Ne pleure pas mon ange

By AnolieM

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[Histoire terminée] Apprentie pâtissière depuis plus d'un an, Evangeline est comblée. Elle a intégré l'école... More

Prologue
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
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Épilogue
Remerciements
Bonus 1
Bonus 2
Bonus 3
Oui... et après ?
Oh !
Evangeline

9

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By AnolieM

Je fus réveillée par un mince rayon de soleil qui s'était faufilé entre les volets et m'arrivait droit dans l'œil. Je grognai et roulai sur le côté, dans l'espoir qu'un câlin me rendormirait, mais je trouvai le lit vide. J'entendis le bruit caractéristique de la machine café qui s'enclenchait et je me décidai à me lever. J'attrapai un pull et une paire de chaussettes et les enfilai en vitesse avant de me diriger vers la cuisine. Luc me vit rentrer et me sourit avant de me serrer rapidement dans ses bras.

- Tu as bien dormi ?

- Oui, merci, mais pourquoi ne m'as-tu pas réveillée ?

- J'allais venir avec un plateau pour un petit déjeuner au lit !

Je secouai la tête et réclamai un baiser en me dressant sur la pointe des pieds. Luc s'exécuta avec bonne volonté en passant sa main sur mes reins.

- Nul besoin d'être si parfait, dis-je avec un sourire. Tu ne trompes personne.

Il me pinça la hanche et je sursautai en essayant de l'esquiver. J'eus un éclat de rire tandis qu'il m'attrapait par la taille et me hissait sans difficulté sur le plan de travail, de sorte que je sois un peu plus à sa hauteur. Il me vrilla de ses magnifiques prunelles avant de me lancer un sourire malicieux.

- Je suis parfait.

Il glissa sa main derrière mon dos pour m'attirer à lui. D'un geste naturel, je passai mes bras derrière sa nuque enfin de l'encourager à m'embrasser. Il s'approcha de moi sans se départir de son sourire.

- Admet-le, ordonna-t-il.

- Tu essaies encore de marchander ? râlai-je. Tu es sûr de ne pas t'être trompé de vocation ?

Il ricana et fondit sur ma bouche. Nous échangeâmes un long baiser sans qu'aucun frisson désagréable ne vienne me perturber. Luc se redressa et continua de préparer le petit déjeuner avec entrain tandis que je remis pied à terre. Nous discutâmes du programme de la journée. Promenade autour d'un lac gelé puis sortie au restaurant. Je me réjouissais d'avance. Nous déjeunâmes de la brioche accompagnée de confiture et les sujets de conversation s'assombrirent.

- Est-ce que tu vois quelqu'un ? demanda Luc.

- Oui, toi, ricanai-je en terminant mon thé.

Il me fixa par-dessus sa tasse quelques secondes avant de lever les yeux au ciel.

- D'accord. J'admets, celle-là était pas mal.

- Pas mal seulement ? me moquai-je. Je t'ai pris par surprise, surtout !

Luc eut un sourire en coin avant d'attraper ma main et d'en caresser le dos.

- Je parlais d'un psy, dit-il, son ton redevenu sérieux.

- J'avais compris, répondis-je. Oui, j'ai déjà vu un psy et j'ai mon deuxième rendez-vous la semaine prochaine.

- Ça s'est bien passé ?

- Bien plus qu'avec mon avocat, avouai-je faiblement.

Je baissai les yeux sur nos mains.

- Je vais devoir lui parler de cette crise d'angoisse, confiai-je. Probablement aussi de notre relation.

Mon prof garda le silence un instant avant de se lever pour débarrasser la table.

- Ça ne me dérange pas, finit-il par dire. Par contre, je préférerais que tu limites tes confidences à l'écart d'âge, si possible. Non pas que je veuille t'empêcher de parler de nous, mais j'appréhende ce qu'il pourrait te dire...

