J'ai longuement pensé à toute cette histoire et à ce dans quoi on allait mettre les pieds et si Nick semblait déterminé à poursuivre, je reste septique en me demandant si vraiment c'est une bonne idée. Je n'ai jamais été très friand de ce genre de chose ni un grand adepte du fait de me mêler de la vie des autres, car tant que je réussissais à vivre la mienne, il était hors de question que je me préoccupe de ce qui se passe autour de moi. Pourtant Nick est un ouragan. Il m'est passé sur le corps, et ce de bien des façons et à bien des égards et continue malgré tout à m'entraîner avec lui. Je le suis aveuglément sans trop savoir où mettre les pieds et au fond, je me demande si je veux réellement savoir sur quoi je marche.
Tout ce que je sais, c'est que ça pue l'emmerde à plein nez.
« Tu as une sale gueule, Tobias. »
Je l'emmerde. Il a forcément dû dormir sur ses deux oreilles lui. Rien ne le dérange, rien ne le perturbe. De toute façon, il a la tête plus creuse qu'un puits. J'entends l'océan quand je colle mon crâne au sien. Il ne pense certainement pas à toutes ces choses ou du moins, il n'a pas l'air d'être perturbé plus que ça.
« Tu as mal dormi ?
— Je n'ai carrément pas dormi du tout.
— Pourquoi ? »
Si je lui explique, il montra sur ses grands chevaux et ça partira dans tous les sens. Hors de question.
« Mes pensées furent consacrées à l'idée qu'une certaine personne profite de mon sommeil pour venir me faire de drôle de choses. »
Au moins, ça a le mérite de le faire sourire tandis qu'il épluche une banane sous mon nez.
« Tu sais bien que ce n'est pas mon genre de profiter des moments de faiblesse d'autrui. J'aime quand il y a un minimum de résistance. »
Dit-il en me regardant avec son petit air salace tout en croquant sa banane.
« Tu veux une banane ?
— Ça ira... »
Je connais l'image de la banane, je ne suis pas dupe.
« Donc ? C'est quoi le programme du jour ?
— Rachel et moi avons à faire aujourd'hui. Je ne rentrerais que ce soir.
— Où est-ce que vous allez ?
— Oh tu sais, la routine, juste des bricoles à vérifier. »
Le revoilà avec ça. Je déteste quand il me cache des choses, car je sais pertinemment quel rapport ça a avec tout le reste. Il refuse de me parler de ses plans comme s'ils risquaient de m'échapper à un moment donné.
« Si je comprends bien, je suis tout seul... Toute la journée ?
— Ne fais pas de bêtises surtout !
— Et risquer la punition ? Hmmm, je ne sais pas, je suis tenté pour le coup. »
S'il décide de se la jouer en solo de son côté, alors autant que j'en fasse de même.
Après tout, je ne peux pas me permettre de vivre à son crochet et à ses dépens tout le reste de ma vie. Je ne suis toujours pas à l'aise à l'idée de me faire entretenir comme un gigolo... même si théoriquement, la limite entre escorte-boy et gigolo est mince.
« Je devrais pouvoir trouver de quoi m'occuper dans cette vaste demeure. »
Même si je ne compte pas rester là. Il me suffit d'attendre qu'il s'en aille pour quitter le nid à mon tour. Après tout, ce n'est pas comme s'il allait le savoir, Rachel part avec lui donc j'aurai plus ou moins la paix sur ça. Je n'aurai personne sur le dos et personne pour traquer le moindre de mes faits et gestes.
À moi la liberté ! Viva la Liberta !
J'ai une petite idée d'où aller, ça tombe bien.
« Tobias ?
— Salut Carl ! Ça fait un bail, hein ? T'as cinq minutes à m'accorder ? »
Si je veux des infos sur ce monde de bourgeois auquel j'ai trop longtemps tourné le dos, il est temps de frapper à quelques portes. Carl est la commère de l'école, la moindre info, le moindre détail croustillant, il le sait.
« Je t'en prie, entre. »
Je n'ai pas mis les pieds sur le campus depuis ce qui me semble être une éternité et honnêtement, rien ne me manque. Je suis content d'avoir été viré pour seule faute de ne plus être boursier.
« Je vois que tu as toujours toutes mes affaires. »
Dans un coin de la pièce, je reconnais tous les cartons que je lui avais demandé de garder en attendant que je vienne les récupérer. C'est un brave type Carl, il a gardé sa promesse.
« Tu viens les récupérer ?
— Non... Pas tout de suite, mais ça ne saurait tarder ! Dis-moi, j'ai besoin d'un service de ta part, mais promis, je te revaudrais ça. »
Quelque part, j'ai l'impression d'abuser de lui. Je devrais lui dire pour Nick et son affaire. Je devrais lui dire que j'ai été l'escorte-boy de sa mère. Ça me fait de la peine de lui cacher tout ça, il ne le mérite certainement pas.
