La Guilde Des Ombres

By LucilleCh

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A quinze ans à peine, Lyana est la meilleure tire-bourse de la Guilde des Ombres. Alors qu'elle se voit propo... More

Bienvenue
Prologue
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6

Chapitre 7

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By LucilleCh

Elle retrouva rapidement son chemin. En tant que voleuse, elle avait pu considérablement entraîner son sens de l'orientation. La timidité menaça de la submerger en voyant plusieurs jeunes gens s'occuper des chevaux et des animaux, mais elle ne pouvait pas se laisser aller à de tels sentiments. Il fallait qu'elle trouve sa place chez les domestiques, qu'elle puisse écouter les ragots, ou du moins découvrir à quels moments elle pouvait se faufiler dans la demeure sans risquer d'être découverte.

Elle s'approcha d'une première personne pour lui proposer son aide mais cette dernière ne lui accorda qu'un soupir avant de se détourner. Même effet avec la seconde. En s'ouvrant à leurs émotions, elle détecta une forte défiance envers elle. Ils la rejetaient d'emblée. Lyana commença sérieusement à s'interroger : les serviteurs semblaient presque heureux ici, mais dès qu'elle s'approchait, leurs sentiments devenaient virulents. Elle se demandait si elle ne ferait pas mieux de retrouver Maceo malgré sa méfiance, lorsqu'un des chats qui pullulaient vint se frotter contre sa jambe. Elle se baissa pour le caresser, y trouvant un certain réconfort, lorsqu'une voix la fit sursauter.

— Les chats sont plutôt sauvages ici. C'est étonnant qu'ils s'approchent de quelqu'un pour réclamer des caresses.

Le garçon était plutôt jeune, mais souriant. Ses longs cheveux bruns étaient ramenés en une queue-de-cheval et son regard, brun également, pétillait. Contrairement à ses collègues, il était plus ouvert. Lyana se releva et répondit par un sourire poli.

— Ils ont l'air plutôt gentils, dit-elle.

Le garçon rit à la gorge déployée.

— On peut dire ça, oui, mais ce sont de vraies teignes parfois ! Regarde.

Il approcha sa main pour caresser le félin. Aussitôt, ce dernier fit le dos rond et feula. Lorsque le jeune homme enleva sa main, le chat poussa un dernier miaulement de protestation et s'en fut.

— Tu vois ?

Lyana s'esclaffa à son tour devant le regard dépité du garçon. Ce dernier lui tendit la main.

— Gonthier, je suis employé à l'étable. Je suis bien plus proche des chevaux que de ces chasseurs de rats. Et tu es ?

— Elina, employée pour nettoyer le deuxième étage de la demeure.

Gonthier haussa un sourcil mais ne cilla pas. Lyana, étonnée de ce léger changement suite à son annonce, sonda ses émotions. Il oscillait entre sympathie et méfiance, mais finit par choisir la première. Une pointe d'intérêt commença à germer en lui, mais bien loin du sentiment un peu pervers qu'elle avait déjà lu chez Cyrien. Consciente qu'elle enfreignait l'intimité du jeune homme, elle fit taire son pouvoir.

— Je comprends alors pourquoi tu traînes un peu. Pas de boulot l'après-midi tant qu'il n'y a personne pour occuper les chambres. Et tu as eu l'intelligence de ne pas embêter Diane en demandant du travail. Que comptes-tu faire ?

Lyana émit une petite grimace.

— Je pensais aider ici. Je n'y connais rien aux animaux mais il y a peut-être des choses simples que je peux faire !

Gonthier hocha la tête, appréciateur.

— C'est sympa. Normalement personne ne s'approche trop de nous. L'odeur, tu comprends ?

La voleuse fronça le nez. Elle n'avait pas fait attention à ces senteurs, mélange de paille humide, de crottin et de poils de bête. En réalité, elle l'avait même appréciée. C'était toujours plus agréable que les mauvaises odeurs qui agressaient son nez dans les bas-fonds.

— Ça ne me dérange pas. Et puis, j'aime les animaux.

