Lorsque je me réveille, je suis seul dans le lit. C'est la première fois que je me retrouve seul dans un lit après un rapport sexuel. C'est moi qui pars le premier d'habitude... Je passe mon bras à sa place : elle est déjà froide, signe qu'il s'est levé il y a un bout de temps. C'est très vexant. Je me lève, enfile un peignoir en soie très doux et sors de la chambre. Je sens immédiatement les odeurs émanant du petit-déjeuner en train de cuire.
Je trouve mon mari derrière les fourneaux, en train de mettre le riz cuit dans deux bols. J'arrive par derrière et lui enlace la taille. Il ne sursaute pas mais je sens que ma présence ne lui fait pas aussi plaisir que je le voudrais. N'y prêtant guère attention, je colle mes lèvres dans son cou. Il a un frisson mais certainement parce que je lui donne froid, pas du tout parce que c'est agréable. À nouveau, c'est très vexant.
_ Hi, me salue-t-il. Did you sleep well ?
_ Merveilleusement bien, je souris.
Parce que c'est vrai. Ça fait longtemps que je n'ai pas aussi bien dormi.
_ Et toi ?
_ As usual.
Merci, ça fait plaisir. Il se tourne alors vers moi, les bols en main, et je dois donc me détacher de lui pour ne pas qu'il les renverse.
_ Take a seat and eat.
J'obéis mais ne veux pas le lâcher tout de suite. Lorsqu'il passe à côté de moi, j'essaye de lui prendre la main mais il va rapidement s'asseoir de l'autre côté de la table.
_ J'ai même pas le droit à un bisou après ce qu'il s'est passé hier ?
_ Why ? It's not your birthday anymore.
Ah bah d'accord. Non mais c'est vrai, que croyais-tu JeongHan enfin ? Fallait pas que je m'attende au miracle.
Et pourtant, le retour sur terre ne me fait pas du bien. En plus d'être vexant – encore plus que les autres trucs qui se sont passés depuis mon réveil – c'est super blessant. Mon ego en prend un coup et je sens que je ne vais pas m'en remettre facilement.
_ Dois-je comprendre qu'on va le faire uniquement le jour de mon anniversaire ?
_ No, it will not be like that, soupire-t-il.
J'espère bien ! Parce que sinon je suis foutu.
_ Ça sera comment alors ?
_ I don't know JeongHan. We'll see, okay ? Eat now.
_ Tu crois vraiment que je vais me contenter de cette réponse de merde ?
_ Please JeongHan, I don't want to talk about it.
_ Et si moi j'ai envie d'en parler ?
_ If you want to speak alone...
Ce qu'il peut m'énerver par moments. Je demande quand même pas grand chose !
_ Connard.
Je me lève et sans même lui lancer un regard noir, monte à l'étage rejoindre la chambre d'ami. Je crois que ça va redevenir ma chambre pour un petit bout de temps.
Lorsqu'il m'ouvre la porte de son appartement miteux – je me demande toujours pourquoi je viens dans ce quartier mais je ne lui ferais jamais remarquer de peur de le blesser –, je vois directement qu'il est épuisé.
_ Salut, me lance-t-il en s'écartant pour que je puisse passer.
_ Salut, je souris en entrant chez lui. T'as dormi ces jours-ci ?
_ Pas beaucoup.
_ Comment ça se fait ?
Je fais comme chez moi et m'installe dans le canapé hyper moelleux car hyper vieux, et un peu pourri, faut pas se le cacher.
_ Un ami a eu quelques problèmes.
_ Quel genre ?
_ Laisse tomber. J'ai plus de thé, tu veux un soda ?
_ Ouais, ça ira.
En me penchant pour prendre un coussin de l'autre côté du canapé, je remarque quelque chose. La porte de la chambre laissée ouverte, je constate que son lit n'est pas fait. Et pour cause : il manque la partie la plus importante. Son lit n'a pas de matelas.
_ Tu déménages ?
