Camila
- Heu... Dinah, ça va ? dis-je, inquiète. T'as avalé une gorgée multivitaminé de travers ?
Au même moment, j'aperçois Lauren. Elle vient d'ouvrir la baie vitrée et traverse la terrasse en direction de la grange. Dinah la regarde par-dessus ses lunettes de soleil pendant de longues secondes.
Si elle continue comme ça, sa mâchoire va se décrocher.
Je ne vaux pas beaucoup mieux. En brassière, elle porte le short qu'elle avait quand je l'ai vu sur le ring et sa vue me trouble au souvenir de cette séance que nous avons partagée. Elle traverse le jardin et j'ai du mal à la quitter des yeux. A la voir comme ça, je me souviens à quel point elle me fait de l'effet.
- C'est quoi cet avion de chasse ?
- Rien de très intéressant...
Ma voix n'était pas très naturelle.
Et je ferais bien de me détourner si je ne veux pas qu'elle voie que mon nez s'allonge.
- Je comprends mieux pourquoi tu ne vas pas à la plage. Si elle y va, mieux vaut rester tout l'après-midi au bord de cette piscine dans l'espoir de croiser un ou deux voisins.
- Dinah, si tu pouvais arrêter de la mater comme ça, ça m'arrangerait, grommelé-je.
- Arrêter de la mater ? T'es folle ! Elle est à moitié nue, là ! Et vu les obus qu'elle promène dans le jardin, j'ai du mal à regarder ailleurs. Attends, elle regarde dans notre direction.
- Tu veux peut-être des jumelles ?
- Si t'en as, ce n'est pas de refus... Je ne vois pas très bien la marque de ta brassière.
- Dinah ! Sois plus discrète !
En même temps, je ne suis pas sûre qu'elle connaisse ce mot.
- Alors, ces jumelles ? Tu n'en as pas ? Pas grave. Je vais m'en passer. Je vais la faire venir ici pour la voir de plus près.
Je n'ai pas le temps de l'arrêter, elle a déjà fait un grand signe de la main à Lauren.
- Dinah, je vais te faire bouffer le parasol, soufflé-je entre mes dents.
Lauren se passe la main dans les cheveux, risque un coup d'œil, semble hésiter quelques instants puis avance dans notre direction, de sa démarche souple et sensuelle.
- Ah ! Elle vient vers nous ! Mon dieu, je crois que je vais devenir lesbienne. Ma-gni-fi-que, je n'ai pas les mots pour décrire ça... Ce corps, ces formes... Tu ne m'as pas dit que tu cohabitais avec un mannequin !
- C'est Lauren, La fille de Clara. Bien sûr que je t'en ai parlé ! dis-je, piquée au vif.
Dinah n'a pas quitté Lauren des yeux. Elle a même carrément ôté ses lunettes de soleil, pour mieux la voir.
- Peut-être, mais tu m'as caché l'essentiel ! Tu n'as pas dit que la fille de Clara était une espèce de phénomène de la nature, jette-t-elle rapidement.
- Bien sûr que si !
- Tu l'as probablement pensé très fort en m'écrivant, mais les pensées ne passent pas par SMS.
- Je t'ai dit qu'elle était belle !
- Oui, c'est bien ce que je dis. Dans le langage ordinaire, « belle »ça ne veut pas dire ça... Toutes ces formes bien en place, ce côté félin, ce regard à tomber... La femme qui s'approche de nous n'est pas belle. Elle est exceptionnelle.
Elle attrape son téléphone et se met à lire les Sms que je lui ai envoyés. Lauren est toute proche, à présent.
- Tu as dit, je cite : « ça sent l'adolescente immature et colérique qui pense que tout lui est dû »...
- Sur ce point, je me suis trompée, c'est vrai. Mais je ne l'avais pas encore vu ! Arrête maintenant, elle va t'entendre !
Dinah fait mine de ne pas saisir.
- Et après, j'ai... « Très belle. Mais très insupportable. » Et je n'ai jamais eu la photo que je t'avais demandée.
Elle fait exprès de parler à voix haute.
- Dinah, si tu ne te tais pas immédiatement, je te fais manger ce téléphone.
- Qui est insupportable ? demande Lauren en me regardant droit dans les yeux.
- On se demande bien, dis-je en lui rendant son regard.
