Cela aussi passera - Larry St...

By Mephitis

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FICTION TERMINÉE ♒︎ 1993. Louis a seize ans, un corps d'adolescent dont il ne sait pas quoi faire, des désir... More

Note
♒︎
Childhood's End - Prologue
Green Is The Colour - Chapitre 1
Lost For Words - Chapitre 2
Breathe - Chapitre 3
What Do You Want From Me - Chapitre 4
Young Lust - Chapitre 5
Two Suns in the Sunset - Chapitre 6
Learning to fly - Chapitre 7
Signs of Life - Chapitre 9
Obscured by Clouds - Chapitre 10
One Of These Days - Chapitre 11
Echoes - Chapitre 12
The Happiest Days of Our Lives - Chapitre 13
A Great Day for Freedom - Chapitre 14
Brain Damage - Chapitre 15
Time - Chapitre 16
Speak to me - Chapitre 17
High Hopes - Chapitre 18
Goodbye Blue Sky - Chapitre 19
Wish You Were Here - Épilogue
derniers mots ✨
bonus + surprise(s) ♡
interview :)

Coming Back to Life - Chapitre 8

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By Mephitis


« Pour celui qui part

Pour celui qui reste -

Deux automnes. »

- Yosa Buson



1999

- H A R R Y -



Lorsque Harry est arrivé à Kyoto pour la première fois, il a pleuré. Il se souvient très bien être resté assis dans l'aéroport une éternité, tellement tétanisé qu'il ne pouvait plus bouger. Il était parti sur un coup de tête et avait réalisé son geste — et tout ce qu'il signifiait — lorsqu'il s'était retrouvé en plein milieu du hall, devant une immense affiche écrite en japonais. Là, l'angoisse avait commencé à lui étreindre la gorge. Il avait eu peur, terriblement peur. Il avait voulu repartir en arrière, retourner dans l'avion et rentrer immédiatement en France, retrouver sa minuscule chambre dans la maison de sa mère. Tout ce qu'il avait fui lui avait paru dérisoire par rapport au fait de se retrouver seul dans un pays inconnu, dont il connaissait seulement vaguement la langue.

C'était Haku qui, le premier, lui avait tendu la main. À l'époque, Haku travaillait à l'aéroport. Il était chargé de nettoyer et de remplir les machines distribuant des confiseries et des boissons. Harry se souvenait très bien d'à quel point il avait été touché lorsque Haku avait ouvert une machine pour lui, et en avait sorti une barre de Kit-Kat. Le jeune japonais lui avait dit d'attendre là, qu'il reviendrait. Harry avait obéi, passant encore quatre heures sur le sol de l'aéroport, à se demander pour quelle foutu raison il avait cru que quitter son pays était une bonne idée, et à quel point il était désespéré pour attendre un inconnu qui l'avait sûrement oublié. Mais Haku était revenu. Il n'avait plus ses habits de travail, portant un sweat et un jogging gris. Il avait à nouveau tendu sa main à Harry et le jeune homme l'avait suivi. Il n'avait nul part où aller, de toute façon, et très peu d'argent. Haku l'avait emmené chez lui. Il lui avait fait à manger. Pendant une semaine, Harry avait vécu dans son petit appartement, et avait dormi sur son canapé. Même si Haku n'arrêtait pas de lui répéter que cela ne le dérangeait pas, Harry se sentait mal d'abuser ainsi de son hospitalité. Il voulait travailler pour pouvoir avoir son propre endroit où vivre, et être indépendant. Alors, Haku lui avait parlé de son oncle qui tenait une petite supérette dans un quartier tranquille de Kyoto, et qui recherchait un caissier. Ce n'était pas l'opportunité la plus excitante, mais Harry avait trop besoin de gagner de l'argent pour refuser. Il avait été embauché, malgré son japonais hésitant. Quelques mois plus tard, Haku avait démissionné de l'aéroport pour venir travailler avec lui, son oncle ayant besoin d'un deuxième employé. Harry était vraiment heureux d'avoir rencontré quelqu'un comme Haku. Peut-être qu'il était ce qui se rapprochait le plus d'un meilleur ami, pour lui... Dans tous les cas, le jeune homme lui avait, en quelque sorte, sauvé la vie.

