Mauvais Rêves

By LesCrisVains

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Lorsqu'un vieux romancier croise un soir une jeune inconnue en pleurs, il ne lui en faut pas plus pour lui in... More

Premier Passage
Chapitre 1
Chapitre 2
Deuxième Passage
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Troisième Passage
Chapitre 9
Chapitre 10
Quatrième Passage
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Cinquième Passage
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Sixième Passage
Chapitre 23
Chapitre 24
Septième Passage
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Huitième Passage
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Chapitre 36
Chapitre 37
Chapitre 38
Chapitre 39
Chapitre 40
Chapitre 41

Chapitre 8

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By LesCrisVains

Le père d'Oriane était de taille moyenne, le visage plein de bonté, la physionomie rondouillarde. Il portait une petite barbichette qui lui donnait l'air d'un bouc. C'était un joyeux personnage, toujours là pour ses amis et la fête, un homme simple qui savait profiter de la vie tant qu'elle était là.

Quel dommage qu'il soit tombé amoureux de la mauvaise femme.

Au début, elle se révélait parfaite en tous points : drôle, sympathique, dynamique, intelligente... Leur mariage avait été merveilleux. Ni l'un ni l'autre ne roulait sur l'or, mais cela importait peu : leur couple vivait heureux, et rien d'autre ne comptait. 

Puis, sans que son époux ne le remarque, Dorothée Pessadya a commencé à s'enfoncer dans une profonde tristesse. Ses manuscrits essuyaient les refus des éditeurs, sa soeur aînée la méprisait, et elle venait de perdre son emploi.

Son mari pensait que ce n'était qu'une fatigue passagère, il la croyait quand elle disait qu'elle allait bien.

Ah ! Malheur aux naïfs, qui plus est quand ils aiment une femme ! Ce sont toujours eux qui souffrent le plus lorsque vient le dénouement.

Et ce dénouement, justement, survint lors d'une fête. Les Pessadya ne connaissaient pas grand-monde, la plupart des invités étant des amis d'amis, autant dire des inconnus. Dorothée ne se sentait pas très bien, alors, finalement, elle faussa compagnie à son époux pour sortir un peu dans la rue, histoire de prendre l'air. Son pas était déjà lent comme celui d'un animal qu'on mène à l'abattoir. Avait-elle eu donc le pressentiment du danger qui venait ?

Toujours est-il que dix minutes plus tard elle avait disparu, et que ce n'est au bout d'une heure qu'on la retrouva enfin à terre, en sang, en larmes. Violée.

La suite ne fut plus que chaos : la larme toujours au coin de l'oeil, les remords toujours au bout des lèvres, le désespoir toujours au fond du coeur, Dorothée n'avait de cesse de se disputer avec celui à qui elle avait pourtant promis amour éternel.

Jusqu'à ce qu'un rayon de soleil parvienne à se frayer éphémèrement un chemin dans le ciel d'orage : une trêve qui s'appelait Oriane, qui à sa naissance fit renaître le sourire sur les lèvres de sa mère. Après tant de haine, celle-ci était devenue débordante d'un amour passionnel, pour ne pas dire obsessionnel. Elle la chérissait, ne cessait de lui offrir baisers émus et câlineries, la couvrait d'autant de jouets qu'elle pouvait se permettre d'acheter.

Bien qu'un brin effrayé du comportement ardent de cette femme, l'époux fut aussi attendri que soulagé à la naissance de l'enfant. En effet, ses traits l'affirmaient haut et fort : cette fille était bien la sienne, et non le fruit d'un viol.

Hélas, cet épisode prit fin comme toute chose, et la mère finit par rechuter, plus bas encore cette fois. Alcool. Violence. Froideur. L'enfant qu'elle avait adoré devint sa honte. L'homme qu'elle avait épousé devint sa victime.

Ainsi ce dernier souffrait et recevait les coups comme un punching-ball, sans jamais riposter par peur des représailles : car elle le hantait, le détruisait de l'intérieur, le frappait non seulement au visage, mais aussi à l'âme. 

Et puis, au fond de lui, sans oser l'avouer, il l'aimait encore. Il n'a jamais cessé de le faire...

***

« Laissez-moi tranquille ! »

Oriane reprend contact avec la réalité, le souffle court. Elle a peur. Peur de les revoir...

Non tu ne les reverras pas. Tu te souviens ? Ils sont morts. Morts.

Oui, morts. Dorothée s'est suicidée peu après les dix-huit ans de sa fille. Quant à son mari, au vu des traumatismes subis durant ses vingt ans de mariage, il n'en est pas sorti indemne. Lui aussi n'est plus que poussières.