— Parfait ! Alors suis-moi.

Le garçon l'amena dans un box. Voyant qu'elle ne savait pas s'occuper des chevaux, il lui apprit tout d'abord à s'en approcher et à les brosser pour enlever la poussière qu'ils portaient sur eux, en évitant de passer derrière pour ne pas recevoir un malencontreux coup de sabot. Puis il lui montra comment nettoyer un box, en sortant le cheval dans la cour pour remplacer la paille souillée par de la paille fraîche. Enfin, il lui enseigna les différentes manières de les nourrir et lui montra le tableau résumant les horaires de repas de chaque cheval, avec la quantité nécessaire pour eux.

En fin d'après-midi, lessivée par ce travail tout de même assez physique, Lyana prit congé de Gonthier.

— Repasse quand tu veux, lui indiqua-t-il. Encore un peu d'entrainement et tu nous serais d'une grande aide !

La jeune femme eut un sourire et, cahin-caha, parti vers les logements des serviteurs. Mais, en croisant un domestique qui fronça les sourcils, elle se souvint qu'elle ne devait pas sentir la rose après avoir manipulé du crottin pendant une paire d'heure. Finalement, elle prit dans sa chambre une tenue propre et se rendit aux bains.

Les bains n'avaient rien à voir avec ce qu'elle connaissait. Il n'y avait, en vue, aucune bassine ou tonneau de bois pour accueillir de l'eau, et aucun brasier pour la réchauffer. L'endroit comprenait deux sections, une pour chaque sexe, divisée en trois parties : la première comportait les vestiaires, dans lesquels étaient disposés un banc et une panière de linge ; La seconde, des douches communes avec de grands bacs d'eau froide en pierre et des savonnettes ; La troisième, enfin, de grands bassins taillés à même le sol en marbre remplis d'eau d'où s'échappait une épaisse vapeur.

Ne sachant comment s'y prendre, Lyana interrogea une blanchisseuse qui passait par là, vidant les paniers de linge sales. Cette dernière se pinça le nez et lui envoya un regard noir, mais lui répondit.

— Tu enlèves tes vêtements sales et tu les mets dans le panier. Tes vêtements propres restent sur le banc. Ensuite il faut te laver à l'eau froide avec la savonnette, hors de question que tu souilles les bains avec du crottin ! Après, tu peux aller dans les bains chauds. Interdit d'y aller en dehors de nos heures, ils sont destinés aux maîtres. Si je te vois traîner aux mauvais moments, j'en informerais Diane et crois-moi que la violence ne lui fait pas peur quand il s'agit d'inculquer les bonnes manières !

La voleuse se contenta de hocher la tête et de baisser les yeux en signe de soumission. Visiblement rassénérée par son obéissance apparente, la blanchisseuse lui adressa une petite tape sur l'épaule, tout en conservant la froide distance que chaque employé possédait envers Lyana.

— Allez, va te laver, tu en as besoin. L'eau des bains vient des sources chaudes sous la ville, une véritable bénédiction pour les muscles endoloris.

Elle retourna travailler, laissant Lyana seule. La voleuse, consciencieuse, suivit ses instructions à la lettre. Ayant l'habitude de l'eau froide, elle n'hésita pas à se laver avec ardeur, jusqu'à récurer ongles et cheveux, avant d'aller dans la salle des bassins.

Pudique, elle sursauta quand d'autres femmes la rejoignirent dans les bains. Ces dernières ne s'approchèrent pas d'elle, et se contentèrent souvent d'un coup d'œil inquisiteur et de chuchotements à leurs voisines en la voyant. Aucune d'elle ne partagea son bassin, et bien que cela vexa un peu Lyana, elle ne leur en tint pas rigueur. L'eau chaude, presque brûlante, la désarma d'abord puis, une fois son corps immergé, lui fit un bien fou. Elle massa doucement ses mollets, ses cuisses et ses bras, sans quoi elle savait qu'elle aurait d'horribles courbatures le lendemain. Elle serait bien restée des heures à tremper dans cette eau bienfaisante, mais les regards furtifs qu'on lui lançait, suivi de chuchotements au mieux curieux, au pire vindicatifs, la convainquirent de s'en aller rapidement.