Alors oui, peut-être que Harry ne faisait pas le travail le plus passionnant du monde. Peut-être qu'il n'avait pas un salaire mirobolant. Peut-être qu'il faisait souvent des horaires horribles, qu'il rentrait tard chez lui et dormait toute la journée, voyant à peine la lumière du soleil, certaines semaines. Peut-être que son cercle d'ami.e.s était assez restreint et qu'il menait une vie solitaire et ennuyeuse. Mais il se sentait bien. Bien mieux que lorsqu'il était en France. Ici, les gens ne lui demandaient rien. Ici, les gens gardaient pour eux leurs remarques acides. Harry aimait cette discrétion pudique. Harry aimait être une ombre parmi le paysage. Harry aimait la sensation de ne s'attacher à rien, d'être seulement de passage. Même Haku ne savait pas grand chose de lui, dans le fond. Mais il ne demandait rien. Et comme lui, Harry ne lui avait jamais posé de questions indiscrètes. Ils étaient amis et si un jour Harry partait, il savait qu'ils ne garderaient sûrement pas vraiment contact, ou très peu. Mais Haku serait toujours dans ses souvenirs. Harry aimait cette sensation. Il aimait ne pas vraiment compter. Il aimait que personne ne s'accroche à lui. Il aimait sa solitude, son indépendance farouche. Il aimait que seul Mochi soit là, tous les soirs, pour lui demander de l'affection et de l'attention. Personne d'autre.

Alors pourquoi.

Pourquoi le retour de Louis lui donnait-il l'impression de revivre ?

Pourquoi avait-il la sensation de sortir enfin la tête de l'eau, après avoir été des mois et des mois immergé sous un océan sombre ? Pourquoi avait-il l'impression que Louis était le soleil l'attendant à la surface, rayons doux sur sa peau fatiguée ? Pourquoi, depuis que Louis était apparu dans le konbini, ne pensait-il qu'à lui ? Pourquoi — alors même qu'il tentait misérablement de se persuader du contraire — espérait-il chaque jour que Louis apparaîtrait dans le magasin, adorable dans ses sweats trop grands, sa stupide boisson à la fraise entre les mains ? Pourquoi fermait-il les yeux le soir en repensant aux journées qu'ils passaient ensemble, arpentant les rues de Kyoto ? Pourquoi les souvenirs de l'été 1993, souvenirs lointains, qu'il avait passé tellement de temps à repousser au fond de sa mémoire, resurgissaient-ils et ne lui faisaient plus aussi mal qu'avant ? Il avait cru que revoir Louis lui ferait mal, il avait cru qu'il retomberait à cause de lui dans une mélancolie sans fond, que son sourire serait un signal suffisant pour fuir à nouveau, mais c'était le contraire. Louis était en train de réveiller en lui des sensations oubliées. Louis le faisait rire. Louis le faisait rougir. Louis était insolent, stupide, magnifique, agaçant, gamin, mignon, débordant d'énergie. Louis lui posait des dizaines de questions sur le Japon, Kyoto, la langue, la nourriture, la culture... Et Harry ne le repoussait pas. Harry était sincèrement heureux de lui répondre. Harry sentait ses mains devenir moites quand le jeune homme s'approchait de lui, posait ses doigts sur son bras, laisser errer son regard dans le sien un peu trop longtemps, riait à une de ses blagues. Harry ne se l'avouerait pas, non, jamais, mais il avait terriblement peur du jour où Louis entrerait dans le konbini pour lui dire qu'il retournait en France. Parce que ce jour arriverait, n'est-ce pas ? Louis ne pouvait pas rester ici indéfiniment. Il y avait maintenant plus d'une semaine qu'il était à Kyoto. S'il ne rentrait pas tout de suite en Europe, il finirait par en avoir marre de la ville et irait visiter une autre partie du Japon. Harry pouvait comprendre ça. Et il n'avait pas en être triste.

Définitivement pas.