Je débarrassai nos tasses dans l'évier et me tournai vers Luc qui avait la mine un peu trop sérieuse à mon goût. Je m'approchai et posai ma main sur sa joue rugueuse d'une barbe naissante.

- Comme me persuader de prendre mes distances ?

Il m'enlaça sans un mot avant de déposer un baiser dans mes cheveux.

- Il n'y a pas de raison qu'il me le suggère, tempérai-je d'une voix douce en cherchant ses yeux. Et quand bien même, il n'y a aucune chance pour que je l'écoute.

Luc me lança un sourire en coin tandis que mon cœur se mettait à battre la chamade. J'aimerais ajouter que je tiens trop à lui, qu'il me rend trop heureuse pour accepter de mettre fin à cette idylle, mais cette perspective de me livrer totalement m'effrayait. Il n'y avait pourtant aucune raison, il connaissait très bien mes sentiments pour lui. Formuler tout ce qu'il représentait pour moi à voix haute rendrait tout cet attachement trop puissant et j'avais peur de lui donner trop d'emprise en lui avouant que je n'étais plus sûre de pouvoir vivre sans lui à présent.

Je pris une douche, me délassant de toutes mes angoisses de la veille, tout en évitant soigneusement d'y penser. Physiquement, ça avait été très intense et je ressentais encore quelques courbatures dans mes mollets et ma nuque. Je n'avais pas envie de renouveler l'expérience de la crise d'angoisse aussi, j'appréhendais les prochains moments où Luc et moi serions très proches. Je devais me maîtriser. Je devais trouver un moyen d'y arriver. Hors de question que Laurent ruine ma relation naissante avec Luc. Je poussai un juron tandis que je me séchais, réalisant que j'étais encore en train de penser à cet être abominable. Je me brossai les dents, tâchai de me coiffer correctement et quittai la salle de bain pour trouver Luc, pratiquement prêt à partir.

- Parée ?

Je hochai la tête, attrapai mes bottes et il m'aida élégamment à enfiler mon manteau, puis nous partîmes.

En chemin, il m'attrapa la main et joua avec mes doigts tout en conduisant. Je me remémorai le dernier trajet en voiture que nous avions fait ensemble avant celui-ci et me souvenai de ma brusquerie lorsqu'il m'avait touché la main. Quel chemin parcouru depuis ce soir-là !

La neige était encore tombée pendant la semaine, fait assez exceptionnel pour un début de novembre. La couche était si épaisse que, lorsque le chasse-neige était passé pour repousser le manteau neigeux sur le bord de la route, il avait créé des murs de plus d'un mètre de haut de chaque côté de la chaussée. Les rares piétions que nous croisions étaient désormais obligés de marcher sur la route, le trottoir ayant été intégralement enseveli.

Luc se gara sur un parking aux abords d'une immense et sombre forêt, nous dissimulant du soleil. Une poignée de voitures se trouvaient déjà là, je compris qu'il s'agissait vraisemblablement d'un endroit assez fréquenté. Luc m'offrit sa main, que je saisis avec hâte et il me guida à travers un petit sentier, tout juste visible à travers la végétation. Ici, les conifères étaient si hauts et si proches les uns des autres que la neige n'était pas parvenue jusqu'au sol, recouvert d'aiguilles et de pommes de pin.

J'ignorais totalement où nous allions et je réalisai avec stupeur que ça m'importait peu. Je m'abandonnais à lui de manière totalement improbable. Je reconnaissais cependant la dangerosité de cet abandon. Qu'adviendra-t-il de moi lorsqu'il se sera lassé ? Lorsqu'il voudra rependre sa vie avec une femme de son âge avec ses enfants à lui offrir ? Je secouai la tête et me focalisai sur la grande main chaude qui couvrait la mienne. Tout ce qui importait, c'était profiter de l'instant présent. Au même instant, j'aperçus les rayons du soleil passer à travers les branches de sapins et nous passâmes les derniers arbres.

