Mauvais Rêves

By LesCrisVains

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Lorsqu'un vieux romancier croise un soir une jeune inconnue en pleurs, il ne lui en faut pas plus pour lui in... More

Premier Passage
Chapitre 1
Chapitre 2
Deuxième Passage
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Troisième Passage
Chapitre 9
Chapitre 10
Quatrième Passage
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Cinquième Passage
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Sixième Passage
Chapitre 23
Chapitre 24
Septième Passage
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Huitième Passage
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Chapitre 36
Chapitre 37
Chapitre 38
Chapitre 39
Chapitre 40
Chapitre 41

Chapitre 32

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By LesCrisVains

Oriane fixe le mur immaculé face à elle. Avec la lumière crue de cet après-midi de janvier, premier mois d'une année arrivée sans qu'elle s'en rende compte, la couleur semble encore plus vive. Tout ce blanc lui rentre par les yeux et se met à l'assaut de son crâne encore bourdonnant. Il gagne du terrain progressivement, enchainant les victoires par la magie diabolique de la science. Mais les calmants n'ont pas encore totalement maté les pensées agitées de la jeune femme. Elles se débattent toujours au milieu des brumes opaques, malgré sa bouche pâteuse, ses phalanges endolories, sa douleur persistante au ventre, et son état nauséeux qui rend sa vision aussi vague que ses souvenirs...

Bon, franchement, elle a connu mieux.

Oriane se redresse un peu en grognant, la moitié inférieure de son corps dans son lit, la moitié supérieure adossée au mur derrière. Elle n'a pas la force de bouger davantage, trop fatiguée pour se mettre ne serait-ce que debout. Seules ses pensées ont encore la force de lutter contre l'engourdissement progressif de son être. Alors elle s'y accroche. Elle n'a plus que ça à faire, après tout...

L'internée grogne de nouveau. Comment en est-elle arrivée là, déjà ?

Ils lui ont donné des calmants, d'accord. Parce qu'elle s'était mise à s'agiter, d'accord. Et elle hurlait quelque chose, d'accord. Quelque chose qu'elle n'arrive plus à se rappeler pour le moment, dommage.

Elle a aussi fait fleurir des roses bleuâtres sur ses phalanges claires à force de cogner les murs blancs, mais il faut croire que cette palette de couleurs masochiste n'était pas du goût des soignants.

D'ailleurs, ce n'est pas la première fois qu'elle faisait quelque chose que les autres désapprouvent... L'internée fronce les sourcils sous l'effet de la concentration. Elle sait que cette affirmation est vraie, forte d'une conviction rendue hélas inexplicable à cause de l'amnésie. Comme si ces souvenirs-là se trouvaient derrière une porte, et que les calmants lui en interdisaient l'accès.

Mais maintenant qu'elle est consciente de cette barrière, elle veut l'ouvrir... Elle le voudrait tellement... Elle se jette à corps perdu contre elle avec les dernières forces qu'il lui reste, réclamant son passé après l'avoir si longtemps fui. Par la pensée elle hurle, en réalité elle gémit. Ses poings et son coeur pleins d'ecchymoses frappent à la porte barricadée de sa mémoire comme ils frappaient les murs de sa chambre. A la différence près que cette fois, elle n'est pas animée par la rage, mais le désespoir. Le désespoir frustré d'une fauve dont la folie faiblit...

Sauf que soudain, par surprise, la serrure cède. Des images floues lui reviennent alors, comme les bribes d'un rêve. Ça y est. Elle se rappelle son arrivée à l'hôpital, où elle est depuis maintenant... quelques semaines ? Un mois ? Deux ? Elle se rappelle le procès qui l'y a menée. Elle se rappelle la voix lourde du juge, les regards assassins que lui adressaient les uns, ceux larmoyants que lui adressaient les autres. Elle se rappelle la prison, la colère, l'abandon et la fatigue. Elle se rappelle qu'elle a attendu quelqu'un, mais que cette personne n'est jamais venue.

Elle se rappelle aussi qu'à l'inverse, quelqu'un est venu sans être attendu – la douleur sourde dans son corps en témoigne.

Mais avant qu'elle ne puisse se pencher davantage sur ce dernier point, les visions passagères se font plus distinctes, plus intenses, presque étourdissantes pour son esprit embrumé.