Alors que la voleuse se séchait et se rhabillait dans sa cabine, elle s'assit un instant sur le banc et se prit le visage entre les mains. Par curiosité, elle avait utilisé son pouvoir dans les bains, mais n'avait ressenti que de l'animosité envers elle, sans aucune raison. A croire que tout le monde la connaissait et la jugeait, alors qu'elle n'était qu'une simple domestique. Que se passait-il donc ? Quel était le problème de cette demeure ?

En soupirant, elle sortit pour le dîner. Cette fois-ci, la table était remplie de monde, et les cuisines en pleine effervescence. Elle se servit du potage et alla s'asseoir rapidement à la seule place de libre : près de Maceo. Lui non plus ne semblait pas très apprécié.

Contrairement au midi, la table n'était pas seulement remplie de monde, elle était aussi couverte de plats complexes sur lesquels Lyana ne cessait de loucher. Le potage était excellent, mais toute cette nourriture avait l'air délicieuse et une fois de plus, elle mourrait de faim. Ses collègues s'en donnaient à cœur joie, n'hésitant pas à piocher dans le tas, mais elle ne savait pas si elle pouvait les imiter. La voyant hésiter, Maceo soupira et lui adressa enfin la parole.

— Ce soir, nos maîtres ont des invités. S'il y a des restes, on nous les met sur cette table. Fais-toi plaisir.

Lyana ne se le fit pas répéter deux fois. Elle n'avait jamais mangé de plats aussi bons, à la fois fondants dans la bouche et croustillants à souhait. Elle goûta de nombreux légumes dont elle ignorait l'existence jusque-là et se régala de redécouvrir le mélange sucré-salé, qu'elle détestait d'habitude.

Alors qu'elle se sentait enfin repue, prête à partir vers ses appartements, Maceo lui accorda un curieux regard.

— J'ai vu que tu as travaillé aux écuries cette après-midi, déclara-t-il.

— Oui, confirma Lyana, étonnée qu'il l'ait remarqué. Je n'aime pas être oisive.

Le jeune homme hocha la tête mais ne rajouta rien. En sondant ses émotions, Lyana capta une différence essentielle entre lui et les autres domestiques. Ils étaient tous distants avec elle, mais contrairement aux autres, Gonthier excepté, Maceo était méfiant, et non empli d'animosité. Elle aurait donc bien plus de facilité à se rapprocher de lui que des autres.

Une fois son estomac plein, la fatigue s'abattit comme une chappe de plomb sur les épaules de Lyana. Consciente qu'elle devrait se lever tôt et avoir l'entièreté de ses forces pour survivre à la journée du lendemain, elle alla directement se coucher. Le sommeil l'emporta au moment où sa tête se posa sur l'oreiller.

Elle ne dormit pourtant pas bien. Une énorme horloge se trouvait dans l'habitation, sonnant lugubrement chaque heure. Sans doute cela servait de réveil aux domestiques, mais Lyana n'était pas habituée et se réveillait donc chaque heure. A six heures du matin, elle se leva de son lit, encore fatiguée, et s'offrit une bonne séance d'échauffement. Ses muscles protestèrent, mais ses courbatures se révélèrent moins douloureuses qu'escompté. Sans doute l'effet des bains.

A six heures quarante-cinq, elle était dans les cuisines, prête à commencer sa journée. Maceo s'y trouvait, attablé devant un bol fumant. Il lui accorda un regard appréciateur avant de lui désigner la marmite. Le petit déjeuner était constitué de gruau aux raisins secs et d'une pomme. Moins appétissant que les mets du midi et du soir, mais nourrissant. Maceo semblait encore endormi, ce qui le rendit curieusement plus bavard que la veille.

— Normalement, les filles du second sont en retard. Je les fais donc travailler sans petit-déjeuner. C'est agréable d'avoir quelqu'un de discipliné pour une fois.