_ Non, pas du tout.
_ Où est le matelas que je t'ai offert ?
Il revient dans le salon et me tend une canette. Ses yeux fatigués évitent mon regard.
_ Je l'ai vendu.
_ T'as vendu un matelas tout neuf super confort ?
_ J'ai pas eu le choix JeongHan. J'avais trois mois de loyer de retard.
_ T'aurais pu me demander.
_ Comme si j'allais te demander de l'argent. C'était bien Las Vegas ?
_ Ne change pas de sujet.
Mécontent, je pose la canette sur la table basse brutalement et me lève pour lui faire face.
_ Il avait quoi comme problème ton ami ?
Il soupire, sachant qu'il ne pourra pas me le cacher plus longtemps.
_ Sa sœur a des problèmes de santé et les soins coûtent chers. Je lui donne tout ce que j'ai pour l'aider. Du coup, j'ai vendu le matelas pour le loyer.
Fronçant les sourcils, je croise les bras. Je comprends pourquoi il ne m'en a pas parlé mais voir mon cadeau transformé en monnaie d'échange ne me fait pas super plaisir. Alors sans attendre une seconde de plus, je récupère mon sac délaissé dans un coin et sors mon porte-monnaie.
_ Combien est-ce qu'il lui faut ?
_ JeongHan, arrête. On va se débrouiller seuls.
Je secoue la tête. Impossible pour moi de laisser le seul ami que j'ai dans ce pays s'affaiblir à petit feu pour trouver du fric alors que j'en ai plein.
_ Je veux vous aider. Dis-moi combien ou je te rachète un matelas que tu revendras encore.
_ Deux mille dollars, soupire-t-il.
J'ai bien conscience qu'il ne me le dit pas de gaieté de cœur mais au moins, ça prouve qu'il a un minimum confiance en moi. J'ouvre mon porte-monnaie et sors tous les billets que j'ai avant de les lui tendre.
_ J'ai trois mille, donne-les lui.
_ Non JeongHan, je peux pas faire ça. J'ai l'impression d'être une pute.
_ T'es mon ami Jun et même si ça nous est arrivé de coucher ensemble, jamais je ne te considérerais comme tel. Je veux juste aider. T'es le seul ami que j'ai dans ce pays, je te dois bien ça. Je sais que tu m'aiderais si c'était moi qui était dans la merde. Prends-les.
_ J'aime pas ça. J'ai l'impression que tu m'achètes.
_ Jun, je soupire, commençant à être agacé. J'en ai absolument rien à foutre de cet argent. Sois tu les prends, sois je les fous dans les chiottes. Et crois-moi que je le fais si tu les prends pas dans cinq secondes. Un... Deux...
Je vois qu'il hésite mais quand j'arrive à quatre, il les accepte enfin.
_ Je te promets de te rembourser dès que possible.
_ Pff.
_ Et de t'acheter un cadeau d'anniversaire.
Je lève les yeux au ciel. Comme s'il avait besoin de m'offrir quelque chose. Le simple fait d'avoir reçu un message de sa part hier me fait super plaisir.
_ Comment as-tu su que c'était mon anniversaire ?
Il me sourit, soudainement fier de lui.
_ Tu me l'as dit cet été. Et je suis assez bon pour retenir les dates.
_ Ah oui ? C'est bon à savoir...
Surtout pour moi. Ça veut dire que j'ai pas le droit d'oublier le sien !
_ C'est quand le tien déjà ?
_ En juin, le dix.
_ Ah...
Bah je l'ai oublié cette année. J'essaierai de m'en souvenir pour l'année prochaine. Mais on va revenir au sujet principal pour éviter qu'on ne remarque trop mon oubli.
_ C'est un ami que tu connais bien ?
_ C'est mon meilleur ami. Il vit à l'étage du dessous.
_ Ah, d'accord. C'est pratique pour vous voir.
_ Oui, c'est comme ça qu'on s'est connus.