Le spectacle était époustouflant. La dense forêt enneigée avait laissé place à une immense plaine toute recouverte de blanc au centre de laquelle un lac de montagne gelé partiellement couvert de neige régalait les quelques aventuriers ayant sortis leurs patins et qui faisaient des cercles au centre de l'étendue de glace. J'observai leur ballet un instant, émerveillée par l'habileté de certains qui se risquaient à faire des pirouettes plus élaborées. Parfois non sans échec, mais ils se relevaient et se lançaient à nouveau sans appréhension.

Luc m'attrapa la main et me proposa de suivre un petit sentier longeant le lac, visible uniquement grâce aux traces de pas des nombreux promeneurs l'ayant emprunté avant nous.

- Je savais que ça te plairait, dit-il avec une certaine fierté quand il constata mon sourire béat.

- Ce n'était pas dur. Je n'ai jamais caché mon émerveillement pour la neige, le taquinai-je.

Luc fit la moue avant d'esquisser un sourire espiègle.

- Je me souviens de la fois où il a fallu que je te ramène sur terre, lors d'un épisode neigeux.

Je pouffai silencieusement. C'était l'hiver dernier et ce jour-là, j'avais été tellement absorbée dans la contemplation des gros flocons qui tombaient silencieusement devant la fenêtre de notre salle de classe qu'il avait dû monter le ton pour que je me tourne vers lui.

- Je sais qu'il est difficile de garder ton attention quand il neige, m'avait-il dit devant tout le monde, avec un sourire moqueur. Mais si tu veux bien essayer de t'intéresser à moi, je suis en train de vous donner vos notes.

Le double-sens de sa phrase m'avait alors échappé à l'époque, mais à présent, je comprenais mieux. Il avait toujours essayé d'attirer mon regard.

- Comment ça se passe chez toi en ce moment ? me demanda-t-il soudain, me ramenant à l'instant présent.

- Oh, dis-je avant de marquer une hésitation. Ça va. Je suis juste fâchée contre mon père.

- Pourquoi cela ?

- Il n'est jamais là et...

Je déglutis, tandis que ma colère et ma tristesse enserraient ma gorge.

- Son absence me pèse, continuai-je, des trémolos dans la voix. J'ai l'impression qu'il me fuit, comme il fuirait une lépreuse.

- Peut-être a-t-il du mal à admettre qu'il a failli à son devoir de père. Avez-vous reparlé de notre entrevue à tous les trois ?

- Non, admis-je. Et heureusement. Ça a été horrible de t'entendre lui raconter ce qu'il s'était passé dans les vestiaires. Comme si je vivais tout ça à travers tes yeux...

Je frissonnai et Luc stoppa soudain en se tournant vers moi, le regard triste.

- Et encore, je n'ai même pas parlé de ce que j'avais ressenti.

J'entourai mes bras autour de sa taille, déposant ma tête sur son manteau. Il m'enveloppa de ses bras et continua sans que j'eusse besoin de lui demander.

- Quand je t'ai trouvé... Quand je t'ai vu sur le sol... Je t'ai vu en train de mourir, dit-il avec émotion. Tu ne sais pas à quel point j'ai pu avoir peur. A quel point je m'en suis voulu, à quel point je m'en veux encore. Comment puis-je prétendre tenir à toi alors que je n'ai même pas vu les signes ? Comment pourrais-je me pardonner de ne pas avoir su te pousser à t'ouvrir à moi ?

Il secoua la tête, abattu. Je ne trouvai rien à dire. Je me contentai de l'enlacer sans un mot.

- Tu veux connaître la vraie raison pour laquelle j'ai accepté de ne pas appeler le SAMU ? Parce qu'il était hors de question que je te perde de vue une nouvelle fois. Je ne me suis jamais senti aussi impuissant, aussi faible... Et plus tard, quand il a fallu que nous nous repoussions, la seule chose sensée à faire, c'était comme si on m'arrachait le cœur.