Des cris. Des crises. Des criminels.

A ces images, Oriane esquisse un mouvement de recul et se cogne au passage contre la cloison. Son crâne bourdonne plus fort.

Pourtant, malgré les calmants, impossible d'y résister davantage, elle qui a voulu s'y plonger : la voilà entrainée vers le bas par des souvenirs d'hommes agonisants, de blasphèmes et de folie à l'état pur. Ses mains lui semblent soudain souillées d'un sang au rouge indélébile. Dans sa gorge, la nausée menace de remonter, et un cri de jaillir :

Ce n'est pas moi ça !

Mais les médicaments l'en empêchent, et de toute façon, comment pourrait-elle nier plus longtemps ? N'était-ce pas elle qui voulait ouvrir la porte un instant plus tôt ? Eh bien c'est chose faite, elle est ouverte... Et elle déverse maintenant ses flots écarlates...

Oriane sent l'envie de dormir gagner du terrain, mais tous ces cauchemars éveillés lui interdisent un tel plaisir.

Même les yeux ouverts, ils sont déjà là, ignobles et familiers comme des enfants monstrueux qu'on aurait voulu abandonner. Des images reviennent des entrailles de sa mémoire en rampant, pleines d'addictions et de cadavres, de soirées dépravées dans un club dont elle a oublié le nom, de crimes et de délits toujours plus écœurants et immoraux, toujours plus bas, jusqu'à toucher le fond. Toucher le fond, c'est-à-dire finir dans les vapes, abandonnée sur la banquette d'une voiture, en train de vider une bouteille de vodka laissée à l'arrière, comme si la drogue dans ses veines ne suffisait pas déjà.

Et tout ça pour quoi ?

La réponse l'adoucit étrangement : pour Ikare... L'espace d'un instant, les calmants lui avaient fait oublier son nom, mais en le retrouvant, en l'articulant du bout des lèvres, elle réalise qu'elle n'a jamais cessé d'y penser secrètement. C'était cela qu'elle hurlait tout à l'heure en frappant. C'était cela qui la faisait se déchirer les cordes vocales, avec le fol espoir qu'il l'entende.

Ikare. Sitôt ce prénom revenu à sa mémoire, Oriane s'en émerveille, amoureuse de trois syllabes et d'un homme. Il devient l'anaphore de toutes ses pensées. Il n'y a plus de murs blancs autour d'elle, seulement la sublime teinte de ses yeux, entre le vert et le marron.

Ikare. Tout le corps de la jeune femme lui appartient, elle le lui a mille fois promis. Et comme pour souligner cette idée, l'internée pose les doigts sur son cou, couvert à cet endroit d'une encre aussi indélébile que ses sentiments. Sa peau tatouée clame les louanges de son maître : même sans pouvoir contempler le dessin gravé, Oriane s'en rappelle distinctement.

Ikare. Elle descend sa main plus bas, pleine d'une joie que les médicaments rendent paisible. Le coeur gonflé par toute cette tendresse, la solitude soudain trompée par les souvenirs de son amant, elle a envie de chanter.

Ikare. Leur amour était un délire partagé, mais qu'importe ? Il était si beau ! Brûlant et brutal comme un feu d'artifice ! Que pouvait-elle refuser à son cher angelot ? Absolument rien : il suffit d'un regard pour la faire céder à tous ses caprices – ses sublimes caprices. Sans lui, elle n'est plus vraiment elle-même, comme une marionnette privée de son marionnettiste.

Alors doucement elle fredonne, pour ne pas supplier :

« Mon ange, mon ange, où es-tu maintenant ? »

Pas de réponse, bien sûr. Il n'a pas répondu depuis des semaines. Certains osent affirmer qu'il ne lui répondra plus jamais. Mais qu'en savent-ils donc ? Qu'ils le mettent en prison ou au cimetière, il finira bien par revenir, non ?... Oriane veut y croire, persuadée que l'amour est plus fort que tout... Plus fort que tout !

La fatigue la rattrape aussitôt et coupe court à son énervement confus. Avec un soupir, l'internée s'allonge un peu plus dans son lit, et ses rêveries retournent à pas doux vers le beau visage de son amant.