« Tu ne m'as pas écouté. »

Dans les ténèbres de la chambre, les reproches de Witahé résonnent sans même un tremblement de supplique. Il n'a plus rien d'un ange gardien, s'apparentant désormais plutôt à un juge céleste. Malgré l'obscurité, la réveillée imagine parfaitement le visage de son compagnon : ses yeux désapprobateurs ; l'intérieur de sa joue mordu, comme toujours lorsqu'il est irrité ; ses poings serrés... La jeune femme frémit.

« Pourquoi tu ne m'as pas écouté, Oriane ?

Cette fois l'inquiétude perce sa voix, faisant éprouver à sa compagne une désagréable culpabilité. Même s'il le le voit sans doute pas dans la pénombre, elle baisse les yeux. Peut-être ne vaut-elle pas mieux que son père, au fond ?

— Pourquoi tu crois ce type et pas moi ? souffle Witahé avec une voix encore plus tremblante. Il ne t'aidera pas, Oriane. Le docteur Denn si. Et tu le sais.

Elle ne veut pas le savoir, et elle l'affirme clairement en rétorquant :

— Il me ressemble.

— Ne dis pas n'importe quoi, Oriane. Tu le connais à peine...

— Mais je le sens ! Il a... cette chose dont j'ai besoin, tu comprends ? Il me complète, je... je me sens vraiment bien avec lui. Tu comprends ?

Silence.

— Witahé ?

Toujours pas de réponse.

— Witahé ? »

En allumant la lumière, Oriane réalise qu'elle est seule : Witahé a disparu. Parti on ne sait où. Comme toujours.

***

À vingt heures, comme prévu, Oriane se rend au Café du Liseron. C'est un endroit assez fréquenté, au bord de la rivière, à la décoration évoquant le Paris de la Belle Époque, avec des concerts tous les samedis soirs. Il se trouve à l'entrée du Quartier Est, bien connu pour ses fêtes quotidiennes et son ambiance nocturne déjantée. Qui plus est, l'établissement se situe à l'autre bout de la ville par rapport à Gênnille et l'usine de Paria ! , donc aucun risque de retrouver parmi cette foule de travailleurs une tête connue.

Si Alix la découvrait en rendez-vous avec un jeune homme, elle piquerait une crise de ne pas avoir été prévenue plus tôt. Sans oublier Shawn qui ferait des boutades à ce sujet jusqu'à la fin de ses jours...

L'inconnu aux cheveux blond platine est déjà là, assis à une table dans un coin, buvant à petites gorgées un soda. Il a remarqué l'arrivée de son invitée, mais fait mine de ne pas s'y intéresser – évidemment. Oriane s'installe à la chaise en face puis, une fois sa commande faite, elle déclare :

« Me voici. Satisfait ?

Il esquisse un sourire en reposant son verre :

— On ne peut plus satisfait. Vous avez eu raison de m'écouter.

— C'est ce que j'attends encore de voir... Pas d'alcool ? ajoute-t-elle, moqueuse, avec un petit regard vers le soda. Je vous imaginais pourtant si bien en ivrogne...

— Navré de vous décevoir. Mais si cela peut vous consoler un peu, sachez que je l'ai été, et que je peux retomber très vite.

Le café d'Oriane arrive. Elle en avale une gorgée avant de reprendre :

— Je ne sais même pas votre nom.

Il l'observe un long moment, puis finit par lancer d'une voix douce et amusée :

— Oh, vous savez, mettre un nom sur mon visage risquerait de gâcher le charme de la rencontre... Mais si vous y tenez, je vous propose de m'appeler Lucifer, pour l'instant.

Oriane ne peut s'empêcher de hausser un sourcil : il n'y a que les mégalomanes pour se donner des pseudonymes pareils. Mais en même temps, ce parfum de mystère lui plait...

— Quoi ? raille-t-elle. Le Diable?

— Non. Le porteur de lumière. »

Dans l'air flotte un mélange d'alcool, de café et de viande qu'on sert dans la partie brasserie de l'établissement. Ça jacasse et ça rit fort. À la table d'à côté, trois hommes et une femme jouent aux cartes sous le regard d'un petit public habitué. Un as de pique vient de tomber, suivie d'une dame et d'un valet de la même couleur : un mauvais présage, diraient les cartomanciens.

Sauf que la jeune femme ignore tout des présages, alors, insensible aux désapprobations des astres, elle se décide à poser la question qui la tourmente depuis leur dernière rencontre :

« Comment est-ce que vous savez ?

Sans même avoir besoin de préciser de quoi elle parle, lui devine immédiatement qu'elle pense à la tragédie passée. Celle qu'il avait évoquée devant la trentenaire, lorsqu'il lui avait parlé pour la première fois.

