Camila
– Camilaaaaa !
Sofia se jette dans mes bras, malgré le rappel à l'ordre de notre père qui vient à son tour d'entrer dans la chambre.
Mon cœur bat à m'en casser les côtes, et cette fois, ce n'est pas la proximité de Lauren qui m'affole, c'est l'idée que nous avons failli nous faire surprendre.
Il était moins une. Heureusement que Alejandro passe son temps à ronchonner et que nous l'avons entendu arriver de loin, sans quoi, nous étions pris sur le fait...
Lauren aussi a eu la trouille, et heureusement qu'elle a eu le réflexe de faire un bond en arrière, sans quoi... J'ose à peine y penser. Je me laisse retomber dans mon lit.
Ça commence à faire un peu trop d'émotions fortes...
Ma petite sœur me serre à m'étouffer, et je vois quelle fait un gros effort pour ne pas pleurer. Je l'étreins moi aussi, en lui répétant que tout va bien, mais j'ai du mal à ne pas me laisser gagner par son émotion.
- Nous sommes venus dès que Lauren nous a prévenus ; comment tu te sens ? demande Clara, visiblement très inquiète.
Lauren ? C'est Lauren qui les a prévenus ? Je lui jette un coup d'œil pour la remercier. Elle s'est laissée tomber sur une chaise, dans un coin de la chambre, comme pour mettre le plus de distance possible entre nous. Son visage est un masque indéchiffrable, au point que j'en viens à douter de ce qui vient de se passer. Est-ce que j'ai rêvé ou est-ce qu'on vient de partager quelque chose de très fort ? Elle lève alors les yeux vers moi et un léger sourire déçu se dessine sur son visage, me confirmant que je n'ai pas déliré.
Je suis touchée que Clara, Sof' et mon père soient venus... Mais je n'aurais pas été contre avoir un peu plus de temps en tête à tête avec Lauren... Notre rapprochement a été coupé net. Et je ne parle pas que du baiser. Elle semblait enfin sur le point de me parler ! Maintenant, je suis sûre que tout le travail d'approche est à refaire !
Je ne vais tout de même pas avoir un nouvel accident de ski nautique...
- Camila, comment tu te sens ? demande Clara d'une voix douce.
- Ça va, dis-je. J'ai eu peur, mais je m'en tire bien.
- Sofia, ne lui saute pas dessus comme ça, laisse-la respirer, chuchote-t-elle.
Je la rassure d'un geste et garde ma petite sœur dans mes bras. Elle est paniquée et il lui faut de longs câlins pour se calmer.
- Vous faisiez quoi, exactement ? demande soudain mon père d'un ton inquisiteur.
Je sursaute et jette un regard paniqué à Lauren. Heu... comment ça, on faisait quoi ? Je pique un fard. On ne s'est même pas embrassées !
- Je... Heu... Nous... Rien !
- Rien ? L'infirmière nous a dit que tu as failli te noyer ! Comment c'est arrivé exactement ? C'était encore un jeu débile dont seul Lauren a le secret ?
- Un jeu débile ? Tu te fiches de moi ? répond Lauren d'un ton sec. J'ai passé l'âge des jeux débiles.
Lauren et Alejandro sont dans la même pièce depuis moins de trois minutes et déjà, un orage se forme. Et pourtant, je respire. Ouf ! Je faisais fausse route. Mais je vois bien tout ce que la situation a d'intenable. Mon cœur manque de lâcher toutes les secondes !
Mon père a le visage fermé. Je ne saurais dire s'il est inquiet ou simplement agacé d'avoir eu à se rendre à l'hôpital de façon imprévue, chamboulant ainsi son emploi du temps millimétré.
- Mais qu'est-ce que tu as dans le crâne, Lauren !
La trêve n'aura duré que quelques secondes. Une fois les premières effusions passées, mon père a compris que je m'en tirais bien, avec plus de peur que de mal, et il ouvre le feu. Avant même de connaître les circonstances exactes de l'accident, il tire à vue. Et naturellement, il s'en prend à Lauren. Les mâchoires crispées, Lauren n'a pas répondu à mon père. Elle semble avoir besoin de toute sa force pour ne pas exploser. Et je la comprends.
- Si quelqu'un est responsable c'est moi, dis-je pour venir en aide à Lauren.
- C'est Matthew ! rectifie Laure en me regardant droit dans les yeux. Et je n'aurais jamais dû te laisser partir avec lui.