Il s'interrompit enfin. Avec un soupir, il déposa un baiser sur mon front.

- Bon sang, c'est la première fois que je formule tout ça à voix haute et surtout à quelqu'un.

Je n'ajoutai rien. Mon cœur se serra lorsque je réalisai que je l'avais blessé plus que je ne l'imaginais. Penser que j'étais responsable de sa souffrance me renvoyait la mienne en écho. Je poussai un soupir. Nous nous étions promis de ne plus nous faire souffrir et je comptais bien tenir ma promesse du mieux possible.

- Mets-toi à la place de ton père, continua-t-il d'un ton plus apaisé. Si je me sens coupable, je n'ose même pas imaginer ce que lui doit ressentir.

Nous fîmes le tour du lac, ce qui nous pris près de deux heures. La plaine était très fréquentée. Des groupes de toute sorte se partageaient l'espace. Des familles avec leurs jeunes enfants faisaient de la luge sur une pente douce, les plus grands se lançaient dans des batailles de boules de neige. Des anciens étaient sortis pour une randonnée en raquettes et nous croisâmes également plusieurs mushers avec leurs chiens.

Après notre promenade au bord du lac, Luc me proposa une sortie au restaurant mais je refusai. Je préférais de loin l'intimité de sa maison et de sa cuisine pour déjeuner. Il suggéra de commander des plats asiatiques à emporter et nous rentrâmes après avoir récupéré nos victuailles. Nous déjeunâmes dans la cuisine, au rythme de bavardages innocents.

- Alors, ce concours que tu préparais l'autre soir ? demandai-je à Luc tandis que nous échangions des morceaux de nos assiettes respectives.

- Oh, c'est pour le Sirha à Lyon, en Janvier.

- Le Sirha ?

J'en restais muette d'émerveillement. Le salon international des professionnels de l'hôtellerie et de la restauration. Tous les professionnels étaient présents, ça allait du cuisinier en restaurant scolaire au chef pâtissier d'un grand hôtel de luxe, du fournisseur de chocolat, à celui des chambres froides, en passant par le fournisseur d'appareils de mise sous vide. Le lieu de rendez-vous mondialement connu des commerciaux, des artisans, des chefs étoilés où tous ou presque se rendaient. Ils s'y déroulaient des concours et des dégustations de diverses préparations et c'était the place to be quand on était un professionnel en quête de nouveaux partenariats. Le championnat du monde de pâtisserie s'y déroulait également tous les deux ans.

- Tu vas faire le championnat du monde de pâtisserie ? demandai-je d'une voix rendue aiguë par l'excitation.

- Non, pouffa Luc, faisant retomber mon enthousiasme d'un cran. Le championnat européen du sucre.

C'était tout aussi passionnant. Des pièces en sucres à thème, à réaliser avec des contraintes de création, des jurés prestigieux. Mon prof était donc si doué que ça ? Je n'avais pas connaissance de ses talents professionnels. Très bon pédagogue, il se limitait à des créations basiques pour nous former. Même si celles-ci étaient toujours d'un autre niveau pour nous autres apprentis, rien ne laissait suggérer qu'il puisse être un aussi talentueux professionnel.

- D'où les fleurs en sucre, commentai-je alors, pensive.

- Nous n'avons pas encore eu connaissance du thème, alors pour le moment, je tâtonne un peu sur les épreuves à venir. Les fleurs telles que le lys ou l'arum, je connais et maîtrise, aussi, j'avais envie de monter en difficulté et en technicité.

- Pour impressionner ton monde, dis-je avec un sourire amusé.

En réalité, j'étais moi-même impressionnée. Que faisais un homme aussi doué avec une fille comme moi ? Je n'aurais jamais un niveau suffisant pour prétendre faire des concours, quoi qu'il me dise au sujet du concours des apprentis. Je secouai la tête pour chasser ces idées. Pourquoi ce besoin permanent de me dénigrer ?

