Sur le coup, je me suis senti comme libéré d'un poids, mais comme je suis un type bien, j'ai vite été rattrapé et étranglé par la culpabilité.
Comment a-t-elle pu disparaître sous mon nez ? Sérieusement, c'est quoi ce délire ? Je suis à deux doigts de chercher une caméra cachée dans le coin, pourtant, je ne vois rien ni personne dans le magasin.
Il y a juste moi, une caissière qui me regarde d'un œil et le gouffre dans lequel je m'enfonce de seconde en seconde.
Je devrais appeler Nick. Non. Je ne l'appellerais pas. C'est mon boulot, je dois le faire jusqu'au bout.
Si je vais l'appeler et lui dire de venir à mon secours... Enfin au secours de sa sœur. Est-ce qu'il viendrait ?
Mon dieu.
J'ai l'impression de nager dans un plein délire et que tout ceci n'est qu'un triste et sombre scénario.
« Allô Nick ?
— Tobias ? Qu'est-ce qu'il y a ?
— Élisabeth a disparu.
— Quoi ?
— Elle a disparu. Elle... Elle était juste là et puis là, elle est plus là. Elle est vraiment plus là putain !
— Attends, calme-toi, dis-moi où tu es, j'arrive. »
Il ne lui fallut qu'une dizaine de minutes pour me rejoindre tandis qu'entre-temps j'ai fouillé toute la boutique de long en large et en travers.
C'est la panique.
J'ai perdu... une personne.
On parle pas d'un putain trousseau de clés, non. On parle d'une personne.
« Elle... Elle était dans les cabines et puis... Et puis soudain...
— Rachel.
— Je m'occupe du reste. Vous devriez rentrer tous les deux.
— Allez viens Tobias !
— Non attends ! Il faut que je la retrouve.
— Élisabeth se fait souvent la malle depuis qu'elle est petite. Ne t'en fais pas, elle doit être là, dans un coin, cachée, à te regarder flipper. On va la retrouver. »
Et si... si on ne la retrouve pas ?
OK. C'est une misérable personne. Elle m'a menacé. Elle a utilisé Nick pour faire pression sur moi, mais quand bien même ! Je ne suis pas un monstre sans cœur au point de la laisser tomber.
« Je suis nul... Je suis vraiment à chier.
— Arrête, ça ne sert à rien de te dire ce genre de chose. Et puis qu'est-ce que tu croyais ? Qu'être garde du corps c'était comme avoir une compétence Sims ? Qu'en une journée tu saurais faire ? C'est un putain de métier Tobias ! Il y a des formations normalement. T'es qu'un étudiant, rien de plus. »
Sur le coup, ça m'a fait mal.
« Tu n'es qu'un étudiant. » Et toi t'es quoi du con ? Dieu peut-être ?
« Selon les images, elle est sortie par une porte réservée au personnel. Il faudrait pouvoir voir les images du quartier maintenant.
— Je te laisse t'occuper de ça Rachel. Je vais rester avec Tobias. »
Comme d'habitude, fidèle à lui-même, il est d'une neutralité et d'un sang froid pratiquement exemplaire. Je ne sais même pas comment il fait ni comment il peut prétendre que ça lui coule dessus. Je sais que les rapports entre Nick et sa « famille » sont tendus, mais... Élisabeth, au fond... C'est juste une fillette qui manque d'amour.
Tout ce qu'elle a fait, c'était juste attirer l'attention sur elle.
« Je vais la chercher.
— Quoi ?
— Je vais la chercher. Je vais parcourir le quartier et je vais la chercher.
— Tobias, c'est bon, Rachel est sur le coup. Je ne serais même pas étonné de recevoir un appel dans cinq minutes pour me dire qu'elle l'a retrouvée dans une autre boutique à l'autre bout de la rue.
— Même. Tu peux rester là si ça te fait plaisir, mais moi j'y vais. »
Je l'entends soupirer, se passant une main dans les cheveux pour se gratter la tête.