_ Et elle a quoi sa sœur ?
_ Un cancer.
_ Ah...
Sentant que si je continue sur cette voie ça risque pas d'être très joyeux, je préfère à nouveau changer de sujet.
_ Tu veux pas aller faire un tour ? Il fait pas trop moche aujourd'hui.
Il hoche la tête, content qu'on ne reste pas ici à faire causette.
_ D'accord, je te suis.
Évidemment. Sinon, on irait encore n'importe où.
Détendu par cette journée avec Jun, je redescends de mon nuage quand je rentre à l'appart. La conversation que j'ai eu avec Joshua ce matin me revient en tête et je soupire alors que je retire mes chaussures. En plus, je n'ai aucune idée de ce qu'on pourrait manger ce soir. J'enlève ma veste tout en montant les escaliers, change de tenue, en évitant de jeter un coup d'œil en direction de mon dressing qui explose à nouveau, et redescends. J'ai envie de sushis. Mais je sais pas les faire.
Je me demande un instant où j'ai mis mon dernier magazine culinaire puis me rappelle l'avoir posé dans le salon. Sauf que surprise : Joshua est allongé dans le canapé en train de bouquiner.
_ Hi, me lance-t-il.
_ Hm, je fais, juste pour être poli.
_ Did you have a nice day ?
Je ne fais pas attention à lui, prends mon magazine repéré rapidement et repars en direction de la cuisine.
_ Will you ignore me again ?
Je ne lui réponds pas. J'arrêterai de l'ignorer lorsqu'il arrêtera de se comporter comme un con. Dans mon dos, je sens qu'il s'est levé et qu'il me suit jusque dans la cuisine.
_ Seriously JeongHan, this is too much.
_ Et se comporter comme un connard c'est pas too much peut-être ? je réplique, le fusillant du regard.
_ Touché.
Je lève les yeux au ciel. N'importe quoi. Comme si j'allais lui tomber dans les bras avec ça.
_ I promise to have a real discussion with you about that one day.
_ Et un jour c'est pas aujourd'hui, c'est ça ?
_ Yep.
Il m'a l'air bien guilleret ce soir. Et j'ai pas envie de recommencer à faire la tronche alors que Jun m'a mis de bonne humeur.
_ Promis promis ?
_ Yes Honey. I swear.
Bon, s'il jure... Je peux faire un effort. Enfin, s'il en fait.
_ Je peux avoir un bisou ?
Ma demande le fait rire mais il hoche la tête. Je contourne donc l'îlot central pour me rapprocher de lui et ne peux m'empêcher de sourire lorsque je le vois ouvrir grand les bras. Je plonge dedans avec plaisir et le baiser auquel j'ai droit n'est pas grand chose mais je suis ravi de l'avoir. Je me colle contre lui, calant ma tête contre son épaule et souris quand je sens ses bras se refermer autour de mes épaules. C'est quand même mieux quand on est comme ça.
Ce petit moment de bien-être se finit trop tôt à l'attente de mon estomac qui gronde. Nous rions avant de nous détacher l'un de l'autre. Et avant de lui demander ce qu'il veut manger, je m'étonne de sa présence à cette heure.
_ Tu ne travaillais pas aujourd'hui ?
_ Never on Thursday.
_ Ah...
_ You never listen to me.
_ Mais si. T'avais cours aujourd'hui, c'est ça ?
_ Yes.
Ouf, je ne me suis pas trompé.
_ T'as vu que je t'écoute.
Bon, c'est pas tout mais j'ai toujours faim moi.
_ T'as pas envie de sushis ? J'ai pas envie de cuisiner et ça fait longtemps qu'on n'en a pas mangé...
_ Okay, if you want.
_ Cool, je vais commander !
Passant à côté de lui pour chercher le téléphone dans le salon, je dépose mes lèvres sur sa joue et lui souffle un « Merci » sincère. Et j'espère qu'il comprend que c'est pas parce qu'on mange ce dont j'ai envie.