- Personne, personne, fait Dinah pour calmer le jeu. Enfin, parfois, on se demande... Enchantée, moi c'est Dinah. Tu dois être Lauren j'imagine, j'ai beaucoup entendu parler de toi.
- Dinah, tu es morte, soufflé-je entre mes dents.
- Ah oui, je me demande bien par qui..., lâche Lauren en me fixant de nouveau.
Une étrange lueur passe dans ses yeux, quelque chose de glacé qui me fait mal. Puis, le visage souriant, Lauren tend la main à la blonde diabolique.
- Moi, c'est Lauren. Tu as fait bon voyage ? demande-t-elle, charmante.
- Excellent ! s'écrie Dinah tout en poursuivant son étude détaillée du corps de Lauren. Et je ne regrette pas d'être venue ! ça vaut le détour... Je parle de la maison et de la piscine, bien entendu.
Lauren fait mine de ne pas saisir le double sens.
- J'espère que ça te plaira ici. Si tu as besoin de quelque chose, fais comme chez toi.
Elle a adopté un ton très sympa qu'elle n'a jamais utilisé avec moi. Quelque part entre la copine modèle et la meuf hyper serviable.
- A plus ! lance-t-elle en s'éloignant, sans un regard pour moi.
- Oui, c'est ça, à plus tard, grogné-je, vexée qu'elle fasse mine de m'ignorer.
Elle ne répond rien, et ça m'énerve encore plus.
Lauren se dirige vers la grange. Dinah ne se prive pas de lui reluquer les fesses, que son short met bien en valeur, il faut le dire. Tout juste si elle ne la siffle pas.
- Le côté pile vaut bien le côté face, s'écrie-t-elle un peu trop fort à mon goût. Elle va où, là, dans cette tenue scandaleusement sexy ?
- Elle s'entraîne à la boxe. Il y a un sac de frappe dans la grange.
Dinah fait mine de tomber de son transat.
- De la boxe. Oh mon dieu ! Tu veux dire que cet avion de chasse se bat, sur un ring, avec d'autres avions de chasse de son espèce ? Je comprends pourquoi tu n'as pas bronzé, si les meufs sont toutes comme ça ici. Ça ne te laisse aucune chance auprès des mecs.
- Là, elle va juste s'entraîner, ronchonné-je.
- Et tu l'as déjà vu sur un ring ?
- Une fois, dis-je en piquant un fard que Dinah a la bonté de faire semblant d'ignorer.
A moins qu'elle n'ait une idée derrière la tête...
- J'aimerais que tu m'expliques un truc... Pourquoi on dirait que vous avez 12 ans toutes les deux ?
- On peut parler d'autre chose que de cette nana ?
- Tu veux dire d'autre chose que ta sœur ?
- Arrête, Dinah, ce n'est pas ma sœur.
Dinah se marre, mais je commence à me sentir mal à l'aise.
- C'est marrant, t'es toute rouge, on dirait que tu es devenue allergique au mot « sœur « ...
Je reprends une gorgée de cocktail en faisant des grands « slurp » avec ma paille. A présent, je me sens terriblement mal.
- Dinah, j'ai couché avec Lauren. Deux fois.
J'ai balancé ça d'un coup, d'une voix blanche qui m'effraie moi-même. C'est sorti tout seul. Dinah ne rit plus du tout, et elle reste bouche bée. A peine si elle n'en lâche pas son cocktail.
Le reste vient tout seul.
- J'ai essayé de résister, mais je n'ai pas pu. C'est comme si on ne pouvait pas faire autrement... On est attirées l'une par l'autre comme des aimants. Et puis on a franchi l'interdit. C'était ma première fois, tu sais. Et c'était merveilleux.
Pendant que j'ai parlé, je n'ai pas osé affronter le regard de mon amie. J'ai honte. Mais pourtant, je continue mon récit. Je ne peux plus m'arrêter. J'ai besoin de tout lui confier. Je ne peux plus garder ça pour moi. Matthew, Lucy, la fête sur la plage, la moto, la salle de boxe... Je lui raconte tout.
Dinah écoute, ouvrant de grands yeux.
- Depuis que je suis arrivée ici, c'est les montagnes russes. On passe notre temps à se fuir et à se chercher. Seulement, il y a deux jours, Sofia nous a vues nous embrasser. Ça l'a mise dans tous ses états. Alors j'ai décidé que nous ne pouvions pas continuer. Je ne peux pas faire ça. Je vais tout perdre... Mais depuis, Lauren m'ignore, et ça me rend folle, c'est pire que tout. Je suis complètement perdue, Dinah.