Lyana avala une cuillérée de gruau en fronçant les sourcils.

— Il y a eu tant de filles que ça pour le second étage ?

Maceo lui renvoya un regard étonné avant que son visage ne se referme. Ses émotions indiquèrent qu'il était en colère contre lui-même, ce qui surpris Lyana.

— Les filles... Changent souvent. A cause de la difficulté du travail.

La voleuse fut abasourdie de cette réponse. Nettoyer le second étage était certes physique, mais ne durait que la moitié de la journée. On était bien loin du travail complexe et exténuant des cuisiniers ou des autres domestiques. Pourtant, sentant que le sujet était trop sensible pour être approfondi, Lyana conserva le silence et n'utilisa plus son pouvoir sur lui.

Elle se plia aux exigences de Maceo toute la matinée. Ainsi, elle fut contrainte d'apporter le thé à maîtresse Alicia mais, contrairement à la veille, cette dernière ne lui prêta aucune attention. Une fois cette étape délicate effectuée, le domestique l'accompagna au second étage où il la regarda travailler sans un mot. Parfois, il corrigeait ses manières de faire, ou lui prodiguait un conseil, mais il restait la plupart du temps si silencieux que Lyana doutait parfois de sa présence dans son dos. Quelques fois, elle s'ouvrit à ses émotions mais, ne captant que de la distance, elle décida de ne pas insister.

Elle s'installa tout de même à ses côtés au repas de midi : il était moins désagréable que ces domestiques qui la dévisageaient avec une curiosité malaisante.

L'après-midi, elle la passa dans les écuries avec Gonthier. Le garçon était drôle et gentil avec elle, aussi décida-t-elle de ne pas lire en lui tant qu'elle ne poserait pas de questions sur sa mission.

Elle resta moins longtemps que la veille, cependant. La jeune voleuse passa aux bains rapidement, presque vides à cette heure-là, et réfléchit quelques instants. Elle serait bien allée à la bibliothèque, mais elle ne savait pas où elle se trouvait, et quelque chose d'inexplicable l'attirait au fond des jardins. Aussi attendit-elle quelques instants pour être sûre que les maîtres n'y seraient pas et elle se glissa entre les rosiers et les arbres couverts de bourgeons. L'air était doux, annonciateur du printemps, lui donnant une curieuse envie de flâner entre les fleurs, à la fois apaisée et triste. Mais elle ne se laisse pas aller à la mélancolie : pas question de croiser les gardes ou un domestique et donner l'impression qu'elle se pavanait comme les nobles. Elle savait où était sa place.

Lyana se dirigea rapidement vers l'objet de sa curiosité : le temple. La veille, malgré ses mots durs à l'encontre de ses collègues, Maceo ne lui avait pas laissé le temps de profiter des statues des Dieux.

Le temple, fait de pierres blanches, était très intimiste. Haut de deux mètres, seules deux personnes pouvaient s'y glisser en même temps pour y observer les statues. Lyana y pénétra et, d'instinct, compris qu'il fallait s'agenouiller sur un des deux coussins afin de prier. Comme elle ne savait pas comment s'y prendre, elle regarda donc juste les statues une par une.

Elle connaissait Yros. Bien que les bas-fonds n'aient aucune autre religion que celle de la survie, assez de contes et de légendes concernaient le Dieu des Dieux pour que la voleuse puisse l'identifier. Finn lui avait également présenté Gena, déesse des femmes et de la vie. Il y avait trois femmes dans le panthéon des Dieux, Lyana conclut que ce devait être celle au visage poupin, de longs cheveux cascadant sur ses épaules et un symbole étrange, semblable à un tourbillon, taillé au-dessus de son sein gauche. Les deux autres semblaient plus sévères.

En observant le reste des statues, quelque chose en elle s'éveilla, comme une détresse couplée à une colère immense. Elle avait à la fois envie de se pelotonner à leurs pieds et leur hurler dessus en les lançant au sol.

