de son visage pâle. Sa peau était parfaite, sans aucune imperfection, lisse de toute impureté. Son sourire n'était ni moqueur ni arrogant, pour une fois, mais rempli d'une sincérité et d'une ferveur qui me poussa à m'avancer vers lui et à accepter sa main.
Je restai ébahi devant la demeure des Malkam. J'y étais déjà entrée une ou deux fois, lorsque j'étais enfant et que j'accompagnais mon père lors de ces visites chez Melech. Lors de ces rares moments, Séraphina s'occupait de moi et m'emmenait me promener dans leur jardin privé, parfois, je voyais une tête blonde qui passait en filant dans les couloirs. Ayaan, déjà là, à roder autour de moi. Autrement, personne n'entrait ici, sauf Galaad, le meilleur ami d'Ayaan, ils passaient leurs journées ensemble depuis qu'ils étaient enfants.
Tout ce luxe me donna le tournis, nos appartements étaient déjà grandioses, mais ce que je voyais ici dépassait l'entendement. De l'or, du marbre, de l'ivoire, des rubis, partout. Aucun centimètre carré ne semblait pas couvert de richesse. Le rouge et le noir, couleur de la famille Malkam, se mariaient avec élégance et faste. Je restais sans voix devant tant de splendeur.
-C'est ... commençai-je dans un souffle.
-Magnifique ? Extraordinaire ? Et tu n'as pas encore tout vu, mon amour.
Ayaan monta une série d'escaliers semblant forgés dans d'innombrables pierres précieuses. Nous prîmes des dizaines de couloirs, d'escaliers, je perdis bientôt le compte. Nous pénétrâmes dans une salle, fermée par une porte noire très sobre.
C'était une chambre aux couleurs très sombres, un immense lit trônait contre le mur gauche de la pièce, les draps étaient en soie noire. En face, une baie vitrée donnait sur un des innombrables jardins de la propriété. Des armes diverses étaient accrochées au mur, deux portes donnaient sur un gigantesque dressing et l'autre, sur une salle d'eau, devinai-je.
-Voici ma chambre, me dit sobrement Ayaan.
Je manquai de m'étouffer. Voilà donc le repère d'Ayaan... Le mystérieux prince, cruel et séduisant.
-Je suis déçue, je pensais que tu aurais des portraits de moi un peu partout, ricanai-je, pour essayer de cacher mon trouble.
Ayaan sourit, amusé.
-Mais tu n'as pas tout vu... (Il me regarda, l'air plus sérieux.) Tu as beaucoup changé, Era.
Oui j'avais changé. J'avais vu des hommes et des femmes se faire assassiner sous mes yeux impuissants par le même homme qui me contemplait maintenant avec tant de dévotion. J'avais changé, parce qu'on venait de me donner la possibilité d'être libre. J'étais lâche d'une certaine façon, je laissais mon peuple à son triste sort, et je m'enfuyais. Ma grand-mère n'aurait jamais fait cela, j'en étais certaine. Mais j'avais peur, j'étais égoïste. Je l'avais toujours été.
Il continua de me faire la visite du Palais, la tête me tournait, les pièces se succédaient et se confondaient dans mon esprit.
Ayaan, sans s'arrêter de me donner des explications sur les lieux, des anecdotes diverses, m'emmena dans un des jardins intérieurs, nous le traversâmes entièrement. Au fond se trouvait une double porte. Mais celle-ci était différente. Noire et or. Sur une des portes, l'emblème des Malkam, sur l'autre, celui des Eléazar.
Ayaan m'offrit un de ses sourires éblouissants et entra.
-Bienvenu chez nous, me souffla-t-il contre mon cou.
Il me reprit la main et m'entraina à l'intérieur. J'en restai bouche bée. Une fontaine gigantesque trônait au milieu de l'immense entrée, des filets d'eau veinaient le sol et semblaient partir dans toutes les directions, ils n'étaient pas bien larges, mais donnait un prestige au lieu. Des sortes de ponts en cristal permettaient de les traverser. Les couleurs étaient plus vives, malgré le noir et le rouge, le doré emplissait les lieux, bien plus que dans l'autre partie du Palais. Nous étions dans l'aile est, coupé du monde.
-Qu'est-ce que c'est que cet endroit ? demandai-je, le souffle coupé.
J'adorais ce lieu, je m'y sentais étrangement chez moi...
-Chez nous, mon amour. C'est ici que vivent les héritiers Malkam avec leur époux ou épouse avant d'investir le Palais, en attendant la succession. J'ai demandé qu'elle soit complètement rebâtie, je voulais quelque chose qui te corresponde, quelque chose à ta hauteur. Tu aimes ?
-Oui, j'aime beaucoup.
-Viens, je vais te montrer le reste.
Des salles de réunions, d'entrainements, de banquet, des salles d'eau, d'innombrables chambres à coucher... Ayaan m'emmena ensuite dans une chambre plus grande que les autres, et plus luxueuse. Un lit encore plus grand que celui d'Ayaan attira tout de suite mon attention, les armoiries de nos deux familles s'entrelaçaient sur la tête de lit. Un portrait de lui et de moi était accroché au-dessus du lit. Je ne savais comment réagir, l'air se chargea d'électricité. Cet endroit était le symbole de notre future union, je n'osais regarder le lit, et tout ce qu'il signifiait pour moi, pour nous. Regarder Ayaan m'était encore plus impossible. Il traçait des petits cercles tendres sur ma main, s'accrochant à moi comme s'il avait peur que je m'enfuie, que je comprenne ce que ce mariage signifiait.
Je n'étais plus une enfant, je savais ce que signifiait une union. Je réussis à prendre sur moi, parce que je savais que jamais je n'aurais à vivre ou à dormir ici, je serais déjà loin quand l'heure du mariage arriverait. Et Ayaan me perdra définitivement.
-Je viens souvent ici. Je me promène et me perds dans les couloirs et les jardins. Je nous imagine ensemble, main dans la main comme à cet instant. Tu souris, tu ris, et tu m'embrasses. J'ai rêvé de ce jour depuis ce qui me semble être des siècles.
Il prit mon menton de ses mains pâles et froides, et me força à le regarder. Ses yeux brillaient d'émotion, ses mains tremblaient, j'avais l'impression de me trouver en face d'un petit garçon apeuré.
-Je t'aime Era, je t'aime tellement que je souffre rien qu'en te voyant. Je répéterai ces mots chaque jour de ma vie, je te chérirai et célébrerai ta beauté chaque nuit, chaque heure de ta vie.
Je pris soudain peur, je comprenais enfin que l'amour qu'Ayaan me portait était la chose la plus dangereuse que je n'aurai jamais à affronter. Mes espoirs s'envolèrent soudain, Ayaan ne me laissera jamais m'enfuir, il me traquera jusqu'à son dernier souffle, il n'aura de repos que lorsqu'il m'aura à ses côtés. J'étais son obsession, Iris avait raison. Comment avais-je pu être aussi aveugle ? Et moi qui lui faisais croire que je lui offrais mon cœur...
Par les Créateurs, je venais de me vendre, purement et simplement.