- J'aimerais remporter ce concours, dit-il d'un air mystérieux. Ce serait bon pour ma carrière.

- Ta carrière de prof ? interrogeai-je, suspicieuse.

Il ne me répondit pas et se servit un café tout en me proposant du thé, que j'acceptai sans insister. Il n'avait visiblement pas envie de parler de sa carrière avec moi. Je m'en vexais sensiblement. Que pouvait-il vouloir me cacher ? A moins qu'il n'ait simplement pas confiance en moi ? Je refusais de raisonner de la sorte. Ça n'avait sans doute rien à voir avec moi, je devais arrêter le nombrilisme. Mais c'était si dur tant il comptait pour moi !

Nous rejoignîmes le salon pour se prélasser devant le feu, que Luc avait ravivé lorsque nous étions rentrés. Nos bottes séchaient sagement devant l'âtre et je cherchai soudain mon portable des yeux, réalisant que je n'avais pas vérifié mes messages depuis la veille, juste après être arrivée.

Brusquement, je me rappelai que mon avocat devait m'envoyer un mail au plus tard samedi pour me tenir informée de la situation de Laurent. Je posai ma tasse fumante sur la table basse et quittai le salon précipitamment, courant presque jusque dans la chambre afin de trouver mon téléphone. Luc m'appela depuis le salon tandis que je me jetai sur mon téléphone, posé sur la commode, toujours branché pour la nuit.

- Que se passe-t-il ? me demanda Luc en me rejoignant.

Je ne répondis pas, rallumai mon téléphone et aussitôt, un petit 1 rouge apparu sur l'icône de ma boite mail et je cliquai dessus sans attendre. L'adresse d'envoi était bien celle de Me Triballat. Mes doigts se mirent à trembler.

- Mon avocat... Il... 

J'ouvris le mail sans un mot de plus et parcouru le courriel des yeux. Une vague de chaleur se rependit en moi et je poussai un profond soupir avant de me tourner vers Luc, qui s'était rapproché de moi, dans l'espoir sans doute de lire par-dessus mon épaule. Il m'interrogea du regard.

- Laurent, il... il est en prison !

Luc attrapa alors mon téléphone et, d'un geste du doigt, fit défiler le mail de Me Triballat qui m'annonçait qu'après être parvenu à joindre l'avocat de mon agresseur, il lui avait été communiqué que, lors de l'enquête, il s'était avéré que Laurent était en période de sursis, après une condamnation deux ans auparavant pour des faits similaires.

- Ainsi donc, lisait Luc à voix haute. Après sa détention provisoire, M. Siffret a été directement écroué.

- C'est... c'est si...

Inespéré, hallucinant, incroyable, rassurant. Tout à ça à la fois, mais les mots me manquèrent. Je réalisai que Laurent avait également violé une autre fille. Avait-il été incarcéré à l'époque ? C'était donc bien un détraqué, un prédateur... Une ordure.

- Tu crois qu'il restera en prison jusqu'au procès ? m'interrogea Luc.

- Aucune idée, je vais devoir en parler avec mon avocat, dis-je, pensive. J'ai rendez-vous avec lui pour préparer mon entretien avec le juge d'instruction. J'espère en savoir plus.

Mon prof reposa mon téléphone et m'enlaça tendrement.

- Comment est-ce que tu le vis ?

- Difficilement, admis-je dans un soupir.

J'enroulai mes bras autour de lui et me laissai bercer en silence. Je me rappelai mon thé qui m'attendait au salon et repris le chemin du retour, Luc sur mes talons. Nous nous installâmes et il me fit signe de me rapprocher. Je me blottis dos contre lui, ma tasse fumante à la main. Il enroula ses grands bras autour de moi avant de déposer un baiser sur ma tempe.

- Quand dois-tu aller chez le juge d'instruction ? me demanda-t-il après un silence.