— Que fais-tu là ?

La voix la fit sursauter. Ses réflexes étaient si bien aiguisés qu'à peine avait-il fini sa phrase, Lyana était déjà debout et prête à fuir. Elle se détendit en voyant la dégaine bedonnante et le visage stupéfait de Maceo.

— Je... Vous... Tu... M'as dit que je pouvais venir prier ici, bafouilla-t-elle en essayant de se donner une contenance.

— J'étais loin d'imaginer que tu le ferais vraiment.

Son étonnement se lisait assez sur son visage pour qu'elle n'ait pas besoin de vérifier ses émotions. Lyana tenta de retrouver une contenance et baissa la tête.

— Les connais-tu seulement ? la questionna Maceo, comme pour enfoncer le clou.

Après sa surprise, voilà que la méfiance refaisait surface, plus forte qu'à l'accoutumé. Le ton qu'il employa mit la jeune femme sur les nerfs, si bien qu'elle en oublia sa prudence. Elle releva le regard et le plongea dans le sien, les mains sur les hanches.

— Je connais Yros et Gena, dit-elle d'une voix distincte. Je n'ai jamais eu la chance qu'on me présente les autres. Ça ne m'empêche pas de vouloir les remercier pour ce qu'ils ont fait pour moi en m'acceptant au sein de cette maison, et d'être curieuse vis-à-vis des autres.

Le domestique eu un petit sourire, fugace, avant de se reprendre.

— C'est ton droit, oui. Ils sont à la fois les créateurs de la vie et les gardiens de l'équilibre du monde.

Il lui présenta rapidement les dieux, mais la voleuse ne sut retenir leurs noms, à part Gena. Elle hocha cependant la tête et regarda les statues d'un nouvel œil. Elle n'était pas, et ne serait jamais, pieuse, mais quelque chose sur ces visages sévères lui rappelait un lointain souvenir, trop éphémère pour être attrapé, trop flou pour être compris. Elle semblait les connaitre, mais comment ?

La voleuse se reconcentra sur Maceo et lui adressa un sourire.

— Merci, dit-elle. Pourras-tu la prochaine fois me montrer le chemin de la bibliothèque ? J'aimerais en connaître plus sur la religion.

Il hocha la tête, encore un peu rigide.

— D'accord. Attends-moi dehors, je vais te montrer où se trouve la bibliothèque.

Lyana sortit du temple et, pour patienter, admira les plants de fleurs et l'odeur sucrée qui s'en dégageait. Elle avait déjà vu, au loin, plusieurs jardiniers s'en occuper. Un instant, elle se demanda comment cinq membres d'une même famille pouvait gagner assez d'argent pour se payer tant de domestiques. Le Faucon était riche, mais il avait à disposition une quantité impressionnante de voleurs qui reflouaient sans cesse ses coffres. Ici, les domestiques ne rapportaient aucun argent. Quel commerce pouvait être assez lucratif pour se permettre d'employer tant de gens ?

Elle n'eut pas le temps de creuser la question. Maceo ressortit du temple et lui fit signe de le suivre. Curieuse, elle décida de capter quelques-unes de ses émotions : il semblait plus apaisé, bien que toujours distant. Cela lui suffit pour le moment. Elle réussirait à l'approcher, elle en était sûre.

La bibliothèque se trouvait au rez-de-chaussée du bâtiment principal. Comme Lyana travaillait principalement aux étages supérieurs, elle n'aurait pas pu croiser la pièce avant.

— Tout comme les bains, la bibliothèque n'est ouverte qu'à certaines heures, débuta Maceo en la menant dans des couloirs de serviteurs qu'elle ne connaissait pas. Le matin, entre six heures et huit heures, et le soir aux heures de repas de nos maîtres et après leur couché. Nelly est toujours présente à ces heures-là pour s'occuper du bon fonctionnement de la pièce. C'est elle que tu dois voir pour emprunter quoi que ce soit.