En soupirant, il enfonce sa casquette — réglementaire au travail — sur sa tête, et passe la porte, reléguant ses pensées au fond de son esprit. Il est à peine huit heures du matin. Le carillon résonne, faisant lever la tête aux deux seuls personnes présentes dans la boutique.

Louis et Haku, visiblement en pleine discussion.

Et voilà, Harry ne devrait pas avoir envie de sourire à ce point en voyant Louis assis sur le tapis de la caisse, les pieds se balançant dans le vide, noyé dans son sweat Pikachu, un bonnet sur la tête laissant échapper ses mèches brunes un peu folles. Il avale sa salive — sa bouche étant soudainement assez sèche — et il articule :

— Salut.

Haku lui fait un petit signe joyeux de la main tandis que le visage de Louis s'illumine d'un large sourire et, uh, Harry se souvient que lorsqu'il avait seize ans, il pouvait aller se blottir contre lui, et embrasser ses lèvres pour lui dire bonjour. Non pas que ce soit quelque chose qu'il veuille faire maintenant. Il n'est plus amoureux de Louis, bon sang. Il n'a plus envie de l'embrasser, ni de sentir sa peau contre la sienne. Il est passé à autre chose, merci bien.

— Qu'est-ce que tu fais assis sur la caisse ?, demande t-il un peu plus sèchement qu'il ne l'aurait voulu, tout en enlevant sa veste pour enfiler son tablier vert.

Louis n'a pas l'air impressionné par son ton, haussant vaguement les épaules avec un sourire amusé.

— Je discute avec Haku, qui est bien plus aimable que toi le matin.

Harry lui renvoie un regard blasé, et se tournant vers Haku, il dit très vite en japonais :

Tu as le droit de lui dire qu'il te soûle. Je suis désolé qu'il s'incruste ici quand je ne suis pas là.

— Il ne me dérange pas... On s'entend bien tu sais.

Et le jeune homme accompagne sa phrase d'un clin d'oeil qui énerve vaguement Harry sans qu'il ne comprenne pourquoi. Mais il n'a pas le temps de rebondir, puisque Haku attrape un carton traînant sous la caisse et annonce qu'il va finir de remplir le rayon eau avant que les premiers clients n'arrivent. Harry acquiesce et se tourne à nouveau, reportant son attention sur Louis, toujours assis sur le tapis de la caisse.

— Qu'est-ce que tu viens faire là ? Il est tôt.

— J'ai mal dormi... J'étais réveillé et j'ai vu Haku ouvrir la boutique alors je me suis dit que j'allais aller discuter avec lui. Ça te dérange ?

Harry hausse un sourcil, agacé par le ton taquin de Louis. Il allume la caisse enregistreuse, et finit par répondre :

— Pourquoi ça me dérangerait ?

— Je sais pas. T'étais un peu jaloux avant.

Harry sent ses mains trembler légèrement sur le clavier. Lentement, il avale sa salive et jette le regard le plus blasé qu'il puisse sur Louis. Les mots mordent ses lèvres lorsqu'il les prononce :

— J'étais jaloux parce que je tenais à toi.

— Tu ne tiens plus à moi ?

— Je devrais ?

Harry n'arrive pas à lire le visage de Louis, à cet instant. Le jeune homme a gardé son sourire, mais il semble s'être étrangement figé. Harry a l'impression soudaine d'avoir cassé quelque chose entre eux, d'avoir coupé ce minuscule fil qui liait à nouveau leurs deux corps, depuis une semaine.

— Je ne sais pas, finit par répondre Louis, la voix moins assurée.

Harry détourne le regard, incapable de soutenir le bleu brusquement triste de ses yeux. Incapable de revenir sur ses mots. Incapable de rattraper le fil cassé et d'y faire un petit noeud, pour reprendre où ils en étaient. À la place, il pousse un petit soupir las et murmure :

— Et moi j'espère que toi non plus, tu ne tiens plus à moi. Ce serait stupide.

Louis ne répond pas. Il se laisse tomber du tapis de la caisse, enfonçant immédiatement ses mains dans les poches de son sweat. Harry ne le regarde pas, faussement concentré sur les pièces qu'il trie dans le tiroir. Quand Louis se remet à parler, ses yeux se brouillent malgré lui.