- Pourquoi tu ne m'en as pas parlé, Mila ? demande-t-elle doucement, tu as dû te sentir tellement désemparée...
- J'avais honte ! J'avais peur que tu ne trouves ça dégoûtant, immoral !
- Comment peux-tu panser ça de moi ? réplique-t-elle un peu vexée.
Une ombre passe sur son visage. Elle avale une gorgée de cocktail, comme pour digérer tout ce que je viens de lui dire, puis elle se tourne vers moi, l'air préoccupé.
- Tu crois vraiment que j'en ai à faire quelque chose que ce soit une fille ? Et que je ne sais pas faire la différence ? Lauren a déboulé dans ta vie comme ça. Vous n'avez rien fait de mal. Vous n'avez aucun lien de sang !
- Mais tu as dit toi-même que c'était ma sœur !
- Pour te charrier, Mila ! Parce que j'ai vu que ça t'agaçait ! Mais si j'avais su... excuse-moi, je ne voulais pas te mettre mal à l'aise ! Je sais bien que vous n'êtes pas sœurs ! Qui peut penser une chose pareille ?
- Clara et mon père ! Sœurs, famille. Ils n'ont que ces mots à la bouche. Alejandro et Clara veulent à tout prix que nous soyons une grande famille.
- Il faut leur parler, non ? Le tournant ne sera pas facile à négocier...
- Il n'y a plus rien à négocier, Dinah, dis-je tristement. Je me suis fait une promesse quand nous nous sommes fait surprendre par Sofia. Je vais garder mes distances avec Lauren. Je ne pourrai jamais la considérer comme ma sœur, mais je ne veux pas tout perdre. Me faire virer de cette famille, c'est un risque que je ne veux pas prendre.
Dinah hoche la tête, perplexe.
- Là, je te souhaite bonne chance.
- Pourquoi tu dis ça ?
- Parce qu'il faudrait être aveugle pour ne pas voir que t'es complètement raide dingue de cette meuf. Et franchement, je te comprends...
- Non mais qu'est-ce que tu racontes ? Je ne suis pas du tout amoureuse.
Un sourire malicieux passe sur le visage de Dinah.
- Ce n'est pas moi qui ai prononcé le mot...
- Arrête de sourire bêtement, Dinah, on est attirées l'une par l'autre, c'est tout.
- Je l'ai senti dès la première seconde...
- Je ne suis pas amoureuse.
- Comme c'est touchant... Désolée, Mila, mais je te connais depuis longtemps. Et tu le caches aussi mal qu'une baleine qui tenterait de se planquer derrière un coquillage.
Je termine bruyamment mon cocktail, le regard sombre.
Mince, ça se voit tant que ça ?
- Pas la peine de faire cette tête de condamné à mort, Mila ! Bon, c'est vrai, vous prenez un risque. C'est loin d'être simple, cette histoire. Mais tu ne devrais pas culpabiliser. Je sais que c'est facile à dire, mais tu devrais te laisser aller à l'instant, essayer de profiter de ce qui vous arrive. C'est assez rare pour que vous vous donniez une chance. Ce n'est pas non plus la fin du monde. On en connaît d'autres à qui c'est arrivé, et il paraît que c'est plutôt chouette. De toute façon, c'est normal que ça fasse des étincelles, avec vos caractères de fauves...
Après avoir vaguement mimé une espèce de combat de tigres, Dinah remet ses lunettes de soleil en souriant.
Je me rends compte qu'elle a raison. Je suis amoureuse de Lauren, même si j'ai refusé de mettre un mot sur ce que je ressentais. Mais une chose me tourmente. Si Dinah l'a deviné tout de suite, est-ce que d'autres personnes pourraient s'en douter ? Et elle, que ressent-elle ? Est-ce que je suis la seule à me consumer d'amour ?
- Ouais. Ce n'est pas gagné..., murmuré-je.
On entend les coups de Lauren contre le sac de frappe. J'imagine son corps dans l'effort, sa puissance, sa douceur aussi...
Vraiment pas gagné.
- Qu'est-ce que tu dirais d'un tour en ville, pour se changer les idées ? lance Dinah.
- Excellent, m'écrié-je en bondissant de mon transat.