Ils quittèrent les couloirs de service et tombèrent nez-à-nez avec une immense double porte en bois sculpté. Maceo poussa un des battants et la fit pénétrer dans la pièce.

A la guilde, la partie bibliothèque comprenait une dizaine d'étagères et quelques centaines d'ouvrages. Connaissant le prix des livres, Lyana avait trouvé cela déjà très impressionnant. Mais ça n'avait rien à voir avec ce qu'elle découvrit. Une pièce entière, de trois mètres de plafond, dont on ne voyait pas les murs tant il y avait d'ouvrages. Une lourde odeur de papier et de renfermé la prit au nez, mais elle était trop émerveillée pour s'en plaindre. Quelques rayonnages se trouvaient au milieu de la pièce, avec des bureaux aux fauteuils moelleux, mais également des présentoirs qui permettaient de voir à travers leurs vitres des cartes géographiques du plus bel effet.

— Tiens, tiens. Ça faisait longtemps que je ne t'avais pas vu ici, Maceo, résonna une voix sèche.

Lyana se tourna vers la voix et découvrit une grande femme, aussi mince qu'un roseau, habillée d'une robe noire longue. Ses cheveux blancs étaient ramenés en arrière dans un chignon strict, et un monocle en argent couvrait son œil droit. Les nombreuses rides de son visage attestaient de son âge avancé.

— Qui est donc cette domestique qui t'accompagne ?

— Nelly, je vous présente Elina. Elle est intéressée par les ouvrages traitant de nos divinités.

— Ah. Une fille du deuxième qui se soucie de livre et de religion. Pour une première, c'en est une.

La bibliothécaire s'approcha et scruta de ses petits yeux noirs Lyana. Cette dernière, sans bouger ni ciller, s'ouvrit à ses émotions. Elle n'y trouva qu'une froide indifférence teintée de curiosité malsaine envers elle.

— Je vais te trouver ça, ma petite, conclut la vieille femme. Sais-tu bien lire ?

Lyana hocha la tête, sous l'œil inquisiteur de la bibliothécaire. Cette dernière se détourna alors et commença à fouiller dans plusieurs rayonnages.

— Ne t'en fais pas, chuchota Maceo. C'est une vieille chouette qui préfère les livres aux êtres humains, ne prend pas ses réactions personnellement.

— La vieille chouette t'entend, cria au loin Nelly.

— Elle a aussi une ouïe surdéveloppée alors fais attention à toi !

Le sourire taquin qui illuminait soudain le visage de Maceo en disait long sur sa relation avec Nelly. C'était peut-être la seule personne avec qui il s'entendait bien de toute la maisonnée.

La vieille bibliothécaire revint rapidement, un petit volume dans les mains. Les dessins sur la couverture indiquaient que c'était un livre pour enfant.

— Commence donc avec les bases : ces récits sont peut-être pour les plus jeunes, mais c'est eux qui contiennent les informations nécessaires pour comprendre les Dieux. Tu as un mois pour me le rendre, sinon c'est Diane en personne qui viendra te le prendre pour me le restituer. Maintenant, du balai. J'ai encore des étagères à dépoussiérer avant la fin du repas des maîtres.

Les deux jeunes gens déguerpirent sans demander leur reste. Maceo la conduisit une nouvelle fois dans les couloirs des serviteurs.

— Il vaut mieux que tu ailles déposer le livre dans ta chambre avant d'aller manger. Prends-en bien soin : Nelly vérifie tous les ouvrages qu'on lui emprunte. La moindre tâche te fermera les portes de la bibliothèque et ton salaire diminuera en conséquence.

Lyana hocha la tête et se dirigea vers les habitations des domestiques. Curieusement, Maceo l'accompagna. Il ne pipa mot jusqu'à ce qu'elle dépose le livre sur son bureau.

Sur le chemin pour aller aux cuisines manger, il prit enfin la parole.

— Désormais, tu pourras passer tes après-midis à lire.

Choquée, Lyana s'arrêta un instant et le fixa jusqu'à ce que lui aussi s'arrête pour la regarder.