— En fait, j'étais venu te proposer de manger avec moi ce midi, à ta pause. Mais ce serait stupide.

Et là-dessus, Louis tourne les talons et la porte claque derrière lui.

Cette fois, Harry ne lui court pas après dans la rue.

*

*

*

J'ai déjà mentionné que j'étais idiot ?

Harry est assis sur une petite chaise, dans la réserve. Il est midi et demi, et lui et Haku ont fermé la supérette le temps de manger. La matinée a été morne, Harry n'ouvrant pas vraiment la bouche, se contentant de rester derrière la caisse et de saluer les clients avec le sourire le moins bancal qu'il puisse offrir.

Haku lui sourit à moitié :

J'ai cru t'entendre le mentionner une fois récemment, oui.

Harry mâchonne sa boulette de riz, peinant à avaler. Il a l'impression que son estomac est noué, et il y avait longtemps qu'il n'avait pas ressenti ça.

Je ne sais pas comment me comporter avec Louis... Je crois que je l'ai rendu triste.

— C'est pour ça qu'il est parti ce matin ?

— Hm... Oui.

Un petit silence s'installe, pendant lequel Harry se met à jouer avec la serviette posée près de sa boîte à bento.

Est-ce que je peux te poser une question ?, finit par demander timidement Haku.

Harry relève les yeux et hoche la tête.

Oui. Quoi ?

Tu ne m'as pas vraiment dit qui était Louis pour toi. Comment vous vous connaissez ? Et pourquoi tu sembles si étrange quand il est là ?

— Je suis étrange quand il est là ?

— Un peu. Tu n'agis pas comme avec moi en tout cas.

— C'est-à-dire ?

Haku laisse échapper un petit rire avant de murmurer :

Je ne sais pas... Tu as l'air à la fois fasciné par lui et désespéré à l'idée qu'il soit là. C'était ton ami en France ?

Oui...

Harry se mordille légèrement la lèvre avant d'ajouter :

— On a passé un été ensemble. Il était... Il était important pour moi. Parfois je me dis que personne ne sera jamais aussi important que lui l'a été à ce moment-là.

— Vous vous êtes perdus de vue après cet été ?

— En quelque sorte... À vrai dire, c'est plutôt moi qui suis... Parti. Je n'étais pas très bien, à cette époque. J'ai fait quelque chose que je n'aurai pas dû. Je ne sais même pas comment il peut aujourd'hui me parler normalement, comme si rien de tout ça n'avait eu lieu.

— Peut-être qu'il ne t'en veux pas ?

Harry a un petit rire triste. Il baisse les yeux, regardant la serviette qu'il a machinalement plié en origami.

— Je ne sais pas... J'ai toujours cru qu'il devait me détester. J'ai du mal à imaginer que ce ne soit pas le cas.

— Tu sais Harry, je pense que tu devrais le lui demander. Ma grand-mère me disait toujours qu'on ne peut pas se mettre dans la tête des gens. Tu ne sais pas ce que Louis pense de ça aujourd'hui. Peut-être que tout ce que tu t'imagines est faux. Peut-être que lui a sincèrement envie de redevenir ton ami.

— Je... Je ne pense pas être l'ami qu'il mérite.

— Et pourquoi ?

Haku fronce les sourcils et attrape la main de Harry, la serrant entre ses doigts.

Tu te dévalorises trop. Tu es une personne formidable... Depuis trois ans que tu es mon ami, tu as toujours été là pour moi. Tout le monde t'apprécie. Tu as une belle personnalité, tu es gentil, intelligent, poli, drôle... Même Mme. Karasawa t'adores alors que c'est une vieille grincheuse ! Sérieusement Harry, si Louis passe tous les jours ici ce n'est certainement pas pour discuter avec moi. C'est avec toi qu'il veut passer du temps. Si tu étais quelqu'un de détestable lui rappelant de mauvais souvenirs, il ne gaspillerait pas son énergie comme ça à tenter par tous les moyens de retenir ton attention.