Sacrément beau visage, quand même... Un air si craquant valait bien quelques crimes...

A peine cette idée formulée, les sourcils d'Oriane se froncent dans une expression perplexe digne d'un enfant. Car comme un enfant, elle a déjà été grondée à ce sujet, elle a déjà subi des réprimandes en disant des pensées pareilles. Oui, c'est vrai, elle s'en souvient maintenant... On lui a dit de se contrôler. On lui a dit d'aller voir un psy. Mais qui est ce "on", déjà ?

Un fantôme il lui semble, à moins que ce ne soit une lionne.

Oriane en aurait presque envie de rire : un fantôme ou une lionne, ce serait digne d'une énigme d'Ikare ! Il en faisait beaucoup avant de devenir fou... A cette époque il avait le timbre enchanteur, les paroles qui se prenaient pour des devinettes, et c'est cela qui a tout d'abord plu à Oriane. Puis il a commencé à perdre son calme, et il n'en a été que plus beau ainsi. 

Alors n'en déplaise au fantôme et à la lionne qui ont essayé de l'en prévenir. Oui cette union était dangereuse, oui les charmes de l'ange cachaient un démon aux plumes de carton, elle le sait bien. Mais si le démon est encore plus rayonnant que l'ange, comment y résister ?

Durant toutes ces semaines loin de lui, Oriane a réfléchi à cela, elle a compris la toxicité de cet amour et l'absurdité d'un tel attachement. Elle le sait, pour les beaux yeux d'Ikare, elle est retournée dans les ténèbres où elle avait grandi, elle a pactisé avec ses démons d'hier, et elle s'est même métamorphosée en l'un des monstres qui peuplaient autrefois son armoire. Elle est devenue ce qui l'effrayait. Alcoolique, droguée, criminelle. Une ombre au tableau de la vie.

Cependant il y a toujours ce mais je l'aime !  obstiné, ce concept dément de l'amour auquel elle se plie aveuglément. Peu importe s'il l'a abandonnée deux fois en une seule soirée – la dernière qu'ils passaient en liberté. Peu importe s'il lui a infligé le sentiment qu'elle haïssait le plus, la solitude, un sentiment si insupportable pour elle qu'elle en avait été jusqu'à ressusciter quelqu'un pour ne plus l'éprouver. Peu importe s'il l'a abandonnée derrière la porte blindée avec un homme mort, pour ensuite l'embarquer à l'arrière de sa voiture sans rien expliquer. Peu importe s'il est parti se livrer à cet imbécile de... comment il s'appelle déjà ? Dent ? Dante ? Peu importe. Oui, peu importe tout, peu importe le monde entier, tant qu'Ikare l'aime...

Ce mantra a une allure de berceuse, rendant lentement flou le monde autour de la jeune femme. L'effet des calmants se renforce dans son corps, il l'apaise et s'apprête à de nouveau effacer ses souvenirs le temps d'un sommeil, comme le vent qui efface les coeurs tracés dans le sable. Mais ni les médicaments ni le vent n'effacera jamais les sentiments et les promesses, surtout celle-ci : un jour, Oriane retrouvera Ikare.

Parce que l'amour est plus fort que tout, il parait...

Plus fort que le blanc de ces murs ? Les paupières de l'internée se font tellement lourdes maintenant... Son corps engourdi se défait peu à peu de ses pensées. 

Plus fort que tout, oui... Bercée par ses propres promesses, un sourire au coin des lèvres, elle se sent glisser dans son lit et dans le sommeil. Elle s'abandonne aux bras de Morphée en croyant que ce sont ceux d'Ikare.

Leur amour est invincible, oh oui... Immortel... Elle le sait bien, ce ne sont peut-être que des souvenirs ou des hallucinations, mais c'est si agréable... Pourquoi se priver de ce qui lui fait du bien ? 

Plus forts que les lionnes et les fantômes, ses sentiments ne s'éteindront jamais... Jamais... Ils continueront de brûler, oui... Comme des braises sous la cendre... Et même si parfois elle s'en détourne... Elle continuera de l'aimer au fond... Elle ne s'en lassera jamais... 

Son sourire s'élargit : elle l'aimera toujours... Toujours...

Là-dessus, le blanc des murs laisse place au noir de ses paupières fermées.

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