— Je ne compte pas rester oisive maintenant que j'ai accès à la bibliothèque, déclara-t-elle.

— Alors que c'est une occasion en or de t'instruire ?

Mais que lui arrivait-il ? Il était de nouveau méfiant, comme au début. Lyana en avait marre de le voir jouer au yoyo, un instant proche, le suivant à la fuir ou à lui prêter des intentions qui n'étaient pas les siennes. Pourquoi tout le monde tenait tant à la garder en dehors de toute tâche autre que nettoyer le deuxième étage ? Pourquoi mettre entre elle et le reste des domestiques des barrières infranchissables ?

— Ecoute Maceo, je suis quelqu'un de droit et d'honnête. Si on me paye pour un travail, je ne compte pas le faire à moitié même si vous semblez tous bien décidés à ne rien me donner ! Je ne veux pas toucher de l'argent que je ne mérite pas, ce n'est ni juste, ni moral.

Bien sûr, en disant cela, Lyana se rendait compte à quel point elle mentait. Une voleuse, tenir de tels propos ? Et pourtant... Depuis qu'elle en avait les capacités, elle ne volait plus les pauvres, mais seulement les gens qui avaient des moyens bien au-dessus des siens. Et si elle avait eu la chance d'avoir un tel travail de domestique sans être voleuse... C'est sans doute ce qu'elle aurait fait : travailler de manière juste et équitable. C'est d'ailleurs ce qu'elle comptait faire, une fois sa retraite prise, dans une petite ferme à l'écart de tous.

Maceo la regarda un instant, coît, puis se détourna vivement en déclarant : « allons manger ». Pourtant, Lyana put le sentir dans ses émotions, quelque chose avait changé. La distance était toujours là, mais sa défiance s'effritait de plus en plus. Et bien qu'ils ne s'échangeassent plus un mot de la soirée, la voleuse sut qu'elle avait gagné du terrain.

Le lendemain matin, Maceo l'attendait de pieds ferme aux cuisines. Lyana était plus fatiguée que la veille : elle avait voulu lire un peu, mais cela avait empiété sur son temps de sommeil et elle le regrettait désormais. Cependant, c'est avec agilité qu'elle s'occupa de toutes ses tâches. Comme la veille, le domestique ne lui fit aucun cadeau. Il ne l'aida même pas, prodiguant quelques conseils, de ci, de là. Pourtant, la voleuse n'aurait pas refusé un coup de main : ses muscles la tiraillaient de plus en plus, à force de manipuler les lourdes et encombrantes couvertures, et elle était chaque fois plus épuisée encore. Mais elle avait également foi en elle : elle était passé par pire, et elle savait d'expérience que ses muscles se feraient vite. Bientôt, elle n'aurait plus aucun mal à s'occuper des chambres.

Alors qu'elle comptait souffler quelques minutes après avoir fini l'étage - elle était en avance -, Maceo ne lui en laissa pas la possibilité. Il ordonna qu'elle finisse ses tâches le plus rapidement possible. Bien sûr, il la laissa reprendre quelques instants son souffle dans le couloir des serviteurs, juste avant de chercher la théière vide chez maitresse Alicia. Même si cette dernière ne se trouvait plus dans sa chambre, il était inconcevable de prendre le risque de faire du bruit à cause d'un essoufflement.

Maceo envoya ensuite Lyana chercher le plateau. Afin de s'assurer de sa prise, cette dernière le portait à deux mains. Lorsqu'elle voulut l'emporter avec elle pour descendre les escaliers dans les couloirs des serviteurs pour accéder à l'étage inférieur, Maceo l'arrêta.

— Tu ne tiens pas le plateau comme il faut. Il est plus prudent de le tenir à une main, et de tenir la rambarde avec l'autre main. Les escaliers peuvent parfois être glissants.

D'une main experte, Maceo lui prit le plateau des mains et lui montra comment faire, descendant quelques marches. Il était en train de lui expliquer les appuis à avoir lorsqu'un bruit de porte claquée se fit entendre.