Il sait quels doutes la tiraillent, mais, loin de chercher à lui ôter de l'esprit cette interrogation-là, il préfère au contraire s'envelopper dans ses secrets :

— Disons que le destin a bien fait les choses et, il y a des mois de cela, nous avons déjà eu l'occasion de nous rencontrer...

— Lors du ...?

La fin de la phrase se bloque dans sa gorge. Voyant qu'elle ne terminera pas sa question, "Lucifer" se voit obligé d'abréger ses balbutiements d'un hochement de tête affirmatif.

— Mais si ce que vous voulez savoir est si j'étais là, alors : oui j'étais là.

La curiosité d'Oriane excitée, celle-ci brûle d'envie de lui poser d'autres questions à ce sujet, d'en savoir plus sur lui, de mieux comprendre ce qu'il faisait ici  à ce moment-là. Elle ne se souvient pas l'avoir vu dans la foule...

Mais déjà son interlocuteur repart sur autre chose:

— C'est étrange, n'est-ce pas ?

— De quoi ?

— D'être ainsi, l'un face à l'autre... Nous ne nous connaissons pas vraiment, mais nous sommes actuellement en train de boire ensemble... »

Hélas, sa déclaration est interrompue net : l'un des trois hommes qui jouaient aux cartes se met à brailler, criant à la tricherie, le poing serré sur la table. Quelques accusations, puis quelques insultes, puis enfin quelques personnes aux comportements pas très différents de ceux d'élèves d'école primaire qui se ramènent pour profiter du spectacle qui débute.

C'est bien connu, l'alcool est inflammable. Et en ce moment-même, c'est le feu de la colère qui grâce aux liquides amers s'embrase : une bataille éclate.

D'un commun accord, les deux trentenaires choisissent de quitter le café, non pas par tendance pacifiste – l'un et l'autre ne seraient pas contre se défouler un peu – mais plutôt parce qu'ils ont des choses bien plus importantes à faire, ou plutôt à se dire, ce soir-là. 

Tous deux le sentent presque physiquement : cette rencontre ne sera pas sans impact dans leurs vies futures respectives. Quelque chose va se débloquer ici, maintenant ou dans quelques heures, mais en tout cas quelque chose qui ne les laissera pas se séparer avant d'avoir été révélée.

Ils descendent dans la rue pour se joindre à la masse de fêtards, déambulant parmi les cafés bruyants et les boîtes de nuit aux basses lancées pleine puissance. Ils plaisantent, s'amusent, esquissent quelques pas de danse, boivent encore un peu – mais seulement des sodas, bien sûr, ne brisons pas si vite les résolutions du Diable. Leurs rires se mêlent l'un à l'autre, et, ainsi unis, se glissent jusqu'à se trouver une place parmi les étoiles, à moins que ce ne soit juste les ampoules colorées suspendues aux façades de certains bars.

La vie à cent-vingt battements par minute, autant de personnes dans la rue que de décibels dans les discothèques : je te reconnais bien là, mon cher Quartier Est, et c'est cela que j'aime chez toi. Même si moi, adolescent, j'étais plutôt, selon certains, toujours à l'ouest.

Naturellement les mains des deux flâneurs viennent se toucher, s'attirer, s'attraper, happés par des sentiments qu'ils ne pensent même pas à décrire. Ne réalisent-ils pas combien cela semble évident, d'un coup ? Ils s'aiment, heureux qu'ils sont, ils s'aiment alors qu'aujourd'hui ils viennent de se parler pour la première fois, ils s'aiment et cela est simple, doux et fou à la fois.

L'adolescent qui est en moi les envie ; le romancier, lui, déplore leur avenir.

Enfin, laissons-les profiter, non ?

Soudain le jeune homme s'arrête, et l'innocence de la fête avec lui. Ses yeux à l'étrange couleur se posent sur leurs mains jointes, puis remonte jusqu'à croiser ceux d'Oriane. Il sourit, mais d'un sourire déjà plus complexe qu'il y a deux minutes :

« Au fond de vous, vous savez pourquoi il y a cette chose qui nous lie, n'est-ce pas ?

— Je crois savoir... murmure-t-elle.

La foule poursuit sa route autour d'eux, les bouscule parfois ; cependant, eux ne le remarquent pas, trop préoccupés par ce qu'ils découvrent en eux. Ils retiennent leur souffle, assistant au lent éveil de ce feu tapi dans leurs ténèbres, ce feu qui bientôt les détruira et les brûlera tout entier.

Fasciné, le dénommé Lucifer l'encourage :

— Vous le savez mais les mots vous manquent...

— On... On partage ce... ce même quelque chose, parvient-elle à articuler peu à peu. Quelque chose qui est...

Instable. »

Le mal est fait.

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