- Dans trois semaines, juste après l'école. Lundi, en fin d'après-midi.

- Ça ne doit pas être facile pour toi.

Je bus une gorgée de thé et haussai les épaules, feignant la décontraction.

- Ça doit être fait.

- Tu n'as pas besoin de jouer les bravaches avec moi, ma belle.

Une fois n'est pas coutume, je gardai le silence, en sirotant ma tasse. Affronter l'avocat avait été aussi violent que mon dépôt de plainte. A aucun moment je n'aurai pu envisager que ça ne s'arrêterait jamais. Chaque professionnel que je croisais ne faisait que remuer le couteau dans la plaie, me rappelant sans cesse ce que j'étais, ce que Laurent m'avait fait. J'avais parfois le sentiment que ma vie ne m'appartenait plus, qu'elle était désormais jouée sur un énorme échiquier et qu'on déplaçait des morceaux de moi, de ce que j'avais subi, comme on déplaçait un pion, un cavalier. A chaque déplacement de pion, les souvenirs affluaient et mes cauchemars reprenaient.

Je comprenais les femmes qui n'allaient pas plus loin qu'une main courante, comme je comprenais celles qui n'allaient qu'en correctionnelle. Jamais je n'aurai pu aller aussi loin sans tout le soutien que j'avais reçu, sans toutes ces personnes de loi que j'avais eu la chance de croiser. De la patience de la gendarme à la bienveillance de mon avocat. Sans Luc, je serai probablement morte dans ces vestiaires et si je m'étais ratée, j'aurais réitéré. D'une manière ou d'une autre, je serais parvenue à mettre fin à mes jours. J'eus un incontrôlable frisson qui me secoua toute entière. Luc resserra son étreinte.

- A quoi penses-tu ? demanda-t-il avec douceur.

Il avait dû sentir que ce n'était pas des pensées agréables.

- Je te dois la vie, lançai-je alors timidement. De multiples façons, je te dois vraiment la vie. Sans toi ce jour-là, sans toi aujourd'hui, je ne sais pas... Je sais...

Je déglutis afin d'éliminer de potentiels trémolos, sans succès. Ma voix tremblotait quand je repris.

- Je n'aurai pas tenu.

- Ah, ne dis pas ça...

Je me redressai et me tournai vers Luc, surprise par son ton blasé. Il me caressa le visage avec un début de sourire.

- Ça me donne encore une excuse pour ne plus te laisser partir.

Je plissai les yeux.

- J'ignorais qu'il te fallait une excuse pour ça, ironisai-je.

Son sourire s'élargit et il déposa un doux baiser sur mes lèvres. Je tressaillis.

- En fait, il m'en faut surtout une pour te renvoyer chez toi.

Je dirigeai mes yeux vers l'horloge analogique située sous la télévision et poussai un soupir avant de me tourner à nouveau vers mon prof. Presque trois heures de l'après-midi.

- Ce serait plus sage pour toi de rentrer, me dit Luc avec une pointe de regret dans la voix. J'ai encore des copies à corriger pour la semaine prochaine.

- Et je dois rentrer pour préparer mes affaires pour demain et faire quelques taches ménagères.

- Tu t'occupes de la maison ? s'étonna-t-il.

- Oui et non, tempérai-je. Mon père a pris une femme de ménage, qui passe deux fois par semaine pour s'occuper de l'entretien de la maison, mais j'ai préféré m'occuper de mes affaires de boulot moi-même. Le repassage de mes vestes et pantalons, notamment.

- Ah, ça explique l'état de tes vestes.

Je feignai l'indignation et lui donnai une tape dans l'épaule.

- Je ne sais pas si mon père sera là, continuai-je. Alors je vais peut-être devoir aussi faire à manger ce soir.

- Une vraie petite femme indépendante.