Harry ne répond pas, détournant à nouveau le regard. Mais il ne peut pas s'empêcher de sourire légèrement. Haku ne lui avait jamais parlé avec autant de sincérité.

Lorsqu'ils retournent à l'intérieur de la supérette, il le retient un instant, l'attirant dans un bref câlin pour le remercier. Harry n'est pas très doué avec les mots, mais il sait que Haku comprend.

*

*

*

Le salon silencieux sent la cire et les feuilles de thé. Harry est assis sur le tatami, les yeux rivés sur une estampe accrochée au mur, représentant le mont Fuji au printemps. Dans la pièce d'à côté, il entend le ronronnement rassurant d'un poste de télévision, et les rires d'un personnage de dessin animé pour enfants. C'est le soir, la nuit est en train de tomber sur le jardin qu'il aperçoit à travers les persiennes d'une grande fenêtre. La gérante, Inoue-san, ne lui a pas posé de questions lorsqu'il a demandé à voir Louis. Elle l'a simplement laissé entrer, lui demandant poliment d'attendre qu'elle aille le chercher. Harry la connaît un peu. Il sait qu'elle vient faire des courses presque tous les jours, vers dix-huit heures. Il connaît également sa fille, celle qui doit être devant la télévision. Cela dit, il n'était jamais entré chez elles. Il ne savait même pas qu'elle gérait le ryokan, avant de la découvrir derrière la porte. Inoue-san n'a pas eu l'air surprise de le voir, l'accueillant seulement avec un sourire bienveillant. Harry aime beaucoup cette femme. Il est content que Louis loge chez elle... Même si le bien-être de Louis ne devrait pas tellement lui importer. Dans l'escalier, des pas résonnent soudain, et la porte face à lui coulisse pour laisser passer Inoue-san, et Louis.

Harry se relève précipitamment, s'inclinant vaguement pour saluer la gérante qui s'éclipse en silence, les laissant seuls dans la petite pièce. Louis a l'air un peu endormi, comme s'il faisait une sieste avant qu'Inoue-san ne vienne le chercher. Il n'a plus le sweat qu'il portait le matin, celui-ci ayant été remplacé par un t-shirt à moitié délavé à l'effigie de la série FRIENDS. Il ressemble... Il ressemble au gamin qu'il était, les dimanches, alors que lui et Harry traînaient jusqu'à quinze heures dans son lit, et regardaient des animes en mangeant des tartines de Nutella. Harry n'avait pas repensé à ça depuis une éternité. Et maintenant, son coeur se serre étrangement, car il ne peut pas s'empêcher de se dire que des moments comme ça, il aurait pu en vivre une infinité avec lui. S'il n'avait pas fui. S'il n'avait pas été le plus stupide d'eux deux.

Louis se racle soudain la gorge, le sortant de sa torpeur. Le jeune homme n'a pas l'air particulièrement fâché, mais visiblement peu disposé à commencer la discussion. Harry le comprend. En plus, il l'a manifestement dérangé alors qu'il dormait. Il devrait s'excuser maintenant. Pour tout. Il devrait dire quelque chose d'intelligent, de sincère, de gentil. Il devrait lui dire, Louis, je suis vraiment vraiment heureux que tu sois là. Même si ça m'énerve aussi. Mais la seule chose qui sort de sa bouche, c'est :

— C'est qui, ton personnage préféré ?

Louis le fixe sans comprendre, et Harry se rend compte que sa question est très très peu explicite. Alors, il pointe du doigt le t-shirt du jeune homme et ajoute :

— Dans Friends.

Louis cligne des yeux et pendant un instant, Harry se dit qu'il va l'envoyer balader, et remonter dans sa chambre en claquant la porte derrière lui. Mais après une seconde de silence, il finit par répondre :

— Chandler. Je crois qu'on a la même façon d'utiliser l'humour pour se protéger. Et toi ?

Harry ne s'était pas attendu à une réponse aussi sincère. Il laisse son regard s'ancrer dans celui de Louis — un bleu limpide, mer d'huile sans vague et sans remous — et avoue :

— Phoebe.

— Parce que tu es végétarien comme elle ?