— Chaud devant ! cria quelqu'un.

Les couloirs des serviteurs n'étaient que peu éclairés, si bien que Lyana ne distingua de l'homme qui surgit devant eux en montant qu'une vague silhouette. Il courrait pour parvenir à l'étage supérieur. Ce faisant, comme les couloirs des serviteurs n'étaient pas bien larges et malgré le fait qu'instinctivement, Maceo se soit collé contre le mur, il bouscula le jeune domestique qui perdit l'équilibre. Malheureusement, sa prise sur la rambarde ne suffit pas et la théière bascula dans le vide, avant de se briser en mille morceaux.

Maceo, les yeux exorbités, poussa un petit cri étranglé devant ce spectacle. Son corps se mit à trembler, comme animé d'une vie propre, et sa panique était si forte que, même sans ouvrir son esprit à ses émotions, Lyana pouvait la sentir.

— Oh non, non, non, murmura le garçon en posant le plateau au sol. Que va dire Diane ? Que vais-je faire ? Je vais être rétrogradé, non !

Lyana se glissa à ses côtés, touchée par sa détresse. Elle lui commanda de respirer profondément pendant qu'elle ramassait les plus gros morceaux d'argile. Une fois le plus gros des dégâts rassemblés, elle les mit sur le plateau et se leva. Maceo était toujours aussi angoissé, comme s'il ne savait plus quoi faire. Lyana ignorait pourquoi une simple erreur le bouleversait tant. Elle creuserait plus tard la question.

— Allons rapporter la théière aux cuisines, lui dit doucement la voleuse.

Sonné, le domestique la suivit. Plus ils approchaient des cuisines, plus il pâlissait, comme si un démon des profondeurs l'attendait derrière les fourneaux.

Le garçon cessa de trembler quand ils entrèrent dans la pièce. Pourtant, son angoisse monta d'un cran supplémentaire. Lyana se demanda comment cela était possible, puis se reprit. Maceo avait parlé de rétrogradation. Si elle-même devait être amenée devant le Faucon pour redevenir tire-bourse, elle serait aussi paniquée que lui.

Diane les vit arriver de loin et plaça ses mains sur ses hanches, les sourcils froncés, la mine renfrognée. La voleuse s'avança directement vers elle, les yeux baissés en signe de soumission.

— Diane, je suis désolé, commença Maceo en bégayant.

— J'ai cassé la théière, le coupa doucement Lyana. Quelqu'un m'a bousculé dans un couloir et j'ai renversé par accident la théière de maîtresse Alicia. Je suis désolée, tout est ma faute.

Elle entendit derrière elle Maceo se redresser et sans doute ouvrir la bouche pour répliquer mais Diane ne lui en laissa pas le temps. Elle fixait intensément Lyana, qui n'osait relever les yeux vers elle. La gouvernante sentait la colère, et elle devait être effrayante. La voleuse fit tout pour ne pas s'ouvrir à ses émotions. Elle devait tenir, et assumer cette bêtise.

— Bien, finit par déclarer Diane. Ton premier salaire couvrira donc cette dépense. Tu nettoieras les latrines des domestiques pendant une semaine l'après-midi. Maceo, comme tu es responsable d'elle, tu l'accompagneras durant cette tâche. Disposez maintenant.

Maceo voulut dire quelque chose mais la gouvernante le foudroya tant du regard qu'il lui obéit sans oser rajouter quoi que ce soit. Lyana posa le plateau sur le côté et le suivit d'un pas rapide. Une fois dehors, le soulagement se peignit sur les traits du jeune homme. Il se tourna vers elle, tentant de lui montrer un visage sévère.

— Je te remercie, mais mentir est un pêché. Ne le fais plus jamais.

Cependant, au fond, son apaisement était tel que Lyana sut qu'elle avait eu raison. Quand il lui offrit un mince sourire et qu'il lui fit signe de le suivre, afin de débuter leur ingrate tâche, toute méfiance s'était envolée. La voleuse sut alors qu'elle avait définitivement gagné son premier allié. 

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