Je rosis et enroulai mes bras autour de la nuque de Luc. Je n'avais pas envie de partir. Je m'approchai de ses lèvres et nous échangeâmes un long et tendre baiser. Je sentis une de ses mains se plaquer derrière ma nuque et je frissonnai. Il se détacha le premier et je retint un soupir en appuyant mon front contre le sien.

- Veux-tu que je te ramène ?

Je pris le temps de la réflexion. Je pourrais prolonger un peu le temps en sa présence, mais je devais vérifier que mon père était bien absent, au risque qu'ils ne se croisent.

- Pourquoi pas, mais il faut que j'appelle ma sœur avant, dis-je avant de me lever.

Je retournai dans la chambre et vis un appel en absence de Chloé. Celle-ci voulait sans doute prendre des nouvelles. Je cherchai ma sœur dans mes contacts et appuyai sur la touche d'appel. Elle répondit tout de suite.

- Salut ma sœur !

- Salut Vic, dis-je avec un sourire. Je ne vais pas tarder à rentrer, est-ce que papa est là ?

- Non, répondit-elle d'un air blasé. Il vient de repartir, je ne sais où. Il m'a dit de ne pas l'attendre pour manger.

- Encore ? m'étonnai-je. Mais qu'est-ce qu'il fabrique un week-end ?

- Je crois qu'il a quelqu'un, me confia Victoria d'un ton de conspiratrice.

- C'est vrai que c'est suspect.

- Moi, franchement, je m'en fiche. Un peu d'honnêteté ne lui ferait pas de mal cela dit !

Je ricanai, me sentant définitivement pas à ma place pour le juger s'il avait une aventure sans nous le dire.

- Bon, on en reparle quand je rentre si tu veux ? Je ne serais pas longue.

- D'accord ! A tout de suite !

Nous raccrochâmes et Luc me rejoignit.

- Alors ?

- Tu me ramènes ? demandai-je avec un sourire.

Il m'aida à récupérer mes affaires et porta mon sac jusqu'à sa voiture. J'envoyai un message à Chloé pour lui dire de ne pas s'inquiéter et que je la rappelais plus tard.

Le chemin du retour se fit dans une ambiance morose. Luc avait de nouveau attrapé ma main mais ne prononça aucun mot de tout le trajet. Il ne réagit que lorsque nous arrivâmes devant ma maison.

- Chouette cabane.

Il poussa un soupir et se tourna vers moi, la mine sinistre.

- Bon sang, ironisai-je. On dirait que tu vas m'annoncer que tu as tué un bébé chiot.

Il pouffa, ce qui allégea considérablement l'atmosphère. Il caressa ma joue et je me blottis dans sa main en fermant les yeux.

- Tu vas me manquer ma belle.

Je lui souris et me penchai en avant pour réclamer un dernier baiser. Il s'empara de mes lèvres avec urgence, prolongeant notre étreinte le plus possible, me laissant à peine respirer. Je finis par le repousser en haletant. Mon corps semblait chargé d'électricité.

- Mince, je ne suis pas bonne en apnée !

Il éclata de rire et nous échangeâmes un baiser plus doux, mais tout aussi charnel. Lorsque nous nous séparâmes, je cru déceler une lueur de désir brûlant au fond de ses prunelles et je détournai rapidement les miennes tout en attrapant la poignée de la portière.

- A très bientôt, lançai-je, une vague interrogation dans la voix.

- Quand tu veux.

Sa voix était chaude et je fondis instantanément. Je descendis de voiture et attrapai mon sac sur la banquette arrière. Je claquai la portière et il baissa la vitre, me lança un dernier signe de la main, accompagné d'un sourire triste. Je lui lançai un signe d'au revoir et il démarra avant de s'éloigner. Je le suivis du regard jusqu'à ce qu'il tourne. Un étau enserra soudain ma poitrine et ma soudaine solitude déversa une vague de froid dans mon estomac, me faisant frissonner. Je me secouai et pris le chemin du retour, le cœur lourd.

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