— Non... Parce que je ne sais pas chanter.

— Elle le prendrait mal, commente sobrement Louis, une lueur amusée dans les yeux.

Harry soupire, et avec une petite grimace, il ajoute :

— C'était une façon assez nulle de te demander si tu voulais venir avec moi au karaoké, un soir.

— Pour t'entendre chanter comme une casserole ? Non merci.

Mais Harry voit bien que le ton de Louis a changé. D'un peu froid et distant, il est redevenu taquin et amical. Un petit silence confortable s'installe, pendant lequel Harry ne lâche pas Louis des yeux. C'est agréable. Harry a l'impression de retrouver leur complicité perdue. S'il était vraiment sentimental, il dirait même, je crois que tu es la moitié qui me manquait depuis six ans. Mais Harry n'aime ni Platon, ni les histoires d'amour à l'eau de rose. Et Louis n'est pas sa moitié.

— Tu veux faire un tour dehors ?, propose soudain le jeune homme, détachant son regard du sien en premier.

Harry accepte. Ils sortent par la petite baie vitrée, descendent les marches en bois et prennent un chemin de galets blancs. La nuit qui tombe dessine sur les arbres des ombres irrégulières, et le chant fatigué des oiseaux se mêle aux croassements plaintifs des petites grenouilles cachées dans les fourrées. Ils s'avancent vers le fond du jardin, passant devant un onsen dont l'eau chaude soupire une vapeur blanche. Harry se demande si Louis se baigne dans le petit bassin, parfois. Mais il ne demande pas, laissant plutôt errer son regard sur les montagnes qui se dessinent au loin, grises et noires.

— C'est apaisant, n'est-ce pas ?

Louis s'est arrêté, le dos appuyé contre un arbre énorme aux feuilles tombantes. Son visage est noyé dans l'ombre, mais Harry peut encore apercevoir la lueur blanche de ses pupilles.

— Je viens souvent ici, continue t-il. Surtout la nuit. Il n'y a pas un bruit — à part celui des insectes et des grenouilles, et parfois la rumeur d'une voiture dans la rue. J'aime bien regarder les étoiles.

— Tu as toujours préféré la nuit, murmure Harry, soudain mélancolique.

Louis hoche lentement la tête. Il tend la main. Même dans le noir, Harry perçoit le mouvement, et celui-ci suffit à le faire s'approcher. Il ne prend pas les doigts de Louis dans les siens, mais saisit délicatement son poignet. Sa voix est un murmure doux :

— Je me réveillais souvent la nuit, et tu étais assis contre ta fenêtre, ton carnet sur les genoux, à scruter le ciel sombre.

— Tu te souviens de ça...

— Je viens de m'en rappeler. Avant, non, je ne pensais plus à toi.

Louis émet un petit rire bref, et Harry n'arrive pas à savoir si l'aveu lui fait mal ou non. Lentement, il passe son pouce sur le poignet de Louis, caresse sa peau machinalement.

— Est-ce que tu voudrais que je parte ?, demande soudain le jeune homme.

Harry fronce les sourcils. Son regard égaré plonge à nouveau dans celui de Louis. Le bleu de ses pupilles lui semble très clair, soudain. Limpide et vertigineux.

— Non... Je, enfin, c'est toi qui décides. Ta présence ne me gêne pas.

— Peut-être que je te rappelle des mauvais souvenirs.

— Je croyais que ce serait le cas. Mais finalement ça me rend... heureux. De te revoir.

Louis sourit. Harry ne peut pas le voir à cause de l'obscurité, mais ses joues rosissent sensiblement. Il baisse un peu la tête, ses yeux tombant sur la main de Harry enroulée autour de son poignet.

— Je suis content aussi. Je ne m'y attendais pas... Je pensais... Qu'on ne se retrouverait jamais.

Un petit silence suit, jusqu'à ce que Harry le rompe, la voix étranglée :

— Louis. Je ne comprends pas. Tu ne m'en veux pas ?

Autour de la peau de Louis, ses doigts se sont resserrés.

— Non.

La réponse est franche et nette. Harry a un petit sursaut, et il balbutie :

— Mais... Pourquoi ?