- Un accident, ça ne te suffit pas ? Il faut que tu risques la vie des autres ? Et la tienne, en jouant les sauveteuses en mer ?
Je ne comprends rien. De quoi il parle ? C'est quoi son problème ?
- Lauren a été parfaite ! Elle m'a sauvée !
Alejandro ne semble pas avoir entendu ce que je viens de dire. Il continue de fixer sa belle-fille, attendant manifestement une explication de sa part. Après avoir jeté un regard sombre à mon père, Lauren baisse les yeux, la mâchoire crispée, et se masse nerveusement le genou.
- Et tu l'as laissée partir avec Matthew, sachant qu'elle ne sait pas faire de ski nautique ? reprend mon père, ignorant ma remarque. On ne peut vraiment faire confiance à personne, ici !
Ohé ! Je suis là.
- Je suis partie faire du ski nautique avec Matthew ! J'ai pensé que je me débrouillerais. Je me suis trompée. Lauren n'y est pour RIEN !
J'ai crié un peu plus fort que je ne l'aurais voulu.
- Tu entends ? Camila est assez grande pour choisir ses fréquentations, souffle alors Lauren sans me quitter des yeux.
Le regard de Lauren est devenu très sombre quand j'ai prononcé le prénom de Matthew. Clara s'interpose.
- Stop ! On arrête tout, là. C'est n'importe quoi. On est à l'hôpital, pas sur un champ de bataille ! Camila n'a rien, c'est l'essentiel. Lauren, tu lui as sauvé la vie. Je te remercie du fond du cœur, c'est très courageux de ta part.
Sa voix tremble légèrement, son émotion est sincère. Lauren hoche la tête. Sofia se précipite dans ses bras.
- Tu as sauvé Camila parce que t'es trop forte, Lauren ! Moi je suis contente que tu aies sauvé ma sœur.
- Moi aussi, je suis contente d'avoir sauvé ta sœur, souffle Lauren en ébouriffant les cheveux de la petite.
- Nous te remercions tous, ajoute alors Clara un peu plus fermement en fixant son mari.
- Remercier une irresponsable ? Je ne pense pas, non. Jamais tu ne te soucieras des conséquences de tes actes ?
Si elle attendait un mot aimable de la part de mon père, c'est raté. Je me demande bien ce qui s'est passé, pour qu'il lui en veuille autant.
Lauren soupire, elle pose les coudes sur ses genoux et se prend la tête entre les mains. Son attitude, empreinte de souffrance et de lassitude, me fait de la peine.
- Lauren a plongé sans hésiter pour me sauver, protesté-je. Et elle est traitée comme un assassin qui aurait tenté de me couler ? Je ne comprends rien ! C'est quoi le problème, à la fin ! C'est complètement injuste ! –
- Ne te mêle pas de ça, Camila. En plus d'être écervelée, tu es une gosse incontrôlable.
La remarque me tombe sur la tête comme une brique de 100 kilos. Une flamme de colère s'allume dans les yeux de Lauren. –
- Tu te prends pour qui, Alejandro ? Est-ce que tu te remettras en cause un jour, toi ? Est-ce que tu aurais plongé pour aller la chercher ? Non ! Tu es plutôt du genre à donner des ordres et à engueuler ceux qui ne se bougent pas assez vite, mais te jeter à l'eau, jamais !
Alejandro, surpris par la riposte, ne dit rien. Il n'est pas habitué à ce qu'on le rembarre. Clara laisse tomber ses bras le long de son corps, en signe de capitulation, et son visage se teinte de tristesse. Sofia est revenue se réfugier dans mes bras. Elle se fait toute petite. Elle ne comprend pas pourquoi tout le monde se dispute. Moi non plus.
- Est-ce qu'il t'arrive de faire face à tes responsabilités ? Tu ne crois pas que c'est ta façon de voir les choses qui cloche sérieusement ? poursuit Lauren.
- Je t'interdis, gronde mon père.
Sofia fond soudain en larmes dans mes bras, et les deux se taisent aussitôt. Clara en profite pour reprendre la main.
- Fin de la discussion. Alejandro, je suis désolée, mais tu vas trop loin. En plus, tu fais pleurer Sofia. Ça suffit ! La porte est ouverte, tu peux sortir d'ici, si tu le souhaites. Mon père semble ébranlé par la menace de sa femme.