« Tout ce que tu veux ! Vas-y, demande. »
Et le fait qu'il ne cache pas son enthousiasme à ma demande me rend encore plus nerveux. J'ai réellement l'impression de profiter de sa compagnie. Mais bon, j'ai appris que dans son monde, on n'a rien sans rien et que parfois certaines relations valaient le coup de les préserver uniquement pour leur côté pratique. Carl est mes yeux et mes oreilles dans cette école d'élites.
« Est-ce que si je te donne deux noms, tu peux chercher des infos pour moi ?
— Tu veux que je me renseigne pour toi ? Ouais si tu veux... Je promets rien, mais je peux essayer de voir.
— Merci, tu me sauverais la vie ! T'as une feuille et un stylo, je te les écris ? »
Zack et Marley feront moins les marioles longtemps quand j'aurai déniché quelque chose sur leurs deux faces de babouins.
« Voilà. »
Carl regarde le bout de papier et me regarde en arquant un sourcil. Sans doute s'interroge-t-il sur le fondement de ma demande, mais j'aimerais qu'il ne me pose pas de questions. C'est déjà bien assez difficile à gérer tout ce bordel.
« Je vais voir ce que je trouve.
— Toutes informations peuvent m'être très utiles, tu sais ?
— Pourquoi ? Tu t'es foutu dans le pétrin encore ?
— Tu sais bien que je vis dans les emmerdes !
— Ou pas. Pratiquement toute l'école sait que tu traînes dans les pattes de Nick. Tobias... Tu crois vraiment que c'est un choix judicieux ? Je veux dire, si tu veux, je connais des gens, je peux te trouver un petit boulot et un coin à toi. »
Quitter Nick ne m'est pas envisageable. Pas pour l'instant. C'est vrai que des fois j'y pense et je me dis que ça serait une bonne chose, mais laisser Nick seul ? Après tout ce que je sais sur lui ? Non. Je veux l'aider, même si ça me fait flipper à mort son délire de revanche sur sa famille de timbrés.
« C'est gentil Carl, mais Nick et moi... c'est compliqué. »
J'ai besoin de lui autant qu'il a besoin de moi.
« Mais qu'est-ce que tu fais au juste avec lui ? La dernière fois, je t'ai vu dans le hall de cet hôtel et...
— Ah ça ? Disons que j'étais là... pour voir du monde ! »
Je ne peux décemment pas lui dire « je tenais compagnie à ta mère ». Vous imaginez sa réaction ?
« En tout cas, tiens-moi au courant pour ce que tu trouves.
— Compte sur moi. Et fais-moi plaisir, Tobias...
— Quoi ?
— Ne laisse pas Nick te dicter tes choix. »
Sa réflexion a le mérite de me faire éclater de rire. Je dirais que j'ai mis un certain bout de temps, mais j'ai enfin trouvé sur quel bouton appuyer pour faire de Nick mon propre pantin. Forcément, le chantage sexuel, ça aide. Maintenant que je sais comment faire, je ne me prive pas des occasions qu'il me tend. C'est limite même trop facile.
En quittant la chambre de Carl, j'aperçois la voiture de Nick au loin et me jette dans le premier buisson que je trouve sur mon passage.
Qu'est-ce qu'il vient faire sur le campus ? Il ne vient certainement pas en cours.
Je l'observe d'un œil attentif et le suis du regard jusqu'à l'entrée du bâtiment principal. D'ailleurs, il se retourne si brusquement que je manque de peu de me faire débusquer. Il ne manquerait plus que ça.
S'il ne venait que pour des formalités, il me l'aurait dit, inutile de me cacher le fait de venir là... Alors pourquoi ne me l'a-t-il pas dit ?
« Aaaah ! J'ai trop de questions. »
Je meurs d'envie de savoir ce qu'il fabrique ici, mais plus je reste derrière mon buisson, plus je suis susceptible de tomber sur quelqu'un, c'est donc à contrecœur que je décide de m'en aller le plus loin d'ici.
Le soir, en entendant la voiture se garer, je me jette sur le canapé en prenant le premier livre qui me tombe sous la main tandis que je le vois arriver dans le salon peu de temps après.
« Salut ! C'était bien ta journée ? »
Il ne me répond pas. Au lieu de ça, il attrape un fauteuil, le pose en face de moi, se jette dedans et commence à défaire les boutons de sa chemise tout en me regardant avec son air le plus sérieux.
« Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?
— Il faut qu'on parle toi et moi. »
Pourquoi est-ce que ça sonne comme si j'allais recevoir la fessée de ma vie ?