Alors, seulement, Louis retire son poignet. À son tour, il attrape le bras d'Harry, et de sa main libre, lui relève le menton pour le forcer à le regarder dans les yeux. Le geste est tendre. Il sourit, tête légèrement penché, les yeux plissés. Adorable et solaire, même au milieu de la nuit.

— Parce que j'ai écrit. J'ai écrit pour guérir ma peine, j'ai écrit pour ne plus hurler, j'ai écrit pour comprendre. Et tous les mots ont dilués ma colère... Je ne t'en veux plus, Harry. De nous, il ne me reste que le souvenir d'un amour qui me rendait heureux.

Harry tremble légèrement, le corps soudainement lourd. Un amour qui me rendait heureux. Et soudainement, Harry a peur. Il a peur des doigts de Louis, si légers sur sa peau. Il a peur de la chaleur irradiante de son corps. Il a peur de toutes ces sensations qui reviennent soudain, familières et agréables. Il a peur des larmes qui menacent au coin de ses yeux, qui lui hurlent de prendre Louis dans ses bras, de le serrer si fort, si fort, si fort, comme il en rêvait il a six ans, lorsqu'il écrivait cette lettre horrible, lorsqu'il rompait lâchement, abandonnant le seul garçon qu'il ait jamais vraiment aimé.

Alors, à nouveau, il recule. Louis le laisse faire, comme s'il se doutait déjà que Harry ferait ça. Ses bras retombent le long de son corps. Ils se regardent quelques secondes, et Harry n'a pas besoin d'être en pleine lumière pour lire dans les yeux de Louis une tendresse démesurée, qu'il ne mérite pas.

Est-ce que Louis l'aime encore ? Est-ce que le coeur de Louis bat encore pour le sien ? Est-ce que Louis serait capable, après ces années de silence, de l'embrasser comme il le faisait lorsqu'ils étaient adolescents ?

Harry ne veut pas le savoir. Il ne veut pas le savoir maintenant, alors qu'il a passé tant de temps à se protéger du reste du monde, à se cacher, à enfouir en lui tout ce qui lui avait fait tant de mal. Il ne veut pas retomber pour quelqu'un, et encore moins pour Louis. L'histoire s'est terminée mal une fois, pas deux...

— C'est d'accord, pour le karaoké, murmure soudain Louis, comme s'il avait compris que Harry avait besoin qu'il dise quelque chose d'aussi banal que ça pour faire cesser le vertige s'étant emparé de lui.

— On se voit demain alors...

Louis hoche la tête. Harry lui sourit vaguement et lui adresse un petit geste de la main avant de tourner les talons, le laissant dans le jardin.

*

*

*

Il est presque minuit, et pourtant le magasin n'est pas fermé. Harry ne va pas dans ce genre d'endroit d'habitude. Il préfère la librairie indépendante au coin de sa rue, où tous les bouquins sont en japonais et où trouver un livre en version française ne lui est jamais arrivé. Pourtant, il pousse la porte. Les rayons sont presque vides. Derrière la caisse, un employé lui sourit et le salue en anglais, pensant certainement qu'il est un touriste venu acheter une revue lui rappelant son pays. Mais Harry ne prend même pas la peine de jeter un oeil aux magazines, se dirigeant immédiatement vers le coin des romans internationaux.

Il y a bien longtemps qu'il n'a pas lu dans sa langue maternelle. Se retrouver dans la section FRANCE de la librairie le met vaguement mal à l'aise, comme si retrouver l'alphabet de son enfance le rendait vulnérable. C'est un sentiment étrange, que Harry a déjà ressenti en parlant avec Louis... L'impression de ne plus être à sa place au sein d'une langue qui a continué d'exister sans lui. Harry n'est plus habitué à discuter en français. Parfois, lorsqu'il parle à Louis, il cherche ses mots, se rend compte que des tournures de phrase lui ont échappé, qu'il ne sait plus si telle ou telle expression est la bonne. La langue n'est plus aussi fluide qu'avant, comme s'il était vraiment en train d'oublier cette partie de son identité. Parler avec Louis le met face à des creux, des blancs dans sa mémoire. Parler avec Louis est parfois douloureux. De temps en temps, Harry a presque honte lorsqu'il n'arrive plus à terminer ses phrases et que Louis est obligé de lui proposer un mot, comme si ce qu'il disait était un stupide texte à trous.