« Vous êtes une épine dans le pied tous les deux par moment. »
Malgré tout, je sais qu'il ressent la même chose que moi. On ne peut pas l'abandonner dans la nature.
« Je prends la gauche, tu prends à droite. On se retrouve là dans une heure.
— Le premier qui la trouve, hurle ?
— Tu m'envoies un SMS idiot ! »
Je descends la rue à gauche et Nick remonte celle de droite.
Je sais définitivement quel genre de magasin cette fille fréquente donc je vais gagner un temps fou.
Pas celui-là. Non pas celui-là.
Celui-là non plus.
Ah ! Ah non, ce n'est pas elle.
Et là ? Elle n'est pas là.
Là non plus.
Putain, ça va faire une demi-heure.
« Petite conne pourrie gâtée, tu m'auras bien fait chier jusqu'au bout. »
Je la déteste. Plus qu'avant.
Soudain, en passant devant une ruelle, j'entends
« Allez, t'es mignonne, viens avec nous ! Fais pas ta difficile là !
— Je vous ai déjà dit de me laisser tranquille ! »
Oh bingo !
Je m'avance et la trouve encerclée de quatre gars peu recommandables. Des voyous de rue, hein ?
« Tobias ! »
Dès qu'elle m'aperçoit, elle se précipite vers moi et vient se cacher derrière mon dos.
« C'est qui ce bouffon ? »
Allez, on s'en va.
« Mon garde du corps ! Il va vous massacrer ! »
Pardon ?
« Ah ouais ? J'aimerais voir ça ! Et monsieur le garde du corps, il est bien beau ton costume. »
Je me retourne vers elle et la fusille du regard tandis qu'elle se contente de me sourire toute contente.
« Sérieusement... Une vraie chieuse. Prends ma veste et remonte la rue, tu devrais tomber sur Nick. Va le chercher.
— D'accord.
— Hé ! T'en va pas toi ! On n'a pas fini !
— C'est pas elle qu'il faut regarder les gars. »
Je remonte les manches de ma chemise, jusqu'à présent impeccable, et commence à distribuer les coups.
« C'est qu'il sait se battre le garde du corps.
— Ta gueule toi. »
Après en avoir distribué deux ou trois, je crois que j'ai dû me prendre le double dans la tronche. Génial.
« Ah ! Ah ! Il fait moins le malin à terre ! Alors, c'est tout ?
— Comme si... C'était que le tour de chauffe. »
Je crache un filet de sang et repars de plus belle.
Ça faisait longtemps que je ne m'étais pas retrouvé dans une bagarre et quelque part, ça me fait un bien fou. C'est comme si je pouvais les utiliser comme punching-ball sans le moindre remord.
Tout ce que j'ai vécu.
Ma relation plus que chaotique avec Nick.
Sa sœur qui me pètent les couilles.
Tout.
Tout est un joyeux bordel qui commence à me sortir par les trous de nez. Vraiment. J'ai l'impression d'être un pion, un pantin, une marionnette qu'ils utilisent à leur guise et ça me fait chier.
Après avoir mis les quatre au sol, je m'effondre, dos contre le mur tandis que Nick arrive.
« T'en as mis du temps... Ah... Ma chemise... Merde...
— Ça va ?
— Non. »
Je ne me sens pas mieux. À vrai dire, j'ai mal. Vraiment mal.
J'ai l'impression qu'on m'a roué de coups. Oh, mais attendez, c'est un peu ce qu'il s'est passé.
« Même amoché t'es beau.
— Tais-toi et ramasse-moi !
— Allez viens, je te ramène. »
Rachel se tient devant la ruelle avec Élisabeth à ses côtés.
« Tobias... Je...
— Si t'es désolée, fous-nous la paix. Je suis pas ton chien de garde ni ton prince charmant qui viendra te sauver à chaque fois. Grandis un peu et si ta vie ne te plaît pas, change-la. »
Fais comme moi.