- Camila était partie faire du sport. Tu ne peux pas d'un côté lui dire qu'elle ne se bouge pas assez et de l'autre t'emporter parce qu'elle tente de dépasser ses limites. Elle a eu un accident par la négligence de Matthew, et Lauren l'a sauvée. Tu devrais être fier d'elle. Si quelqu'un dans l'affaire est à blâmer c'est Matthew, pas Lauren. Elle a sauvé sa sœur !
Sa sœur ! Nouvelle brique de 100 kilos sur le crâne.
J'aimais bien le début de la mise au point. La fin est désastreuse...
Lauren se lève d'un bond et se dirige vers la porte. Elle boite tant que j'en ai mal au cœur. Quand il voit sa belle-fille souffrir ainsi, Alejandro se lève comme un ressort et tend un bras vers Lauren. J'ai l'impression qu'il voudrait dire quelque chose, mais les mots ne sortent pas, comme s'il ignorait comment rattraper la situation. Lauren pose la main sur la poignée. Clara lance un regard appuyé à mon père, pour l'encourager à parler, mais il se tait.
Avant de quitter la pièce, Lauren me jette un regard, tout à fait celui de la bête aux abois. On dirait que plus rien n'existe que sa colère et sa douleur.
- Je regrette que tu sois à la place de mon père ! lâche-t-elle en fixant mon père droit dans les yeux.
La remarque claque dans l'air comme un coup de fouet et tout le monde reste bouche bée. Terrassé, mon père se laisse tomber sur la chaise que Lauren vient de quitter. À quoi s'attendait-il ? À ce que Lauren encaisse sans broncher ? Un mouvement d'indignation gronde en moi. Évidemment que ça allait se terminer comme ça ! Clara, elle, est bouleversée et ne cherche pas à le cacher.
En voyant Lauren quitter la chambre, je me demande si ses paroles n'ont pas un double sens. Mon cœur bat à cette idée. Ce que regrette Lauren, c'est peut-être aussi le prétendu lien de parenté qui nous a empêchés de nous embrasser tout à l'heure alors que nous en mourions d'envie. Cette chaîne qui nous force à lutter contre l'étrange attirance qui s'empare de nous dès que nous nous croisons. La même que celle qui m'empêche de lui courir après.
Alejandro s'est affaissé sur sa chaise. Clara semble désemparée. Un lourd silence plane sur la chambre. Nous entendons les pas de Lauren, qui s'éloigne en boitillant. Elle s'est blessée en me sauvant la vie et je ne peux même pas l'aider. De la chambre, nous entendons une infirmière lui proposer de l'examiner. Elle refuse. Puis les bruits de pas et les voix se taisent. Lauren a quitté l'hôpital. Pour aller où ? J'ai du mal à refouler mes larmes.
Soudain, mon père lève les yeux vers moi.
- Je suis désolé, Camila, je n'aurais pas dû te dire ça. Tu es loin d'être une écervelée incontrôlable, dit-il d'une voix blanche.
Que se passe-t-il, là ? Mon père est en train de s'excuser ?
Heureusement que je suis allongée sur un lit, parce que sinon, je serais tombée par terre.
- Je n'ai jamais su exprimer mon inquiétude. J'ai eu peur pour toi, voilà. Et peur pour elle, ajoute-t-il.
Mon père fait tout pour maîtriser ses sentiments, je le vois bien, mais il s'excuse avec une franchise qui me touche. D'autant que j'ai l'impression que l'aveu lui demande un effort surhumain.
Clara hoche la tête et lui adresse un sourire soulagé.
Mon père se lève.
- Je vais régler les formalités administratives et voir avec le médecin si tu peux sortir.
À partir du moment où nous quittons l'hôpital jusqu'à l'heure du coucher, Sofia ne me lâche plus. Le soir, elle vient se réfugier sur mon lit, avec Léo. Clara la laisse faire, moi aussi. Après trois lectures du livre offert par notre mère, elle s'endort à côté de moi, après m'avoir fait promettre de ne pas la porter dans son lit. Je vois bien qu'elle a été très éprouvée par cette journée et qu'elle a besoin de rester avec moi. Ça me convient tout à fait.
Lauren, elle, ne s'est pas montrée de la soirée.
Je guette le bruit de sa moto, le son de ses pas sur les graviers. Rien. Évaporée. Disparue. Je suis inquiète. Où est-elle passée ? Comment va-t-elle ? Est-ce qu'elle s'est faite examiner, au moins ? Et si elle était repartie à New York sans rien dire à personne ?
Même l'entendre se disputer avec mon père me rassurerait.