Si parler français n'est plus un automatisme... Est-ce que Harry sera encore capable de lire dans cette langue ? Il ne s'est jamais posée la question, avant. Peut-être parce qu'il n'avait pas envie de le faire. Mais ce soir... Son regard s'arrête sur le petit bouquin qu'il cherchait. Il l'a déjà vu avant, à la gare ou entre les mains de touristes français. Il connaît la couverture. Elle est blanche, toute simple. Au centre, le dessin d'un garçon, de dos. La moitié de son corps semble être en train de partir en poussière. Et le titre trône au-dessus de sa tête. Ce titre, qui résonne dans l'esprit d'Harry depuis la première fois où il l'a lu, par hasard, sans vraiment le vouloir. Depuis la première fois où il a compris que ce Louis, ce jeune auteur bourré de talent, à la plume triste et solaire à la fois, était le garçon qu'il avait le plus aimé au monde.

CELA AUSSI PASSERA

Harry sent sa gorge s'assécher lorsqu'il retourne le livre, pour parcourir le résumé. Les premiers mots dansent sous ses yeux, il a du mal à se concentrer. Peut-être est-ce une erreur ? Peut-être devrait-il simplement se lancer dans le livre, sans chercher des indices. Peut-être qu'il devrait faire confiance à Louis, se mêler à l'encre de ses phrases en faisant comme s'il ne mourrait pas d'envie d'y retrouver sa voix.

Il retourne une nouvelle fois le bouquin, caresse machinalement la couverture. Louis Tomlinson. Il repense au Louis de seize ans, aux cernes immenses sous ses yeux, à la façon qu'il avait de griffonner sans arrêt sur son carnet, assis sur le rebord de la fenêtre. Harry voit encore le pli de concentration entre ses deux sourcils, la cigarette coincée entre ses lèvres, parfois sans même être allumée. Il se rappelle être resté des heures, à moitié caché sous la couette, à admirer Louis écrire et écrire et écrire comme si le reste du monde ne tournait plus tout à fait. Il savait alors déjà, au fond de lui, que Louis ferait de grandes choses. Que Louis était bourré de talent. Mais il pensait aussi, encore plein d'optimisme rêveur, qu'il serait là pour soutenir Louis lorsque son premier roman serait édité.

Harry prend une petite inspiration, puis, du bout des doigts, il ouvre le livre. Sur la première page de droite, quelques lettres sur le papier granuleux, en italiques. Il sent sa respiration se couper, et les larmes lui monter aux yeux.


" Pour H, où que tu sois, j'espère que tu me liras, 

car tous ces mots sont pour toi. "



NOTE

HEYYYY. 

Harry prend ENFIN son courage à deux mains et va acheter le livre de Louis. ♡ Mais vous, vous n'en connaîtrez pas tout de suite le contenu hihihi. J'espère que ce petit chapitre vous a plu... J'avais envie de parler un peu plus de Haku, même si je ne sais pas encore si son personnage sera important ou pas par la suite. D'ailleurs il s'appelle Haku en référence au Voyage de Chihiro... Si vous n'avez pas vu ce Ghibli, qu'attendez-vous ? <3 

Voilà, c'est tout ce que j'ai à dire je crois. La première partie d'un OS que je suis en train de terminer devrait peut-être sortir dimanche. Ou la semaine prochaine. Soon en tout cas. ;) 

ps : ÇA N'A AUCUN RAPPORT MAIS JE VOULAIS ENCORE UNE FOIS HURLER QUE HARRY ÉTAIT SI BEAU AU MET GALA PARCE QUE JE NE M'EN SUIS PAS ENCORE TOUT À FAIT REMISE DONC J'ESPÈRE QUE VOUS NON PLUS PARCE QUE COMME ÇA ON PEUT HURLER ENSEMBLE 


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