Camila
Le lendemain, je me lève avant le jour et m'installe dans la cuisine, pour coincer Lauren. Je veux la voir, lui parler, m'assurer qu'elle va bien. Je crois que je me suis endormie sur la table lorsque je me réveille en sursaut. Lauren ! Elle se tient à quelques mètres de moi, mais dès que j'ouvre les yeux, elle grommelle un bonjour et prend la fuite. Elle est là depuis combien de temps ? Elle me regardait ? Pourquoi ne pas m'avoir réveillée !
- Lauren ! Attends !
Trop tard. Elle est partie. La seule chose que j'ai le temps de voir, c'est qu'elle a des cernes énormes sous les yeux.
L'après-midi s'étire lentement, morose. Chacun digère les événements de la veille dans son coin. Je me suis installée au soleil, dans un transat, comme pour finir de sécher complètement. Sofia et Léo ne me quittent pas d'une semelle. Clara vient régulièrement me demander si tout va bien. En réalité, j'aurais préféré que ce soit Lauren qui prenne de mes nouvelles... Or elle a disparu, comme elle sait si bien le faire. Est-ce qu'elle va bien ? Je me repasse plusieurs fois le moment où elle m'a emmenée à l'hôpital. Je me rejoue nos mains qui se frôlent des dizaines de fois. Nos visages qui se rapprochent des centaines de fois. Le baiser que nous avons failli échanger me laisse un goût de frustration plus fort encore que les autres fois. Plus fort que les mauvais souvenirs de la noyade...
J'ai failli me noyer, et c'est le baiser avorté qui me torture...
Cette fille me rend complètement dingue.
Je suis tirée de mes pensées par des éclats de voix venant du salon. Je pense d'abord à une énième engueulade, puis je comprends que c'est Matthew qui téléphone. Mon père explose en reproches, puis je l'entends accepter les excuses du jeune homme, non sans l'avoir traité au moins dix fois d'inconscient. Il sort ensuite et marche dans ma direction.
- Matthew souhaite te parler, annonce-t-il en tendant le téléphone.
Je refuse, très étonnée que mon père ne lui ait pas raccroché au nez.
Comment se fait-il que le monde entier soit excusable à ses yeux, sauf Lauren ?
Le soir, je suis sur le point de m'endormir lorsqu'on gratte à ma porte. Elle s'entrouvre. Une masse bondissante saute sur mon lit, c'est Léo. Toujours de bonne humeur, lui, quelle que soit l'heure du jour ou de la nuit et quelle que soit l'ambiance de la maison. Il me salue à grands coups de langue, comme si nous avions été séparés pendant deux siècles.
- Léo, reviens ! Tu vas réveiller Camila, fait la petite voix de Sofia.
Je souris.
- Je suis réveillée, Sofia, dis-je en allumant la lumière. Entre !
- Je voulais juste voir si t'étais réveillée, parce que... j'ai peur...
Sofia s'approche.
- Qu'est-ce qui te fait peur ? Tu veux rester ici ?
- En allant prendre un verre d'eau à la cuisine, j'ai entendu Lauren crier, dans sa chambre.
- Elle a peut-être fait un cauchemar, dis-je songeuse.
- Ce n'est pas la première fois, tu sais... On dirait qu'elle se débat. Tu crois qu'elle a peur des monstres ? Il y a peut-être vraiment des monstres sous son lit, si ça se trouve...
- Sof', tu sais bien que ça n'existe pas, les monstres... Tu veux qu'on vérifie ensemble sous ton lit ?
La petite secoue la tête.
- Non, moi je sais qu'il n'y en a pas sous mon lit. Mais tu pourrais peut-être la rassurer, toi, comme tu fais pour moi ?
- Je lui en parlerai, dis-je en essayant de ne pas rougir.
De toute façon, pour l'aider, il faudrait déjà que je sache de quel genre de monstres elle a peur. Mais comment pourrais-je l'aider si elle refuse de se laisser approcher ?